Jusqu’où peut-on exprimer le mal-être au travail, alors que l’entreprise valorise un discours professionnel et performant ? C’est le sujet de cette thèse passionnante de la socio-anthropologue Agnès Vandevelde-Rougale. Au travers de témoignages de salariées harcelées ou placardisées, la chercheuse s’appuie sur les théories de la sociologie clinique pour critiquer « la violence de la novlangue managériale » qui s’exerce sur eux. Pour elle, en étant forcé d’objectiver les faits et de s’approprier un vocabulaire RH désincarné, le salarié harcelé souffre de devoir taire son ressenti réel. Il doit intérioriser un discours formaté qui ajoute à son malaise. Si la démonstration semble parfois un peu forcée (les injonctions d’un code de déontologie contre le harcèlement seraient par exemple infantilisantes), l’analyse, très poussée, donne à réfléchir. Les témoignages montrent bien l’impossibilité pour ces salariées de verbaliser leur peur ou leur sentiment de ne pas être entendues lors d’une procédure interne de gestion des plaintes.

Pour l’auteur, d’ailleurs, les aides de l’entreprise (médiation, voire séances de psychothérapie proposées dans un grand groupe irlandais) sont ambiguës, proposant « un étayage social mais contribuant parallèlement à la fragilisation psychique du salarié », en le renvoyant à sa vulnérabilité. La porte de salut passerait plutôt, on s’en doute, par la sociologie clinique, un espace où le salarié peut dire et penser son expérience en libérant l’imaginaire du langage…