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Marque employeur : Transparence : les DRH aussi sont concernés

L’enquête | publié le : 28.03.2017 | Hélène Truffaut

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Marque employeur : Transparence : les DRH aussi sont concernés

Crédit photo Hélène Truffaut

Que cela leur plaise ou non, les employeurs sont notés, jaugés, évalués… Gare à ceux qui tiennent encore un discours décalé par rapport à ce qui se passe sur le terrain. Les jeunes générations de candidats et de salariés, particulièrement bien informées, veulent de l’« authentique ». Et attendent de la clarté sur les processus RH.

Le citoyen réclame de la transparence dans la vie publique, le consommateur en demande sur la composition des produits qu’il achète. Le salarié serait-il moins exigeant vis-à-vis de son entreprise et de son travail ? Rien n’est moins sûr. Si l’on en croit certains professionnels du recrutement et du conseil RH, les employeurs auraient même intérêt à se saisir rapidement de cette problématique. D’abord, pour la bonne et simple raison que les jeunes générations, particulièrement ouvertes aux réseaux sociaux et toujours promptes à partager, disposent maintenant d’une source inépuisable d’informations en ligne sur les processus RH des organisations.

« Authenticité et transparence » étaient d’ailleurs les thèmes du dernier #rmsconf, événement annuel dédié à l’innovation dans le recrutement et le marketing employeur. L’authenticité ? Elle se manifeste par une image moins aseptisée, plus humaine de l’entreprise, véhiculée par des collaborateurs plus ou moins actifs sur les médias sociaux. « Les visages et les voix de la marque », résume Jean-Christophe Anna, directeur général de #rmstouch – société spécialisée dans le recrutement, le marketing employeur et la digitalisation RH – et organisateur de la manifestation. Des sujets qui se sont imposés comme une évidence au moment de préparer l’édition 2016 : « Je voyais ces tendances s’inscrire dans la durée, et c’était une thématique plus transverse, moins prospectiviste et moins clivante que le big data que nous avions choisi précédemment. »

Avis participatifs

La question n’est pas nouvelle : dès l’avènement des premiers forums de discussion sur Internet, des salariés, informaticiens en tête, ont commencé à parler de leur entreprise. Et les SSII, à la réputation peu flatteuse, ont été les premières cibles. Aujourd’hui, des sites tels que Glassdoor (créé en 2007 aux États-Unis et arrivé en France à l’automne 2014) ou Meilleures entreprises recueillent et compilent les avis des internautes sur leurs expériences candidat et salarié, depuis les questions qui sont posées à l’entretien d’embauche, jusqu’au salaire et au style de management. En 2015, le réseau social professionnel Viadeo proposait aussi ce type de fonctionnalités. Difficile, pour les entreprises, de faire l’autruche face à ces “TripAdvisors” de l’emploi.

Pour Jean-Christophe Anna, « on va de plus en plus voir apparaître ces évaluations sur les offres publiées sur les sites emploi, prédit-il. On peut même imaginer que les entreprises choisissent de jouer la transparence absolue en les faisant directement remonter sur leur site carrières ». Créé il y a cinq ans, Meilleures entreprises s’est engouffré dans cette voie (lire encadré p. 20). « Une grande partie de la communication d’entreprise repose aujourd’hui sur des avis participatifs, expose Laurent Labbé, fondateur de la plate-forme. En publiant des salaires et des avis, nous nous inscrivons dans cette tendance qui est vertueuse, dans le sens où elle oblige les employeurs à être bons et à travailler l’interne et l’externe de manière cohérente : leur discours doit être véridique. Communiquer sur les grilles salariales, par exemple, implique de savoir les objectiver, donc d’avoir des managers formés aux problématiques de rémunération, etc. »

Et qui de mieux que les collaborateurs eux-mêmes pour témoigner de la bonne gestion des RH, des perspectives de carrière, et de la réalité même des métiers qui se cachent derrière les offres d’emploi ? Le mouvement a décollé il y a deux ou trois ans (lire Entreprise et Carrières n° 1230). Il s’accélère avec la mise à disposition de nouvelles solutions, tel Welcome to the Jungle, apparu en 2015. Les cibles de ce site de recrutement d’un nouveau genre ? Les petites et moyennes entreprises prêtes à jouer la transparence sur ce qu’elles sont, d’une part. Et les chercheurs d’emploi en quête d’une “tribu” (le site en compte plus de 400 actuellement) et de valeurs qui lui correspondent, d’autre part. Chaque employeur peut s’y construire un profil complet, photos et interviews vidéos de collaborateurs à l’appui, dans une ambiance souvent bon enfant.

« Il est de plus en plus difficile d’attirer des candidats sur certains postes, reconnaît Carlos Goncalves, cofondateur du site d’offres d’emploi Jobintree. Une simple annonce avec la fonction, le profil de poste et le salaire ne leur suffit plus. Ils veulent connaître le projet de l’entreprise, savoir comment ils seront considérés, avec qui ils vont travailler, etc. D’où l’intérêt pour eux de pouvoir communiquer directement avec des salariés occupant une fonction similaire à celle à laquelle ils prétendent. » Jobintree s’est donc tourné vers PathMotion, éditeur d’une plate-forme permettant le dialogue entre candidats et collaborateurs. Et certaines offres du site sont ainsi dotées d’un bouton “discuter” amenant le postulant sur une page de “chat modéré” avec des référents de l’entreprise, qu’ils soient métier ou RH.

