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L’enquête

Avis d’experts : Moins de temps, moins d’argent, plus de digital

L’enquête | publié le : 04.04.2017 | L. G.

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Avis d’experts : Moins de temps, moins d’argent, plus de digital

Crédit photo L. G.

L’entretien professionnel et la digitalisation des échanges prennent de plus en plus de place dans les processus d’analyse des besoins de formation, au détriment d’un travail fondé sur des rapports humains directs, estiment cinq consultants qui ont répondu à nos questions.

Cinq experts expriment leur vision de l’analyse des besoins en formation menée par les entreprises aujourd’hui. Il s’agit de Céline Delort, Pdg du cabinet d’externalisation de la formation Alithia, de Bernard Masingue, consultant associé Entreprise & Personnel, d’Alain Meignant, consultant, de Christophe Parmentier, dirigeant du Cabinet Clava, et de Philippe Joffre, Pdg du cabinet de conseil et d’externalisation de la formation Paradoxes.

Les entreprises ont-elles de nouvelles manières d’analyser et de faire remonter les besoins en formation ?

Céline Delort : J’ai l’impression que ces analyses sont fondées sur moins de remontées du terrain, par l’humain, et sur davantage de remontées par l’entretien professionnel, assisté par le digital, ce qui amène une distanciation. À mon avis, 70 % des besoins émanent désormais d’une consolidation de ces demandes lors de l’entretien professionnel. Les responsables formation ont moins de temps pour interroger le terrain. Beaucoup demandent simplement aux encadrants « quels sont les besoins de ton équipe ? ». C’est fait à la va-vite, on n’en parle pas, et ça crée la frustration de tous.

Christophe Parmentier : Le recueil est plus individualisé depuis la mise en œuvre systématique de l’entretien professionnel. Les besoins collectifs relevant de la vision du management sont moins concernés par une analyse exhaustive, moins bien explorés et n’ont sans doute pas beaucoup évolué. Ces demandes collectives bénéficient, malgré tout, d’un formalisme plus concis, moins littéraire, plus pragmatique.

Philippe Joffre : Ce n’était pas forcément mieux avant, mais certains responsables formation sont à l’évidence moins nourris par les réflexes de GPEC, d’ingénierie de formation voire de questionnement et d’analyse du travail. Au profit d’une culture plus proche du business et de la performance terrain. On gagne d’un côté ce que l’on perd de l’autre, surtout dans les grandes entreprises et grands groupes. Il y a effectivement parfois une dimension un peu régressive, et le bébé de l’analyse collective et de la réflexion sur l’ingénierie est jeté avec l’eau du bain !

Alain Meignant : Il y a aussi un axe technologique important. Les plates-formes LMS donnent accès aux salariés, à leur initiative, à des modules de formation, des tutoriels… Cette souplesse remet en cause sérieusement la lourdeur d’élaboration du plan de formation.

Quelle est, selon vous, l’influence de la réforme de 2014 dans ces constats ?

Philippe Joffre : Les logiques de la réforme – entretien professionnel, suivi à six ans, formations certifiantes, logique d’évolution professionnelle… – poussent à mieux gérer les démarches individuelles.

Alain Meignant : La réforme a libéré l’initiative en matière de réorganisation, d’automatisation de processus, de digitalisation, d’externalisation, de montée en expertise de ceux qui restent, etc. C’est particulièrement vrai pour les entreprises qui ne sont plus soumises à l’obligation de 0,9 % pour le plan. Pour les obligations légales, les entreprises restent contraintes, mais sont à la recherche d’optimum pédagogiques et financiers.

Par ailleurs, il y a le CPF. Il permet en principe de faire une distinction claire entre un objectif de formation d’un salarié dans le cadre de l’entreprise, et le besoin individuel d’un salarié selon un projet personnel. En réalité, cette distinction est floue. Une entreprise peut désirer soutenir le projet d’un salarié, et les Opacif et les Opca savent monter des financements mixtes. L’entreprise doit alors clarifier l’objectif individuel visé, la faisabilité de la réponse formation et soutenir ou pas le projet.

Bernard Masingue : Avec le 1 %, le conseil en évolution professionnelle, l’entretien professionnel…, la loi de 2014, dans une certaine mesure, autorise à externaliser la gestion de la formation professionnelle des salariés autres que ceux des cœurs de métier. La question de l’employabilité de ces salariés est alors laissée aux initiatives individuelles. Certaines peuvent venir d’un management lucide, et être honorées y compris par du cofinancement.

La pratique de l’appel d’offres sur cahier des charges n’a pourtant jamais été aussi fréquente et poussée. Est-ce un signe de bonne analyse des besoins ?

Céline Delort : Les appels d’offres sont très fréquents du fait des tensions financières. Mais il y a peu de vrais intra sur mesure, car on ne reçoit pas de réponse aux questions spécifiques sur les processus, les besoins… Souvent le responsable formation ne sait que répondre et le service concerné ne dit rien. Le temps de la conception en devient très réduit. On nous demande de transformer l’inter en intra, ou de l’intra de trois jours en intra sur deux jours. Soit sans préciser ce qu’il faut supprimer, ou alors en retirant les exercices qui sont justement les moments d’ancrage pédagogique. C’est surtout vrai dans les grosses entreprises, et les justifications sont très peu argumentées. Il ne faut pas se faire d’illusion : un mauvais recueil se retrouvera toujours dans l’évaluation.

