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Dématérialisation : Cap sur le zéro papier dans les ressources humaines

L’enquête | publié le : 09.05.2017 | Hélène Truffaut

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Dématérialisation : Cap sur le zéro papier dans les ressources humaines

Crédit photo Hélène Truffaut

En faisant du mode électronique la solution de droit commun pour le bulletin de paie, la loi Travail donne un coup d’accélérateur à la dématérialisation des documents RH. Les projets se (re) lancent, souvent dans le cadre d’une réflexion plus large intégrant le contrat de travail. Une digitalisation qui, au-delà d’une réduction des coûts, promet d’améliorer la performance des équipes RH et le niveau de services aux salariés.

La digitalisation de la fonction RH s’accélère. Un cap a été franchi en 2016, si l’on en croit une étude Markess présentée le 12 janvier dernier en amont du dernier salon Solutions ressources humaines* (SRH) : plus de la moitié (51 %) des 115 décideurs RH et SIRH interrogés par la société d’études estiment leur fonction RH mature vis-à-vis du digital. Soit vingt points de mieux qu’en 2015. Et 91 % des sondés disent avoir des besoins en dématérialisation de documents. D’ici à 2018, ils devraient, à plus de 50 %, être équipés en solutions de numérisation de documents papier, de gestion documentaire, de signature et de coffre-fort électroniques.

Le contexte légal est particulièrement favorable (lire p. 19). La possibilité désormais offerte aux employeurs, par la loi Travail, de mettre en place la fiche de paie dématérialisée par défaut – et la maturité des solutions en mode SaaS du marché – concourent à lever les dernières hésitations. « La loi Travail simplifie le déploiement, et de plus en plus d’entreprises sont demandeuses », observe Pascale Duclos, directrice marketing EMEA de Pitney Bowes (qui intervient aujourd’hui sur toute la chaîne de gestion du document et de la communication client). Même constat chez tous les acteurs de la dématérialisation, dont Docapost, qui voit croître le nombre de clients et de bulletins digitalisés. « C’est un changement fondamental de démarche : on lève un frein psychologique, considère Nadia Amal, experte RH dans cette filiale du groupe La Poste spécialisée dans la transformation numérique des entreprises. Tant pour les salariés, qui, une fois qu’ils ont testé le coffre-fort numérique personnel associé au bulletin de paie électronique (lire l’encadré p. 19) en perçoivent très vite les atouts, que pour les RH qui peinaient parfois à expliquer à leurs salariés l’intérêt de la dématérialisation. »

Mouvement numérique

Selon Olivier Vivat, directeur associé Payroll & Time du cabinet de conseil Althéa, « le bulletin de paie électronique n’est d’ailleurs plus perçu comme une nouveauté : des entreprises y sont déjà passées, et celles qui avaient mis ce chantier en stand-by l’année dernière relancent le projet. En réfléchissant, du coup, à la possibilité de dématérialiser le reste ». Le dossier du salarié, les contrats et avenants et les notes de frais seraient les sujets prioritaires. Mais tous les documents RH, qu’ils émanent de l’employeur ou du salarié, sont en théorie concernés. Le compte personnel d’activité (CPA) et, demain, le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu participent de ce mouvement numérique.

Applications en self-service et portails RH

Se passer du papier ? Une voie dans laquelle les DRH sont engagées depuis plusieurs années. « De manière contrainte, comme pour les déclarations sociales – chantier qui a trouvé son aboutissement dans la déclaration sociale nominative (DSN), aujourd’hui généralisée, rappelle Hélène Mouiche, analyste senior chez Markess. Ou de façon volontariste, avec la mise en place d’applications en self-service et de portails RH. » Ces solutions ont, dans un premier temps, permis de reporter certaines tâches sur les collaborateurs via des workflows de validation (demandes de congés, relevés d’activité…) ; de faciliter le recrutement (formulaires Web, CV en format électronique) ; ou encore de développer la communication interne sur intranet.