Informations centralisées

L’idée est finalement « de tout offrir sur un plateau : plutôt que d’avoir l’annonce d’un côté et les informations de l’autre, l’offre – qui est le début de l’expérience candidat – concentre toutes les informations avec du contenu enrichi et multimédia. C’est le marketing produit qui arrive en RH », expose Jean-Christophe Anna. Le cabinet d’audit et de conseil Deloitte a récemment adopté cette formule (lire p. 22).

De quoi répondre aux légitimes interrogations des jeunes générations de salariés, qui veulent non seulement savoir où ils mettent le pied, mais réclament aussi une équité de traitement : « Les fonctionnements opaques et les non-dits sont de moins en moins acceptables », convient Fabienne Autier, professeure chercheuse en GRH à EM Lyon business school (lire p. 23).

Chez MeilleursAgents (spécialiste des prix de l’immobilier, créé il y a huit ans) – dont les offres figurent sur Welcome to the Jungle –, le sujet n’est pas pris à la légère. D’autant que cette entreprise en forte croissance chasse des développeurs informatiques très sollicités. Et compte passer, dans les six mois, de 130 à 170 collaborateurs. Au sein de l’effectif, beaucoup de “Y” et de “Z”, pour une moyenne d’âge de 32 ans. Une population effectivement soucieuse d’équité, convient Thibault Remy, DAF et DRH. Et « en quête de sens ».

« Ils veulent sentir qu’ils sont là pour faire la différence, que leur travail a un impact sur l’activité et le projet de l’entreprise. Ils ont aussi besoin d’être accompagnés dans leur gestion de carrière. Il est important de communiquer au plus tôt sur ces sujets, car le recrutement n’est pas à sens unique : le candidat “achète” aussi une entreprise dans laquelle il pourra grandir », estime-t-il. De fait, MeilleursAgents a ainsi mis sur pied des parcours de carrière à quatre niveaux avec les objectifs à atteindre et les grilles de salaires associées pour toutes les équipes de plus de quatre personnes, soit les trois quarts de l’effectif (conseillers immobiliers, commerciaux sédentaires B2C, assistants administratifs…).

Se posait néanmoins la question des postes uniques, par exemple occupés par des développeurs aux compétences spécifiques. Des profils qui peuvent augmenter leur salaire de 10 % à 20 % en changeant simplement d’entreprise, décrit Thibault Rémy. « Nous sommes obligés d’en tenir compte. Au début, ces différences de salaires entre métiers étaient compliquées pour nous à gérer, et nous n’avions pas réfléchi à la gestion de carrière de ces salariés. Aujourd’hui, tout en reconnaissant la nécessité de nous aligner sur le marché, nous leur proposons aussi une progression de carrière adaptée, répondant à leurs attentes et à celles de l’entreprise. » Avec un impératif pour le DRH : « éviter de générer un sentiment d’injustice ou de créer de la frustration ».

Certaines organisations vont très loin dans leur démarche de transparence. Tel Camif Matelsom (équipement de la maison sur Internet), grand adepte de l’intelligence collective, qui a récemment confié à quelques collaborateurs le soin d’élaborer le budget, tous les salariés disposant par ailleurs d’un reporting mensuel d’une centaine de pages contenant toute l’information financière (lire Entreprise & Carrières n° 1313). Chez Lucca, éditeur de logiciels RH, on n’a pas grand-chose à cacher non plus. Et ce sont les salariés eux-mêmes qui fixent leurs augmentations de salaire (lire p. 21).

Devoir d’informer ?

Tout est-il bon à dire ? Pour Laurent Labbé, il n’est pas question d’être transparent sur tout, mais de l’être sur ce qui intéresse les candidats. « Les entreprises ne vont de toute façon pas communiquer sur quelque chose qui ne fonctionne pas bien, par exemple, lorsqu’elles sortent d’un PSE ou qu’elles mettent en place leur premier programme de stage, avec des managers qui n’ont jamais encadré de stagiaires. »

Jean-Christophe Anna estime, lui, que les entreprises ont le devoir d’informer sur à peu près tous les sujets, y compris ceux qui semblent les plus difficiles à aborder. Depuis la rémunération – « qui ne figure pas toujours sur l’offre et qui est rarement abordée lors du premier entretien, alors qu’elle peut finalement décourager le candidat au bout du troisième », illustre-t-il – jusqu’aux problématiques de qualité de vie et de santé au travail, de climat social, etc. « Il faut pouvoir montrer l’envers du décor, dire à un candidat que l’environnement peut être stressant et qu’il aura une certaine pression à gérer. Les entreprises gagneraient à être plus précises sur ces aspects, pour éviter au tout-venant de postuler. » Pour le directeur général de #rmstouch, « les employeurs devraient également être transparents sur ce qu’ils savent de l’évolution des métiers au sein de leur organisation, notamment des impacts de l’automatisation. Et être capables de dire : voilà ce qui se passe chez nous, mais nous sommes prêts à vous former. Y compris pour rejoindre une autre entreprise ! » Pas gagné…

