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L’enquête

Droit : Deux syndicats contestent (encore) la loi française auprès du Conseil de l’Europe

L’enquête | publié le : 04.07.2017 | Sabine Germain

La CFE-CGC et la CGT ont déposé le 4 avril un recours commun auprès du Comité européen des droits sociaux pour faire reconnaître la non-conformité à la Charte sociale européenne des articles de la loi Travail sur le forfait en jours.

À quoi bon saisir pour la quatrième fois le Comité européen des droits sociaux (CEDS) ? La question mérite d’être posée alors que l’Ugict (la CGT des ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise) et la CFE-CGC ont déposé, le 4 avril dernier, un recours commun contre les dispositions de la loi Travail relatives au forfait en jours et aux astreintes.

Le CEDS a déjà estimé à trois reprises – en 2001, 2004 et 2010 – que le forfait en jours contrevient à l’article 2.1 de la Charte sociale européenne qui prévoit que « tous les travailleurs ont droit à des conditions de travail équitables », et que les parties doivent s’engager « à fixer une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire (…) ». Mais ces décisions ne sont pas contraignantes : « La justice européenne n’est pas prescriptive, explique Jean-François Foucard, secrétaire national à l’emploi et à la formation de la CFE-CGC. Relancer la procédure nous permet toutefois de montrer que les problèmes liés au forfait en jours perdurent, et même s’aggravent à mesure que le nombre de salariés qui y sont soumis progresse. »

À défaut d’être contraignantes, les recommandations du CEDS sont lues attentivement par la chambre sociale de la Cour de cassation : « Elles ont joué un rôle décisif dans les décisions rendues par la Cour de cassation, qui a censuré 13 conventions collectives ou accords de branche mettant en place un forfait en jours, estime Sophie Binet, secrétaire générale adjointe de l’Ugict. Depuis, la Cour interpelle régulièrement le législateur pour l’alerter sur les insuffisances de ce dispositif bricolé lors du passage aux 35 heures, en 2000, puis détricoté par les lois Fillon de 2003 et 2008. » Si les deux organisations syndicales poursuivent ce qu’elles appellent leur « guérilla juridique » contre le forfait en jours sans décompte des heures, c’est parce qu’elles sont convaincues que « la justice française va finir par se caler sur les recommandations du CEDS », ajoute Sophie Binet.

On ne peut pourtant pas dire que la loi “Travail” du 8 août 2016 aille dans cette direction : « Elle expose les salariés au forfait en jours à des durées de travail déraisonnables, et prive ceux qui sont assujettis à des astreintes, d’un véritable temps de repos », ont exposé la CFE-CGC et la CGT dans leur saisine du CEDS. Les organisations syndicales ont fait leurs comptes : « La loi Travail donne la possibilité aux salariés en forfait jours de travailler jusqu’à 13 heures par jour et 78 heures par semaine, explique Jean-François Foucard. Ce sont des durées manifestement excessives, qui font courir de vrais risques à la santé des cadres au forfait. »

Dès le mois de décembre 2015, l’Ugict a alerté Myriam El Khomri, ministre du Travail, sur les risques du forfait en jours sans décompte des heures. « Nous avions formulé des propositions très précises, rappelle Sophie Binet. Mais nous n’avons jamais eu de réponse. Deux mois plus tard, la ministre a présenté son projet de loi qui contrevenait encore plus gravement aux recommandations du CEDS. »

Une nouvelle entorse

Les contours de la réforme du Code du travail voulue par le nouveau président de la République sont encore flous, mais les partenaires sociaux s’y préparent déjà : « Sur le temps de travail, ce sera une accélération du calendrier de la loi El Khomri », estime Jean-François Foucard. C’est-à-dire une nouvelle entorse aux recommandations du CEDS. Reste à savoir si les entreprises continueront prendre le risque juridique de proposer des conventions de forfait en jours sans décompte des heures : « Chaque forfait en jours contesté par les prud’hommes finit par leur coûter cher, ironise Jean-François Foucard : un ingénieur de la métallurgie a ainsi perçu en 2014 plus de 132 000 euros (l’équivalent de 40 mois de salaire) en 2014 au titre du rappel des heures supplémentaires et des congés payés afférents, de dommages et intérêts pour non-respect des repos compensateurs et pour travail dissimulé*. » De quoi dissuader plus sûrement que la future recommandation du CEDS, qui n’est de toute façon pas attendue avant deux ans.

* Cass. soc. 19 février 2014, n° 12-22.174.

Auteur

  • Sabine Germain

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