Faire payer aux clients les heures de préparation est devenu impossible. Sauf en mission d’externalisation quand on peut reprendre sur la base de notre audit : qui a besoin de quoi pour quoi ? Mais c’est chronophage.

Philippe Joffre : Les cahiers des charges sont parfois moins fins en termes d’analyse de compétences, au profit de la mise en avant des notions d’agilité, de prix et certification, par exemple, mais il ne faut pas généraliser. L’ennui est que certains responsables formation donnent l’impression de juger les réponses des prestataires, surtout sur ce qu’il y a autour de leur cœur de métier : les réponses rapides, brillantes, facialement innovantes semblent privilégiées et davantage considérées que celles insistant sur la qualité pédagogique.

Comment expliquez-vous ces constats ?

Céline Delort : La faute est collective : les opérationnels n’aiment pas avouer leur manque, parce qu’il n’est pas facile de dire qu’on a un problème à un “RH”. Et les responsables formation et les n + 1 ne questionnent pas assez. Ils ne laissent pas assez réfléchir la personne sur ses besoins. La peur du vide les pousse à trouver trop vite des solutions.

Un éclairage : lors de notre speed dating de l’achat de formation de mi-décembre 2016. Même en situation de sourcing ouvert, les demandes étaient très peu précises : « Je cherche du développement personnel, de la bureautique, de l’anglais, de la gamification… », nous répondaient nombre de responsables formation en préparation de cette journée : c’est très vague.

Un autre éclairage : début mars, nous avons réuni 25 responsables formation sur les questions de datadock et de qualité. On ne les a pas sentis très concernés. Alors même que la logique datadock n’est vraiment pas simple à intégrer pour les prestataires qui font du vrai sur-mesure.

Philippe Joffre : Il n’y a pas encore de grand souffle libérateur. C’est encore très réglementé et encadré, dans le légal comme dans l’extralégal, alors qu’était espérée une sortie de la vision administrative et poussiéreuse de la fonction formation. Il n’y a jamais eu autant d’administrations pour tracer ce qui est fait : dossiers, qualité, cofinancements, formations certifiantes… Par ailleurs, pas une seule entreprise n’a véritablement remis à plat la notion d’action de formation. On assiste à un recentrage du responsable formation sur le légal, parfois par la recréation de contraintes qui devraient disparaître.

Bernard Masingue : La réforme de 2014 n’a pas été “digérée”. Habitués à gérer le plan dans sa logique fiscale et mutualisée, les services formation ont perdu la main sur le pilotage d’une politique. Le service de formation n’est souvent plus qu’une entité administrative en charge de l’adéquation des procédures et du reporting pour le dialogue social et le bilan social.

Dans quelles conditions remarquez-vous des pratiques nouvelles ?

Céline Delort : Les responsables formation qui ont une culture d’auditeur et/ou de recruteur, ainsi que certains opérationnels bien formés en RH, font mieux l’analyse de besoin. À l’inverse, les responsables formation venant de l’opérationnel mais non formés aux RH – ou alors ceux formés aux questions de financement et d’actualité juridique mais pas aux techniques métiers – ne questionnent pas bien. Beaucoup dans cette population et dans les directions pensent que le questionnement du besoin vient naturellement : c’est faux. Les meilleurs retours d’analyse de besoin interviennent quand on cumule les réponses du salarié et de son n + 1.

Philippe Joffre : Un vent nouveau passe parfois par les managers et les directeurs opérationnels qui intègrent la FPC dans leur projet business. La libération des formes, objectifs, moyens, nature d’intervention existe alors. Même si on ne la voit pas par le prisme du service formation et même RH.

Bernard Masingue : En effet, le service de formation ne joue alors qu’un rôle d’agent administratif. La formation est pilotée par le “métier”, avec l’appui d’un prestataire externe, producteur des formations décidées, ou associé à un “pool” de réalisation, et pas nécessairement rémunérés sur le budget de la formation.

Alain Meignant : Cet aspect budgétaire est en effet important. L’affectation en fin d’année d’allocations financières sera de plus en plus obsolète. L’attribution en cours d’année d’enveloppes budgétaires, par objectifs, en fonction de besoins individuels, devrait devenir la règle.

Qu’est ce qui vous rend optimistes sur le moyen-long terme ?

Philippe Joffre : La certification et la multimodalité : elles poussent à s’interroger sur la diversification des pratiques, la formation en situation de travail, les contraintes de prix, d’efficacité et de grand nombre à former. Par ailleurs, les travaux sur les blocs de compétences vont renforcer le lien entre référentiels d’activité, de compétences et de certification, et favoriser une analyse et une ingénierie plus maîtrisées.

Bernard Masingue : Les questions de la plus-value de pilotage des services de formation et du professionnalisme des RF se posent. Une partie du renouvellement passera par un changement générationnel.

Alain Meignant : Le vieux slogan « l’entreprise n’a pas besoin de formation, elle a besoin de gens compétents » retrouve actuellement toute sa vigueur interrogative. Le besoin de formation ne s’évalue pas en lui-même, mais dans la contribution d’une formation à la résolution d’un problème. Ce n’est pas nouveau, mais le contexte est plus favorable à une évolution des pratiques.

Les professionnels de la formation vont-ils savoir se détacher des contenus et de l’administration pour se centrer sur la valeur ajoutée ? Le renouveau pour le modèle d’évaluation de Kirkpatrick, et ses niveaux 3 et 4, est-il un signe favorable en ce sens ?

Auteur

  • L. G.