« Le sujet est vaste », convient Hélène Mouiche. D’autant qu’il ne s’agit pas uniquement de concevoir des documents nativement numériques ou de numériser des supports papier. « L’enjeu le plus important pour les RH est encore d’automatiser les processus ; 67 % des décideurs RH le place en tête des défis à relever ! Et la dématérialisation n’a de sens que si l’on couvre l’ensemble de la chaîne. » Ce qui, développe-t-elle, nécessite des solutions d’archivage garantissant l’intégrité des données, de gestion documentaire performantes, de signature électronique pour tous les documents à valeur juridique, etc.

Plate-forme de digitalisation

Des acteurs tels que PeopleDoc (ex-Novapost, éditeur exclusivement dédié aux RH) et Docapost proposent ainsi une « plate-forme de digitalisation » des documents RH et processus associés : processus d’embauche, gestion des dossiers collaborateur, des demandes diverses, coffre-fort numérique “compatible CPA” (lire ci-dessus) permettant d’accueillir, entre autres, le bulletin de paie digitalisé…

Le groupe coopératif agricole InVivo a, lui, opté pour Primobox, autre spécialiste de la dématérialisation. Tandis que Klépierre (immobilier de centres commerciaux), déjà client de Cegedim SRH pour la paie et la gestion administrative des collaborateurs, a profité des offres de coffre-fort et de signature électriques de son prestataire (lire p. 22 et 23). Pour les éditeurs de paie et de SIRH, l’heure est d’ailleurs à l’ajout de briques dédiées à cette digitalisation des bulletins de paie et des contrats (tel Sage qui, en mars dernier, annonçait son partenariat avec PeopleDoc).

Des coûts divisés par deux

Les avantages pour l’entreprise ? Selon Philippe Raynaud, directeur général France de PeopleDoc, « la digitalisation d’un processus permet d’en diviser le coût par deux ou trois ». Pour Althéa, l’économie réalisée sur une gestion papier intègre de multiples paramètres : « Outre les coûts d’impression et les frais postaux, il faut aussi tenir compte des coûts de l’immobilier, du rayonnage d’archives, de la sécurisation des locaux concernés, liste Olivier Vivat. À quoi il faut ajouter le temps de classement manuel des documents avec les erreurs que cela peut impliquer, les délais de recherche – quand il faut descendre au 2e sous-sol rechercher un bulletin de paie –, ou encore les problèmes d’usure des supports papier. L’archivage et le classement dans le cadre d’un système de GED [gestion électronique des documents, NDLR] permettent de gommer tous ces problèmes », assure-t-il.

Bulletins de paie à la semaine

Ergalis, dont l’activité est centrée sur l’intérim et le recrutement (60 implantations en France, 350 permanents et quelque 4 000 intérimaires) a rapidement vu l’intérêt d’une dématérialisation des bulletins de paie, qui sont délivrés à la semaine aux intérimaires. L’entreprise économiserait, par ce biais, 100 000 euros par an, le coût global papier incluant le routage étant estimé à 150 000 euros.

Pour ce chantier, l’entreprise a fait appel à l’éditeur DPii et à Locarchives (services documentaires, tiers archivage, conseil). Et a sauté le pas à l’automne 2015, en lançant une phase pilote auprès de son personnel interne. « Le taux d’adhésion a atteint 100 % en un trimestre », raconte le DSI, Gilles Bernon. Et, au printemps 2016, la solution a été déployée auprès des intérimaires.

Le principe de l’opt-in qui prévalait avant la loi Travail a été maintenu. Avec un taux d’adhésion de 90 % à 95 % sur les nouveaux intérimaires – mais de 30 % à 35 % sur l’ensemble de cette population, précise-t-il. Ergalis a, dans le même temps, démarré un projet plus vaste de digitalisation de ses processus RH, qui passe par la construction d’un portail d’accueil et de services pour les intérimaires. Certains volets sont déjà en phase pilote, dont la signature électronique des contrats et les plannings. Une plate-forme à laquelle les intéressés auront accès… dès lors qu’ils auront accepté de recevoir leur fiche de paie sous forme dématérialisée.

