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La chronique juridique d’avosial

Tendance | publié le : 25.04.2017 | Florent Millot

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La chronique juridique d’avosial

Crédit photo Florent Millot

Fait religieux en entreprise : quelques précisions sont encore nécessaires

Un arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 1er février 2017 (16-10459) a retenu l’attention de beaucoup de commentateurs. Sans doute parce que cet arrêt traite du fait religieux dans la relation de travail. Sans doute aussi au regard des faits : a été déclaré nul le licenciement d’une salariée de la RATP qui avait refusé de prêter serment devant le tribunal, dans la forme qui lui était demandée, au motif de sa foi. L’assermentation étant une condition nécessaire pour exercer dans son emploi, la RATP avait rompu le contrat pour faute grave.

S’agissant de la prise en compte du fait religieux dans l’entreprise, les juges nationaux et européens ont eu l’occasion de dégager des principes qui se rejoignent :

– Dans un arrêt du 25 juin 2014 (13-28369), la Cour de cassation a posé le principe suivant : « Les restrictions à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. »

– La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), pour sa part, s’assure que la règle interne vise indifféremment toute manifestation de conviction et traite de manière identique tous les travailleurs de l’entreprise. La discrimination directe ainsi écartée, elle préconise de s’assurer ensuite que la règle n’aboutit pas à un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données. Si tel était le cas, la discrimination indirecte pourrait être écartée si elle répond à un objectif légitime et si les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

La décision du 1er février 2017 semble faire application de ces principes puisqu’y est relevé que le serment peut être reçu « selon les formes en usage dans leur religion » et rappelle que la salariée avait proposé une formulation alternative. La Cour semble donc signifier que le tribunal aurait pu, dans une approche proportionnée, accepter la formulation de la salariée qui permettait de concilier l’obligation de prêter serment pour accéder à son emploi et ses convictions religieuses.

La solution est toutefois surprenante. Outre le fait que l’entreprise n’était pas fautive (c’est le tribunal qui avait refusé le serment de la salariée), en déclarant le licenciement nul, la décision peut signifier que l’employeur doit adapter les normes internes à l’entreprise pour les concilier avec les convictions religieuses. Cette conséquence de l’arrêt du 1er février 2017 tient au fait que, contrairement aux décisions précédemment évoquées, il ne s’agissait pas de la manifestation d’une appartenance religieuse sur le lieu de travail, mais d’une revendication à voir la règle applicable adaptée à la conviction religieuse.

Pourtant, dans un arrêt du 24 mars 1998 (95-44738), le licenciement d’un boucher refusant le contact avec la viande de porc, compte tenu de sa religion, avait été déclaré justifié. Au vu de la décision du 1er février 2017 on peut se demander si dorénavant la Cour n’examinerait pas, préalablement, si la poursuite de la relation de travail n’est pas envisageable, via par exemple un aménagement du poste.

La différence entre la décision du 24 mars 1998 et celle du 1er février 2017 tient sans doute au fait que, dans ce dernier cas, le serment ne répond à aucune forme prescrite. À l’inverse, dans la décision du 24 mars 1998, les tâches du boucher avaient dû être clairement définies dès son embauche.

L’incertitude sur la lecture qu’il convient d’avoir de cette décision (non publiée au bulletin des arrêts de la Cour de cassation) doit conforter les entreprises dans leurs démarches de formalisation des règles, notamment via le règlement intérieur. Pour mémoire, la loi du 8 août 2016 ouvre la faculté d’insérer dans le règlement intérieur un principe de neutralité dans la manifestation des convictions religieuses.

Auteur

  • Florent Millot