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Rémunération globale : Faire de l’interessement un outil de management

L’enquête | publié le : 21.02.2017 | Hélène Truffaut

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Rémunération globale : Faire de l’interessement un outil de management

Crédit photo Hélène Truffaut

Facultatif, l’intéressement est pourtant devenu un incontournable du package global de rémunération. Mais souvent avec une formule de calcul reposant sur des critères financiers éloignés des préoccupations du terrain. Autant dire une « participation bis ». Le dispositif laisse pourtant aux entreprises toute latitude pour en faire un instrument au service de la performance.

Le bond du forfait social à 20 % à l’été 2012 a été digéré ; le « Perco plus » et son forfait social à 16 % institué par la loi Macron a permis de relâcher un peu la pression (lire Entreprise & Carrière n° 1295). Et la crise s’éloigne à petits pas… Une embellie en vue pour les packages de rémunération globale des salariés ?

Si l’on en croit les enquêtes menées à l’automne dernier par les différents cabinets de conseil en rémunération, les entreprises n’étaient toujours pas prêtes à lâcher du lest pour la NAO 2017, les budgets prévisionnels d’augmentation salariale demeurant, faute de visibilité, à « des niveaux historiquement bas(1) », commentait alors Vincent Cornet, responsable de l’activité conseil en rémunération d’Aon Hewitt. Et l’optimisation de la masse salariale est toujours une préoccupation majeure des DRH.

Les employeurs profiteront-ils de l’occasion pour mettre le partage de la valeur ajoutée sur la table ? C’est en tout cas ce que prévoit la loi Rebsamen qui, depuis janvier 2016, a regroupé en trois thèmes les négociations annuelles et pluriannuelles, l’un des libellés étant « rémunération, temps de travail et partage de la valeur ajoutée ». Un gros point de vigilance pour la CFE-CGC, car « rien n’est contraint et les directions nous opposent systématiquement un refus d’aller sur ce terrain, en expliquant qu’elles ont déjà mis des choses en place et qu’elles ne sont, du coup, pas concernées », peste Gérard Mardiné, secrétaire national, notamment en charge de l’économie au sein du syndicat de l’encadrement.

Partage déséquilibré

Lequel dénonce, en outre, un déséquilibre accru de ce partage de la valeur ajoutée : « Il profite de plus en plus aux actionnaires, au détriment des salariés mais également de l’investissement », estime-t-il. Un sentiment que confirme d’ailleurs le dernier baromètre de partage du profit dans les entreprises du SBF 120 établi par la société de conseil et de gestion Eres, et publié le 7 décembre 2016 (lire Entreprise & Carrières n° 1315). Selon cette enquête, les primes de partage du profit (participation, intéressement, abondement PEE et Perco) ont globalement été, en 2015, quatre fois moins élevées que les dividendes versés aux actionnaires – elles représentent 26 % des dividendes, contre 32 % en 2011.

Il n’empêche. Aujourd’hui, le dispositif facultatif de l’intéressement est, du moins dans les entreprises d’une certaine taille, « un incontournable du package global de rémunération, souligne Loïc Saroul, consultant senior en rémunération globale chez Aon Hewitt. Chez nos clients, à partir de 300 ou 400 salariés, il est présent dans 80 % des cas, les entreprises non équipées étant généralement des filiales de multinationales anglo-saxonnes qui se conforment à des politiques de groupe ». Et les montants de l’intéressement sont en moyenne plus élevés que ceux de la participation (lire l’encadré ci-contre).

Dispositifs alternatifs

Selon Thierry Magin, directeur associé de MCR groupe, la négociation d’un intéressement, dans une grande entreprise qui n’en disposait pas jusqu’alors, peut permettre de contrebalancer une enveloppe d’augmentation salariale réduite. « Dans un contexte où il y a peu de croissance et d’inflation, l’entreprise cherche des dispositifs alternatifs aux augmentations », convient-il.

Encore faut-il respecter le principe de non-substitution au salaire attaché à la prime d’intéressement. « Ce n’est pas toujours ce qui se passe dans les négociations », remarque Gérard Mardiné, dénonçant une confusion des genres : « Les entreprises sont fortement tentées de diminuer l’assiette des coûts fixes. Certes, quand on réduit la masse salariale, cela se répercute positivement sur les résultats, donc sur la participation et l’intéressement. Mais les augmentations de salaire visent, elles, à soutenir les évolutions de carrière. » Par ailleurs, si l’intéressement peut représenter une part non négligeable de la rémunération dans les sociétés qui se portent bien, « tout retournement de situation peut provoquer un grave déséquilibre dans la structure de rémunération chez celles qui se sont endormies sur leur politique salariale », pointe Loïc Saroul.