« Nous avons encore de la marge sur le taux d’adhésion, mais proposer uniquement le bulletin de paie électronique, c’est un peu sec, considère Gilles Bernon. Nous espérons convaincre en offrant d’autres services, qui vont apporter de la valeur ajoutée et fluidifier les relations entre Ergalis et ses intérimaires. »

Aligner l’organisation RH sur la stratégie de l’entreprise

Les réductions de coûts liés à la digitalisation des bulletins et des contrats sont capitales pour les sociétés d’intérim et, plus généralement, pour toutes les organisations recourant beaucoup aux contrats courts (comme dans la grande distribution). Pour les autres, l’enjeu serait ailleurs : « La discussion avec nos clients ne porte pas uniquement sur le coût du processus de paie, soutient Nadia Amal. La motivation première est d’accompagner la transformation numérique, en alignant l’organisation RH sur les objectifs stratégiques de l’entreprise. C’est également un atout clé pour la marque employeur, alors qu’arrive sur le marché du travail toute une génération habituée à effectuer ses démarches administratives et achats en ligne. »

Performance des équipes RH

Pour Olivier Vivat, cette dématérialisation permet d’augmenter le niveau de service aux salariés, tout en améliorant la réactivité, la productivité et donc la performance des équipes RH. « Elles sont moins dans la saisie et le classement, et davantage sur le contrôle et le conseil, considère-t-il. Bref, elles quittent l’arrière-boutique pour devenir des acteurs visibles, qui participent à l’attractivité de l’entreprise. » Autre avantage non négligeable : « On est sur des projets courts déployés en trois à six mois, avec un retour sur investissement rapide », assure-t-il.

La mue des RH est cependant loin de s’achever. Car ce terreau digital pourrait bien voir pousser des assistants virtuels arrosés à l’intelligence artificielle, qui viendront compléter le bouquet de services RH. Sopra est déjà sur le coup (lire p. 24).

* Organisé à Paris du 21 au 23 mars dernier par Infopromotions.

La législation accélère le mouvement

« Depuis l’an 2000, la tendance générale est à la dématérialisation », confirme Alain Bensoussan, du cabinet Lexing Alain Bensoussan Avocats, spécialisé dans le droit du numérique. Un principe qu’il faut « parfois combiner avec une réglementation en silos, selon les acteurs (les éditeurs), les services, les produits (bulletins de paie, factures…), la nature de l’information. »

La signature électronique a été introduite en droit français par la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux nouvelles technologies de l’information et relative à la signature électronique modifiant en ce sens le Code civil. Depuis le 1er juillet 2016, la signature de contrat par voie électronique s’opère sous l’empire de la réglementation européenne eIDAS(1) (Electronic IDentification And Trust Services).

Un décret du 5 décembre 2016, en application de l’article 1379 du Code civil, précise les conditions d’intégrité, de sécurité et de conservation des données numérisées, la copie fiable ayant désormais la même force probante que l’original.

La remise du bulletin de paie sous forme électronique est autorisée depuis la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, moyennant l’accord préalable du salarié et à la condition que cette modalité garantisse l’intégrité des données.

À compter du 1er janvier 2017, la norme est inversée : l’employeur peut ainsi procéder à la remise du bulletin de paie sous forme dématérialisée, sauf opposition du salarié. Le décret n° 2016-1762 du 16 décembre dernier, pris en application de l’article 54 de la loi Travail du 8 août 2016, fixe ces nouvelles modalités pour le secteur privé :

– L’employeur doit informer le salarié de son droit d’opposition, un mois avant la première émission du bulletin de paie électronique ou au moment de l’embauche. Et le salarié peut notifier son opposition « à tout moment, préalablement ou postérieurement à la première émission ».

