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L’interview

Jean-Marie Harribey : « Le revenu universel s’appuie sur l’idée fausse que le travail n’est plus un facteur d’insertion sociale »

L’interview | publié le : 02.05.2017 | Lydie Colders

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Jean-Marie Harribey : « Le revenu universel s’appuie sur l’idée fausse que le travail n’est plus un facteur d’insertion sociale »

Crédit photo Lydie Colders

Le thème du revenu universel est sorti des débats présidentiels, mais il continuera de susciter la réflexion. C’est une fausse bonne idée. Il serait difficile à financer sans diminuer notre protection sociale et comporterait des effets pervers en poussant à l’individualisation au détriment du collectif. Sans s’attaquer aux problèmes de l’emploi.

E & C : Dans votre livre, vous affirmez votre opposition au revenu universel. Qu’est-ce qui ne vous convainc pas dans sa philosophie ?

Jean-Marie Harribey : La plupart des théoriciens du revenu universel – au sens d’un montant inconditionnel donné à tous tout au long de la vie – considèrent que le travail n’est pas ou n’est plus un facteur essentiel d’insertion sociale. Il ne serait donc pas dommageable que les individus se retirent du travail collectif, et perçoivent quand même un revenu de la société. Cette conclusion est à mon avis erronée. Certes, ces dernières années, les conditions de travail dans nombre d’entreprises et dans le service public se sont beaucoup dégradées. Il n’empêche : toutes les études montrent que les gens veulent s’insérer dans le monde du travail. Pas seulement pour avoir un revenu, mais aussi parce que le travail joue un rôle de sociabilisation important. Le travail est ambivalent : il est à la fois aliéné, exploité et facteur de reconnaissance sociale. Si on veut nier l’un des ses aspects, ce qui est le cas du revenu universel, on se trompe.

Ses partisans affirment qu’il permettrait aux individus de s’investir ailleurs, dans des activités sociales. Vous n’y croyez pas ?

L’idée est que ce revenu assuré encouragerait les gens à s’engager dans d’autres activités, bénévoles ou associatives. Peut-être. Mais si le bénévolat est d’une richesse inestimable pour notre société, le problème est que le lien social ne crée pas de valeur économique, au sens du PIB et donc de la valeur ajoutée. Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas d’autre valeur monétaire, et donc économique, que celle issue du travail. Tous les revenus viennent du travail, qu’il s’agisse des salaires, des cotisations sociales, du profit ou des transferts sociaux. C’est le point central sur lequel butent tous les partisans du revenu universel, le point de son financement, comme s’il pouvait y avoir une richesse monétaire qui tombe du ciel !

D’où, selon vous, le problème de son financement ?

Oui. Le revenu universel coûterait très cher. Si son montant est de 500 euros par mois, il coûterait entre 400 et 500 milliards d’euros par an. Entre 700 et 800 euros par mois, comme le proposent certains, on atteindrait 600 à 700 milliards d’euros par an. Comme son économie est introuvable, il n’est donc pas étonnant de voir, à gauche comme à droite, des propositions politiques de le financer en rognant sur l’assurance-maladie ou les retraites, qui représentent 550 milliards d’euros par an. Le risque serait évidemment de diminuer considérablement notre protection sociale, en matière de prestations maladie ou de pensions de retraite.

Pour ses défenseurs, le revenu de base permettrait néanmoins aux femmes d’éviter d’accepter des temps partiels subis. Vous parlez d’ambigüité à ce sujet…

Certes, si une femme se voit imposer un mi-temps, elle pourrait le refuser si le salaire équivaut au montant de son revenu universel. Mais certaines associations féministes y voient une régression pour les femmes, car cela les inciterait à quitter le marché du travail. De plus, là aussi, l’éducation des enfants ou le travail domestique ne sont pas des valeurs monétaires. Ce n’est pas ce retrait individuel qui va changer les rapports de force. Si les conditions de travail sont détestables dans certains secteurs, il vaut mieux imposer leur amélioration et que les entreprises investissent dans ce domaine. Le problème du revenu universel, c’est qu’en renvoyant la décision à l’individu, il diminue la force du collectif. Il s’inscrit dans la lignée des politiques néolibérales, qui poussent à l’individualisation de la négociation sociale.

Selon vous, il pourrait avoir des effets sur les salaires. Pour quelles raisons ?

Si la collectivité verse le revenu universel, cette sorte de filet général de plusieurs centaines d’euros par mois, le risque est de voir des employeurs, notamment dans les métiers les moins qualifiés et les moins bien rémunérés, ne plus augmenter les salaires, au prétexte que le salarié perçoit déjà un petit minimum garanti. Il pourrait même y avoir une inversion plus terrible, où le salaire deviendrait un complément du revenu universel. C’est pour cela que l’idée séduit aussi certains libéraux, qui y voient un moyen de baisser le Smic.

Que préconisez-vous alors face au chômage de longue durée et à la pauvreté en France ?

Je suis favorable à l’idée de fusionner et d’augmenter certains minimas sociaux – RSA, prime d’activité, allocation spécifique de solidarité, afin de garantir un revenu décent pour les 8,8 millions de Français qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté et les chômeurs en fin de droits, financé par des cotisations sociales ou par l’impôt. Il faut combler tous les manques de prestations, à commencer par les jeunes de 18 à 25 ans qui sont touchés par le chômage. Le montant de cette garantie pourrait être autour de 1 000 euros par mois. Dans ce cas, il conviendrait d’augmenter le Smic pour éviter les effets pervers.

Vous ne croyez pas que l’emploi va diminuer sous l’effet du numérique et de l’intelligence artificielle ?

Les études sur l’impact de la révolution technologique qui détruirait la moitié des emplois d’ici 40 ans me paraissent des prédictions très hasardeuses. Personne ne sait ce que ce sera l’emploi à aussi long terme. Cela dit, je ne crois pas à la fin du travail. Ce n’est pas parce que les politiques de l’emploi n’ont pas marché qu’il faut abandonner les chômeurs en optant pour un revenu de base. On peut revenir à plus d’emploi. Les gains de productivité sont en moyenne très faibles dans l’économie – 1 % contre 5 % dans les années 60 – et, pire, sont détournés au profit de l’actionnariat et de la finance spéculative. C’est ce détournement du capital qui a en partie créé le chômage. Il faut s’attaquer à ce problème. Les gains de productivité devraient, dans les entreprises, être affectés à des projets porteurs comme la transition énergétique et la réduction du temps de travail, pour créer des emplois.

Jean-Marie Harribey Economiste

Parcours

> Ancien maître de conférences en économie à l’université de Bordeaux IV, Jean-Marie Harribey est membre des Économistes atterrés et du conseil scientifique d’Attac. Il est auteur de La Richesse, la Valeur et l’Inestimable (Les Liens qui libèrent, 2013), et a codirigé le livre Faut-il un revenu universel ?, en 2017, aux éditions de l’Atelier.

Lectures

Le Capital, dans Œuvres, Karl Marx, Gallimard, La Pléiade, tomes I et II, 1965, 1968.

Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, John Maynard Keynes, Payot, 1969.

L’Imposture économique, Steve Keen, éditions de l’Atelier, 2014.

Auteur

  • Lydie Colders