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L’interview

Patrick Storhaye : « La transformation permanente est un défi pour les RH des entreprises en croissance »

L’interview | publié le : 11.07.2017 | Frédéric Brillet

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Patrick Storhaye : « La transformation permanente est un défi pour les RH des entreprises en croissance »

Crédit photo Frédéric Brillet

Recruter rapidement et sans cloner, absorber les variations de la croissance sans perdre son âme, transmettre la vision, trouver l’équilibre entre les nécessités du contrôle et l’aspiration à l’autonomie… La fonction RH est particulièrement sollicitée dans les start-up, mais devient garante de la capacité d’adaptation des structures et du développement du capital humain.

E & C : Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre sur la fonction RH dans les start-up* ?

PATRICK STORHAYE : C’est la conviction que le capital humain, et par voie de conséquence la fonction ressources humaines, est le facteur essentiel de toute transformation en entreprise. Or, par essence, l’entreprise en croissance est en transformation non seulement permanente mais aussi rapide. Il nous a dès lors semblé intéressant de se pencher sur cette question en mariant nos expériences respectives, Fernanda Alonso-Gautrais et moi-même.

À quels défis RH spécifiques ces entreprises à forte croissance sont-elles confrontées, notamment les start-up ?

La transformation permanente et la vitesse qui caractérise la croissance de ce type d’entreprises induit quatre défis pour les ressources humaines. Il faut d’abord assurer les recrutements de nouveaux salariés. Absorber d’un point de vue opérationnel les variations et les changements (intégration d’une société, recrutements massifs, etc.) que génère la croissance, sans imploser ni perdre son âme. Transmettre et animer la vision, le projet business de l’entreprise, ce qui suppose une pédagogie permanente. Enfin, il s’agit de faire évoluer la culture et les valeurs de l’entreprise, alors même que son identité se transforme à mesure qu’elle grandit. À cela, la start-up ajoute la nécessité d’anticiper, mais ni trop tôt ni trop tard, les ruptures liées à son développement. Elle doit apprendre à grandir et à se structurer quand il le faut, ce qui est difficile. L’importance des fondateurs et de leurs caractéristiques est aussi un point essentiel : seuls ceux qui arrivent à s’adapter, donc à se remettre en cause, passent les caps.

Quel rôle les RH jouent-elles finalement dans le succès de ces entreprises ?

Le capital humain est une variable clé du succès des jeunes pousses. Si le talent des fondateurs les fait naître, celui des équipes conditionne leur développement. Ce n’est pas seulement parce que des gens talentueux font mieux que les autres. C’est aussi parce que ces talents sont porteurs de l’âme de l’entreprise et de son projet, ce qui en fait venir d’autres et entretient la flamme. Plus généralement, on a vu que la croissance exige une adaptation permanente. Or, ce ne sont pas les structures qui s’adaptent, c’est l’homme qui les fait évoluer ou les contourne lorsqu’elles deviennent un obstacle au développement de l’entreprise. Pour résumer, la capacité d’adaptation permanente dont a besoin l’entreprise en croissance repose sur son capital humain.

Ce rôle change-t-il à mesure que l’entreprise grandit ?

Effectivement. Quand l’entreprise se crée, la RH n’est pas une fonction mais une pratique, qui commence souvent par des recrutements opérés directement par les fondateurs et des obligations administratives confiées à un expert-comptable. Lorsqu’elle est par la suite formalisée, elle demeure très dépendante de la personnalité du fondateur ou du DRH. Puis elle se professionnalise et finit par intégrer une forte culture business. Comprendre intimement le business, à commencer par la manière dont la valeur se crée, est une dimension très importante de la fonction RH, encore plus dans une entreprise en croissance. Rapidement les praticiens RH y sont tiraillés entre des exigences opérationnelles, la tyrannie de l’urgence et la nécessité de penser plus loin en apportant une véritable contribution à la stratégie. C’est dans la capacité à mener les deux de front que tout se joue.

La croissance peut être organique ou provenir de rachats d’autres entreprises, du marché intérieur ou des exportations. Face à ces différents modèles de développement, comment la fonction RH s’adapte-t-elle ?

L’entreprise qui mise sur la croissance interne se développe par l’innovation. Dans ce cas, la RH doit créer un terreau qui lui est favorable et cela passe par la diversité des talents. La RH doit alors veiller à assurer la complémentarité des profils et à éviter le clonage. A contrario, la croissance externe est plus naturellement porteuse de diversité puisque l’on intègre des cultures différentes. L’enjeu porte alors sur la capacité à intégrer ces entités nouvelles et à les faire adhérer à un projet commun. Enfin, la croissance internationale apparaît comme un parcours semé d’embûches pour la fonction RH, notamment dans les PME : il faut maintenir et faire vivre le projet alors que l’ADN se renouvelle, assurer la montée en compétences que cela requiert, trouver le bon équilibre entre les nécessités du contrôle et du reporting et de l’aspiration à l’autonomie des filiales.

Quels exemples peut-on donner d’entreprises qui ont su adapter leur politique RH à leur forte croissance ?

Clustree, qui met l’intelligence artificielle au service des ressources humaines, a eu la bonne idée de s’attacher les services d’un dirigeant expérimenté à un moment clé de son développement. A contrario, trop de jeunes créateurs considèrent à tort qu’une start-up est une entreprise où seules les jeunes générations peuvent s’épanouir. L’agence de voyages en ligne Voyage Privé se distingue par sa capacité à investir dans ses potentiels, à se structurer et préserver son ADN tout en grandissant. L’éditeur de logiciel Eptica a misé sur la diversité culturelle ou la fidélisation de ses talents pour réussir son internationalisation. Enfin, le Groupe Vivalto Santé a conçu une politique de croissance externe capable d’absorber de nouvelles entités tout en conservant la culture et les valeurs de l’entreprise.

Quelles sont les erreurs que la fonction RH peut être tentée de commettre dans les entreprises à forte croissance ?

C’est d’abord croire qu’il y a des modèles tout faits qui répondent à la problématique à laquelle on est confronté et réduire la pratique RH à un acte technique. Le manque d’attention à la qualité des recrutements, une pratique RH purement administrative peuvent aussi occasionner des dégâts. Trop de structure et de pesanteur limitent l’agilité immédiate mais le manque de structure, en grandissant, conduit vite à d’autres désillusions.

Patrick Storhaye entrepreneur, professeur associe au CNAM

Parcours

> Depuis 2007, président de Flexity, société de conseil en RH et digital.

> 2004-2007, directeur de la stratégie ressources humaines d’ADP France, spécialiste de l’externalisation de la paie et des RH.

> 2000-2004, président cofondateur de Shared Value, une solution de Talent Management, éditeur du site RH Info créé en mars 1999.

> 1999-2000, directeur de la fonction RH Groupe de l’assureur Groupama.

> 1987, diplômé de l’ESC Rouen devenue Neoma Business School.

Lectures

Faut-il libérer l’entreprise, de Gilles Verrier et Nicolas Bourgeois (Dunod).

Le pouvoir et le nombre, Maurice Thévenet.

* RH et croissance. Editions EMS, 2017.

Auteur

  • Frédéric Brillet