– La disponibilité du document doit être assurée soit pendant une durée de cinquante ans, soit jusqu’à ce que le salarié ait atteint 75 ans. Et le collaborateur concerné doit pouvoir récupérer à tout moment l’intégralité de ses bulletins « sans manipulation complexe ou répétitive, et dans un format électronique structuré et couramment utilisé ».

– Le bulletin de paie digitalisé doit également être accessible via le service en ligne associé au compte personnel d’activité (CPA). Un outil lancé officiellement le 12 janvier dernier, qui vise à regrouper les droits acquis par les salariés au cours de leur carrière (compte personnel de formation, compte personnel de prévention de la pénibilité, compte d’engagement citoyen).

Adopté le 27 avril 2016, le nouveau règlement européen sur la protection des données (RGPD) va imposer aux entreprises de revoir, d’ici au 25 mai 2018, leurs pratiques en matière de politique de conformités Informatique et libertés. Avec deux points clés pour les responsables de traitement et sous-traitants : la protection des données personnelles dès la conception et par défaut (privacy by design).

Et la nécessité de démontrer à tout moment la conformité au règlement (accountability). « Les RH devront mettre en place une structure de preuves pour démontrer qu’ils ont bien respecté les droits des salariés dans ce domaine », précise Alain Bensoussan.

Plus sur le site de la Cnil : www.cnil.fr

À noter que le 8e opus du Vade-mecum juridique sur la digitalisation des documents édité par la Fédération des tiers de confiance du numérique (FNTC) liste les domaines d’application de la dématérialisation, dont le droit social. (www.fntc-numerique.com).

(1) Ensemble de normes applicables depuis le 1er juillet 2016 pour les services d’identification et de transactions électroniques dans le marché unique européen.

Un coffre numérique pour chaque salarié ?

C’est, comme l’explique la Fédération des tiers de confiance du numérique (FNTC), « un espace sécurisé et personnel qui garantit la confidentialité et l’intégrité des contenus qui y sont déposés, dans le respect des normes en vigueur ». Son utilisateur peut y gérer et archiver des documents dématérialisés, qu’ils concernent sa vie professionnelle (comme le bulletin de paie ou son contrat d’embauche) ou personnelle (factures). En dehors du dépôt des documents émanant de l’entreprise, l’employeur n’y a pas accès. Le salarié qui change d’entreprise conserve l’usage de son coffre-fort. « Le coffre Digiposte de La Poste, dont on peut télécharger l’application, est un assistant personnel accessible gratuitement à tous les particuliers, illustre Nadia Amal, de Docapost, groupe La Poste. L’employeur qui dématérialise les bulletins de paie réglera, lui, leur dépôt dans Digiposte et l’archivage pendant cinquante ans.

Quel processus pour la signature électronique ?

« Elle n’a pas de spécificité RH et repose donc sur le droit commun, expose Polyanna Bigle, avocate au cabinet Lexing Alain Bensoussan Avocats, directrice du département dématérialisation et archivage électronique. En vertu de l’article 1366 et 1367 du Code civil, ainsi que du règlement européen eIDAS, le juge ne peut opérer de discrimination entre le papier et le numérique. » « La démarche repose d’une part, sur l’identification du signataire et d’autre part, sur la garantie d’intégrité du document qui est signé puis horodaté, développe Christian Dayaux, directeur commercial et marketing au sein de la société Universign, éditeur d’une plateforme SaaS de signature électronique. En tant que tiers de confiance, nous engageons notre responsabilité pour sécuriser et valider ce processus. » Il existe plusieurs niveaux de signature qui correspondent à une identification de plus en plus forte du signataire. « Par exemple, dans les RH, pour signer un contrat de travail, on utilise généralement le niveau simple car le risque porte sur l’intégrité du document et non sur l’identification, ajoute Christian Dayaux : l’intéressé reçoit alors un mail qui lui permettra d’accéder au document puis de le signer en saisissant un code reçu par SMS ».

Auteur

  • Hélène Truffaut

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