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L’enquête

Michel Barabel Responsable du Master 2 GRH dans les multinationales, IAE Gustave-Eiffel

L’enquête | L’interview | publié le : 14.03.2017 | Marie-Madeleine Sève

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Michel Barabel Responsable du Master 2 GRH dans les multinationales, IAE Gustave-Eiffel

Crédit photo Marie-Madeleine Sève

« Nous sommes entrés dans la troisième ère des compétences clés, vitales pour l’entreprise, celle des mad skills »

Selon vous, la révolution digitale et les évolutions de l’environnement rebattent les cartes des compétences nécessaires à l’entreprise. Celles-ci ne seraient plus en priorité, ni hard, ni soft mais mad (farfelues)…

En effet, les compétences techniques – les hard skills –, sont liées au monde taylorien, à l’industrie du début du 20e siècle qui recherchait la maîtrise du métier, les bons gestes, le respect des règles et du chef. Depuis les années 1980-1990, on parle de soft skills, pour désigner les compétences comportementales, qui permettent à l’entreprise de faire face à la complexité et à l’imprévisibilité du monde. Avec l’explosion des data, la numérisation de l’économie, la robotisation, les soft skills ont pris de la valeur. Elles l’emportent sur les hard skills et se sont même enrichies de la capacité à débusquer des informations rares, à trouver la bonne information au bon moment, à gérer le flux d’informations (l’infobésité), à les analyser, à prendre la bonne décision. Toutefois, le danger pour l’entreprise, c’est l’orthodoxie, la conformité et l’homogénéité culturelle, la poussant à recruter des profils dont les attitudes collent avec ses codes, ses usages, ses valeurs, dans une logique de “bon petit soldat”. Ce qui conduit au clonage des collaborateurs. Or, dans l’univers digital, c’est le collectif qui gagne. Un collectif qui doit être le plus hétérogène possible, avec des personnalités diverses, atypiques, qui combinées les unes aux autres, et avec des profils plus traditionnels, font la force de l’équipe. Cette mixité est d’autant plus vitale, que pour s’adapter aux variations rapides de l’environnement (économique, législatif), l’entreprise sera amenée à se régénérer tous les 18 mois. Celle-ci sera donc poussée à intégrer des collaborateurs « déviants », singuliers, capables d’apporter des idées disruptives et de diffuser une culture de l’intelligence collective. Qui soient, en somme, porteurs de mad skills, des compétences “folles”, hors des normes maison.

Comment caractérisez-vous ces compétences “folles” ?

Je parle là d’originalité, d’esprit décalé, d’autonomie de pensée, d’aptitude à innover, à défendre une opinion face à la majorité. Des “rebelles constructifs”, en quelque sorte. Ce sont les Anglo-Saxons qui utilisent ce terme de mad skills. Il est déjà associé à plus de 1 000 annonces de recrutement aux États-Unis sur le site leader Monster telles que « We’re looking for talent with mad skills ». À rapprocher de ce qu’on peut lire sur le site Web du cabinet de conseil Weave : « Votre parcours contribue à notre richesse. Anciens membres de l’équipe de France de ski, de hockey et de CSO (concours de saut d’obstacles), coureurs de marathons et d’ultratrails, écrivains, musiciens et choristes, diacres sont autant de profils qui illustrent notre diversité. » Pour réussir la greffe et faire jaillir l’innovation, les RH ont pour rôle de protéger les atypiques contre la tyrannie de la moyenne. La majorité essaiera alors de comprendre pourquoi les individus “déviants” s’obstinent sur leurs positions iconoclastes, et se laissera convaincre petit à petit.

En matière de mad skills, comment les DRH doivent-ils procéder ?

L’approche de ces compétences “folles” ne doit pas se voir comme l’identification de nouvelles compétences clés et normées, mais plutôt comme un processus en trois étapes : réaliser un diagnostic partagé du stock de compétences collectives, investiguer tous azimuts pour rechercher les salariés décalés, et créer les conditions d’un environnement favorable à l’épanouissement de ces salariés “mad skills” afin qu’ils donnent toute leur mesure. Dès lors, il ne s’agit plus pour le DRH d’acculturer mais de valoriser les différences.

En quoi cela change-t-il les politiques et les pratiques RH ?

Cela va les bouleverser. Tous les outils RH classiques sont remis en question. Par exemple, pour dénicher ces soft skills atypiques, les DRH ne vont plus pouvoir se contenter des CV et des lettres de motivation. Thierry Baril, le DRH d’Airbus, déclarait récemment que le CV était kitsch, parce que pour un débutant, il se résume à du remplissage, et que désormais, les talents s’identifient eux-mêmes, se cooptant sur les réseaux sociaux. D’autres modes de recrutement émergent, comme les hackatons, qui mettent en concurrence des équipes ou des individus, sur un temps court et sous des formes ludiques, en particulier en vue de pourvoir des jobs de développeurs. Là, les profils atypiques ont leurs chances, car ce sont les compétences comportementales qui comptent et pas le diplôme, ni le parcours. Les fiches de postes figées n’auront plus de pertinence non plus, puisque dans un univers digital, les salariés travaillent par projets, sur plusieurs missions éphémères en parallèle. Au bout de six mois, un an, les compétences décrites seraient obsolètes.

Mais peut-on délaisser l’évaluation de la performance ?

Non, bien sûr. Cependant les modalités se modifient. Ce n’est plus le bon élève que le DRH a intérêt à recruter, à évaluer, à reconnaître, mais un potentiel, ses capacités à ajuster, à ressentir, à explorer, à sortir des clous, bien avant l’adaptation au poste, un facteur-clé il y a trente ans mais qui cède de plus en plus de terrain. Il lui faut également se préparer à passer de la gestion verticale du salarié, évalué par son n + 1, à une cogestion par l’ensemble des collaborateurs, chacun appréciant la contribution de ses pairs au projet, et pas seulement sur le plan technique. Le DRH doit revoir le code ADN de son entreprise !

Auteur

  • Marie-Madeleine Sève