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L’enquête

Bucher Vaslin : La badgeuse comme juge de paix !

L’enquête | publié le : 04.07.2017 | Lou-Eve Popper

Pour s’assurer de la charge de travail « raisonnable » de ses salariés au forfait jours, la PMI a introduit le pointage et incite au dialogue permanent manager/managé. Non sans résistance en interne.

L’affaire n’a pas été si facile. Bucher Vaslin, une PMI de 300 salariés spécialisée dans le matériel viticole, basée à Chalonnes-sur-Loire (Maine-et-Loire) et Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) a cherché, comme beaucoup, à se mettre en conformité avec les dispositifs de la loi El Khomri sur les forfaits-jours, exigeant le respect d’un volume horaire raisonnable pour les intéressés. Car dans cette filiale du groupe suisse Bucher Industries, l’accord d’entreprise sur le sujet, datant de 2001, n’a pas été revisité. Alors elle a pris de strictes mesures pour pouvoir apprécier la charge de travail des 85 salariés concernés par les forfait-jours, dont plus de la moitié sont des cadres, les autres étant techniciens SAV ou managers. La solution retenue ? Le pointage du temps de présence, ce qui n’avait jamais eu cours dans l’entreprise.

En janvier 2017, la PMI a donc installé, après accord de la Cnil, huit badgeuses de la société Bodet Software qui alimentent son logiciel de gestion des temps Kelio, lequel en fonction des données collectées, comptabilise automatiquement le nombre de journées travaillées. De cette façon, les managers peuvent vérifier que les salariés forfaitisés ne dépassent pas des 211 jours annuels prévus dans l’accord. Par ailleurs, ces salariés doivent enregistrer leurs absences sur le logiciel de gestion des temps. RTT, congés payés, jours offerts… tout est ensuite validé par les managers. Ainsi, ceux-ci peuvent évaluer rapidement si le travail est bien réparti dans le temps : « Nous repérons tout de suite quand un salarié n’a pas posé de RTT dans le mois. Ce qui permet d’enclencher le dialogue avec lui sur sa charge de travail », assure Gilles Vilsalmon, responsable Supply Chain chez Bucher Vaslin. Afin de ne pas provoquer de fronde, il a été en outre décidé que les terminaux de pointage ne dénombreraient pas leurs heures. Toutefois les forfaitisés doivent, chaque matin, signaler à la badgeuse qu’ils ont bien honoré les onze heures de coupures obligatoires entre deux postes. Même chose le lundi matin, où chacun doit préciser s’il a bien pris ses 35 heures de repos consécutives hebdomadaires.

Autonomie des salariés

Ce mode auto-déclaratif, pensé au départ pour ménager l’autonomie des salariés, a cependant ses limites. Gilles Vilsalmon le reconnaît : « Il est impossible de nous assurer qu’ils ont observé leur temps de repos. » Pour Mathilde Chasles, acheteuse au forfait-jours et syndiquée CFE-CGC, ce n’est pas un hasard si la machine n’est pas horodatée : « De cette façon, l’entreprise n’a pas à regarder de plus près si les employés travaillent trop. Tant que le salarié ne dit rien, personne ne bouge. » Quant à l’appropriation de l’outil, il y a eu de la résistance. Ainsi, Sylvélie Raffini, la responsable RH, raconte « qu’au début, ça n’a pas été simple. La plupart de nos employés travaillent chez nous depuis très longtemps et n’aiment pas qu’on change leurs habitudes ». Pour certains, le pointage a d’abord été vu comme une contrainte supplémentaire. D’autant qu’ils ne pouvaient pas pointer via leur téléphone ou leur ordinateur. « Certains salariés étaient mécontents car il fallait qu’ils aillent badger à l’étage au dessus le matin », soupire la DRH. Bon an mal an, le système a finalement réussi à s’imposer à tous… Sauf aux commerciaux de terrain et aux techniciens SAV, qui travaillent au loin. À eux, l’entreprise n’a même pas cherché à imposer quoi que ce soit. « Ils sont indisciplinés. Ils auraient pu vivre le pointage à distance comme une restriction de leur liberté », explique Sylvélie Raffini. Elle a tout de même réussi à les convaincre de rentrer leurs congés dans le logiciel. Le reste est automatique, toute journée étant considérée comme une journée de travail, et enregistrée comme telle par Kelio. La DRH n’a plus qu’à soustraire les absences pour s’assurer qu’ils ne dépassent pas les 211 jours annuels.

Ce système d’auto-déclaration s’accompagne néanmoins d’un suivi régulier de la charge de travail par les n + 1. « Les managers sont assez ouverts sur la question, assure Mathilde Chasles. Le problème c’est qu’ils ne prennent pas forcément la mesure du mal-être de la personne. Résultat, lorsque le salarié alerte ses supérieurs, il est parfois trop tard. » Que faire alors dans ces cas-là ? « Certains ont dû changer de poste », explique-t-elle. Pour éviter d’en arriver là, les managers abordent la question de la charge de travail lors de l’entretien annuel, comme l’exige la loi. Et pour s’assurer au fil de l’eau que les salariés ne croulent pas sous les dossiers, ils font des points réguliers avec eux. Gilles Vilsalmon rencontre ainsi deux fois par mois, individuellement, ses quatre collaborateurs au forfait-jours. « Si je vois qu’ils sont trop submergés, je priorise les projets. Ils sont très transparents avec moi », assure-t-il. Ce n’est sans doute pas le cas de tout le monde. Mathilde Chasles rappelle qu’il est « toujours compliqué d’aller voir son manager. On craint de s’entendre dire qu’on est surmené parce que mal organisé. La plupart de ceux qui sont en souffrance préfèrent d’abord en parler à l’infirmière ». Pour le moment, la sécurisation du forfait-jours passe d’abord par l’humain.

Repères

Activité

Producteur de matériel viticole (remorques égoutteuses, érafloirs fouloirs, pressoirs, filtres)

Effectif

340 collaborateurs

Chiffre d’affaires 2016

63 millions d’euros

Auteur

  • Lou-Eve Popper