Reste que l’intéressement apparaît souvent comme le « frère siamois » de la participation, les deux mécanismes permettant aux salariés – quand tout va bien – d’obtenir grosso modo un 13e et un 14e mois. Sans qu’ils en comprennent forcément la logique. Beaucoup pensent d’ailleurs que la participation est devenue un dû, qui ne motive plus et devient un objet de frustration quand elle baisse.

« Pour le salarié lambda, participation et intéressement sont une seule et même prime, ajoute Hubert Clerbois, associé d’EPS Partenaires. Des entreprises préfèrent du coup conclure un seul accord de participation dérogatoire, avec une formule plus généreuse, plutôt que de mettre en place et d’avoir à renégocier un accord d’intéressement tous les trois ans. » Lorsque les dispositifs coexistent, ils sont de plus en plus appréhendés de manière globale par les employeurs, via l’imbrication des enveloppes dévolues à chacun. « On prévoit, dans l’accord d’intéressement, un plafond global d’intéressement et de participation exprimé en pourcentage de la masse salariale, l’intéressement étant alors versé sous déduction de la participation », explique Hubert Clerbois. De quoi se prémunir de certains aléas : « la vente d’un siège social, par exemple, peut faire exploser le montant de la participation, bien que cela soit sans rapport avec la réalité économique de l’entreprise », illustre-t-il.

Autre petite tendance notée par Loïc Saroul : « Si l’intéressement fait l’objet d’un accord triennal, les entreprises sont tentées d’adapter chaque année par voie d’avenant, non pas la nature, mais le calibrage des objectifs. » Ce qui nécessite aussi d’être attentif à la préservation du caractère aléatoire de l’intéressement (l’avenant devant alors être mis en œuvre avant la fin de la première moitié de l’exercice en cours). Le problème se pose également avec le supplément d’intéressement – à la main de l’employeur – qui peut de façon ponctuelle s’ajouter aux primes versées. Un système a priori vertueux mais qui, pointe Hubert Clerbois, peut être perverti dans les sociétés qui concluent volontairement un accord a minima.

Critères financiers

Dans le détail, bien qu’il offre aux employeurs davantage de liberté, « l’intéressement, lorsqu’il existe, est établi sur des critères généralement très financiers », constate pour sa part Laurent Bris, consultant senior au sein de l’activité Executive compensation de Willis Towers Watson France. Et les négociations portent surtout sur le plafond des enveloppes et les modalités de répartition.

Loïc Saroul abonde : « On voit peu de changements dans le design des dispositifs. Mais, en fonction de leur activité, certaines entreprises ont introduit des critères qualitatifs. La notion de satisfaction client, par exemple, est très présente dans les services, avec une mesure objective normalisée et simple à appréhender pour le collaborateur : le Net Promoter Score. Dans d’autres secteurs, comme le bâtiment ou les aménagements extérieurs, on va trouver la notion de sécurité, généralement associée à des actions de sensibilisation aux risques ; des entreprises industrielles peuvent introduire des critères de RSE(2), etc. » (Lire le focus en page suivante.)

« Quelques grandes entreprises font appel à nous pour repenser leur système d’intéressement et en faire un outil bien distinct de partage de la performance », assure Thierry Magin. Avec l’établissement de critères métier plus proches du terrain – qui peuvent concerner une business unit ou un département – et plus lisibles pour les salariés concernés.

Selon le directeur associé de MCR Groupe, cette démarche se fait toutefois beaucoup plus naturellement dans les PME et dans les ETI, dont le mode de pilotage est moins « financier » que « business » : « Il y est plus facile d’introduire des indicateurs de progrès liés au projet de développement de l’entreprise. » L’idéal étant, bien sûr, de discuter de la pertinence des éléments à prendre en compte avec les managers opérationnels (lire l’encadré ci-contre). C’est la voie suivie par Sarmates, une PME de 170 personnes, qui souhaite adosser un accord d’intéressement à son nouveau projet d’entreprise (lire p. 23). Depuis 2005, Michelin fait également la part belle aux critères de proximité non financiers (lire p. 24).

Retard dans les négociations

Du côté des TPE, il est encore un peu tôt pour évaluer l’effet de certaines dispositions de la loi Macron visant à développer les dispositifs d’épargne salariale (comme la possibilité, pour les entreprises de moins de 50 salariés, de bénéficier d’un forfait social réduit à 8 % pour la mise en place d’un accord d’intéressement ou de participation).