Certes, « l’écart entre ce que l’entreprise donne à voir avant le recrutement et ce qui se passe ensuite sur terrain se réduit », convient Fabienne Autier. Pour autant, selon la Dares (Analyses, janvier 2015), plus d’un tiers des CDI sont rompus avant un an – plus de 45 % chez les moins de 24 ans. Et le premier motif de rupture est la démission : 22,8 % des cas chez les plus jeunes, contre 15,7 % chez les 25-34 ans ! La transparence et l’équité seraient-elles des antidotes ? Fabienne Autier y voit, elle, « des conditions nécessaires, mais non suffisantes, à la motivation des salariés ».

L’avis de la responsable RH Virginia Comte responsable du développement RH de Davidson consulting
« Permettre à chacun de prendre part au projet de l’entreprise »

La transparence n’est pas une mode. C’est un besoin de plus en plus fort, qui se matérialise d’abord par une demande de reconnaissance. Nous sommes une société de conseil de 2 000 personnes, spécialisée dans les télécoms et le digital, et nous employons beaucoup de profils techniques très recherchés. Nous voyons bien que les jeunes ont besoin de comprendre le sens de leur travail pour s’épanouir. Ils veulent être considérés chacun différemment pour ce qu’ils sont et ce qu’ils apportent à l’entreprise.

Il est important de donner de la transparence sur le fonctionnement de l’organisation, les objectifs poursuivis, les budgets mis en place pour l’année, les perspectives de carrière afin qu’ils puissent se projeter. Mais la transparence passe aussi par le fait de permettre à chacun de prendre part au projet de l’entreprise. Nous réunissons ainsi nos salariés une fois par an pour les interroger sur les prochains enjeux. Ils hiérarchisent les sujets et trois collaborateurs – une triade – se voient confier un thème de réflexion qu’ils traitent de manière autonome.

C’est une démarche que nous avons mise en place il y a trois ou quatre ans. Et qui a notamment débouché sur la digitalisation de l’entretien professionnel. Aujourd’hui, toutes les actions menées dans le cadre du parcours d’un salarié, qu’il ait, par exemple, suivi des formations ou lui-même animé des formations internes, sont notifiées dans l’outil et donnent lieu à une cotation. C’est très apprécié, car cela permet de préparer les entretiens en toute transparence et il y a moins d’insatisfaction.

Les triades ont également donné naissance à “Something You Should Know”, une application permettant aux managers de s’échanger du feedback – des messages positifs en champ libre ou des “irritants” prédéfinis – de manière anonyme. Bien peu d’entreprises permettent ce type d’évaluation entre pairs.

Ces démarches et outils témoignent du fait que tout ne vient pas de la hiérarchie. Et que nous sommes tous dans le même bateau. Hormis certains thèmes stratégiques qui doivent rester confidentiels, plus l’entreprise est transparente, plus le salarié est conscient de sa contribution, et plus cela génère de la valeur ajoutée. Nous misons beaucoup sur ce modèle.

Soigner l’entrée… et la sortie

« Il est rare que les entreprises soient transparentes sur le processus de recrutement. Or il est important que les candidats sachent où ils en sont, soutient Vincent Rostaing, fondateur de Le Cairn 4 IT, société nantaise positionnée sur la gestion du cycle de vie des talents. Nous jouons, pour notre part, sur le raccourcissement des délais, en ramenant, pour nos clients, le processus complet à un mois, avec des échéances claires pour chaque étape : réception des candidatures, sélection des CV, entretiens… » Ce qui, d’une part, « incite les candidats passifs à se déclarer plus facilement » – un effet vente flash comme en supermarché, en quelque sorte. Et d’autre part, « contraint toutes les personnes concernées en interne, y compris les opérationnels, à se caler sur ce processus ». Par ailleurs, certains employeurs ont aujourd’hui bien compris l’intérêt d’expliquer aux intéressés les raisons qui ont amené l’entreprise à refuser leur candidature. « Les gens qui nous rejoignent doivent pouvoir progresser et grandir. C’est valable aussi pour les candidats », assure Thibault Remy, DRH de MeilleursAgents (lire p. 19). D’autant que l’« expérience candidat » se colporte aussi sur les réseaux sociaux…

À quand l’expérience « sortant » ? Pour Vincent Rostaing, c’est une étape à ne surtout pas négliger. « Le collaborateur devrait pouvoir parler de sa démotivation, de même que l’entreprise devrait expliquer, dès l’entretien d’embauche, pourquoi elle pourrait éventuellement mettre fin au contrat. Et s’attacher à « construire » les sorties. Car un salarié qui se retrouve chez un fournisseur ou un client de son ex-employeur peut aussi bien y faire sa pub que lui savonner la planche ! »

Auteur

  • Hélène Truffaut