Mais ce qui est sûr, c’est que les branches, qui sont censées négocier, avant le 31 décembre 2017, des accords clé en main pour favoriser leur déploiement dans les petites structures, ne se bousculent pas au portillon, ainsi que le constate Gérard Mardiné : « Très peu de branches ont inscrit cette obligation dans leur agenda social. C’est décevant, car il y a une vraie logique à ces dispositifs qui permettent d’intéresser les salariés à la vie de l’entreprise. Nous allons donc prendre notre bâton de pèlerin et agir pour faire ouvrir les négociations ! »

Le sociologue du travail Philippe Denimal en est convaincu : plus qu’une simple rétribution, l’intéressement nourrit le dialogue social et permet à l’entreprise de délivrer un message particulier aux salariés (lire p. 25). Mais il est essentiel d’« équilibrer astucieusement », et avec un maximum de transparence, les différents leviers de rémunération « L’intéressement n’est qu’un élément d’un package global qu’il nous faut d’ailleurs élargir, car les entreprises se doivent de réfléchir à un système de rétribution plus large, allant au-delà des vecteurs de rémunération classiques, afin d’attirer les meilleurs candidats », explique Nathalie Berthelot Briday, directrice rémunérations, relations sociales et avantages sociaux de Nexity, et par ailleurs vice-présidente du club Oras (qui réunit 310 membres de la profession Comp & Ben). Tout l’enjeu de nos fonctions est de donner du sens à ces dispositifs et d’expliquer clairement aux salariés ce qu’ils rémunèrent. »

Les indicateurs doivent parler aux salariés

Pour Thierry Magin, directeur associé de MCR Groupe, « les indicateurs doivent parler aux salariés et avoir un impact sur le résultat ». Il s’agit donc d’en faire un réel outil de management, « avec des critères mesurables et non contestables ». Dans le cas d’un premier accord d’intéressement, il recommande aux entreprises de s’en tenir à un maximum de trois critères, afin de ne pas compliquer la communication autour du dispositif. Et mieux vaut choisir des indicateurs déjà suivis (à travers les tableaux de bord des outils de gestion) pour éviter d’avoir à créer un outil de suivi spécifique. Lorsque le pli est pris, « les entreprises peuvent complexifier les critères, sur des équipes distinctes – commerciaux, fonctions support, techniques… – à raison de deux ou trois indicateurs par équipe ». Et pour que les collaborateurs aient envie de se les approprier, l’entreprise à tout intérêt à les établir en concertation avec les managers opérationnels, estime Thierry Magin.

Les primes d’intéressement progressent

Évolution notable des dernières années, soulignée par la Dares dans une enquête publiée en septembre 2016 : dans les entreprises de 10 salariés ou plus, les montants versés au titre de la participation – obligatoire à partir de 50 salariés – reculent. Rien d’étonnant, puisque la réserve spéciale de participation, calculée selon une formule légale en fonction des bénéfices, « suit globalement la conjoncture », rappelle la Dares. Résultant d’une formule de calcul liée aux résultats ou aux performances de l’entreprise, les primes d’intéressement, elles, s’accroissent. Et sont d’ailleurs devenues le principal moteur de l’épargne salariale : selon les derniers chiffres de l’AFG publiés au 30 juin 2016, les versements issus de l’intéressement s’élèvent à 3,9 milliards, en hausse de 30 % par rapport au premier semestre 2015, contre 3 milliards pour la participation.

Points de vigilance

« L’administration doit pouvoir vérifier que l’exigence légale du caractère aléatoire de l’intéressement est respectée, rappelle Me Laurence Chrébor, avocate associée au cabinet Fromont Briens. Une formule complexe ne lui permettra pas de faire seule cet exercice, et risque de susciter des observations générant une obligation, soit de revoir l’accord, soit de devoir expliquer le mécanisme, soit un éventuel redressement ultérieur par l’Urssaf. Par ailleurs, ajoute-t-elle, « La formule d’intéressement doit être neutre, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas avoir d’effet négatif sur la rentabilité ou la qualité. Par exemple, si les critères de l’intéressement n’influent que sur la qualité, il existe un risque que la vitesse de production soit impactée. Inversement, un critère exclusivement axé sur la productivité peut générer des problèmes de qualité. L’idéal est de mixer les deux. Il est également souhaitable que la formule prenne en compte des facteurs économiques afin de ne pas distribuer des pertes. »

1) 1,8 % en moyenne pour Deloitte, 2,3 % pour Aon, 2,4 % pour Willis Towers Watson (lire Entreprise & Carrières n° 1302).

2) Responsabilité sociétale des entreprises.

Auteur

  • Hélène Truffaut