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Des entreprises s’attaquent au risque de la somnolence au volant

Zoom | publié le : 14.02.2017 | Rozenn Le Saint

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Des entreprises s’attaquent au risque de la somnolence au volant

Crédit photo Rozenn Le Saint

Les accidents de la route restent la première cause de mortalité au travail. Des entreprises misent sur la sensibilisation et des modifications de l’organisation du travail pour limiter les risques d’endormissement.

Quatre cent quatre-vingt-trois personnes ont perdu la vie lors d’un trajet domicile-travail ou d’un déplacement dans le cadre d’une mission professionnelle en 2015. Or dans 12 % des accidents, le facteur de la somnolence est présent ; il est même déterminant pour 72 % d’entre eux. Et dans 80 % des cas, il provoque une perte de contrôle, selon les chiffres de la sécurité routière. Délais serrés à respecter, pression du manager… Plus de six Français sur dix ne font jamais de pause pendant leurs trajets professionnels quelle que soit leur durée, selon le sondage Ifop sur la vigilance au volant mené en 2015 pour la sécurité routière. Ce qui explique les endormissements… et les accidents.

Pourtant, ils sont conscients du risque de somnolence puisque 45 % des conducteurs se sont déjà sentis très fatigués ; toutefois, ils ont tout de même continué leur route. 30 % ont déjà eu l’impression de s’être assoupis au volant quelques secondes. Et 25 % sont déjà sortis de la route pour cette raison. Une sensibilisation aux risques de la sécurité routière constitue la première démarche à mener pour les limiter. De quoi inciter les entreprises à mieux sensibiliser leurs salariés, notamment aux risques liés à la dette de sommeil, principale cause de la somnolence.

« Il faut distinguer la fatigue, liée à une longue journée, de la somnolence, liée au manque de sommeil », souligne le professeur Damien Léger, responsable du centre du sommeil et de la vigilance de l’AP-HP Hôtel-Dieu, à l’occasion de la conférence du 11 janvier organisée sur le sujet par l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV) et Vinci Autoroutes. Et de rappeler que 30 % de la population active dort moins de six heures par jour en semaine, or la dette de sommeil multiplie par trois le risque d’accidents. Autre cause de somnolence parfois méconnue : les effets secondaires de certains médicaments, comme les anti-allergiques. « La consommation d’alcool ou de drogues est également un facteur de somnolence au volant », rappelle Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière. Or, près de deux salariés sur dix conduisent après avoir bu de l’alcool, selon le sondage Ifop de 2015.

Autoévaluation

Enfin, l’autoévaluation des salariés via l’échelle d’Epworth* ou, tout simplement, l’agenda du sommeil – qui consiste à reporter tous les jours ses heures passées à dormir – peut permettre de déceler des maladies comme l’insomnie, l’apnée du sommeil, très fréquente, ou la narcolepsie, très rare. L’INSV dispose de 30 antennes en France et propose des tests de maintien d’éveil pour mieux mesurer les problèmes profonds de sommeil.

Privilégier la prévention

Équiper les véhicules de fonction d’un détecteur de somnolence, qui signale les sorties de route ou surveille les paupières, est une des options. Mais ce type d’équipement reste onéreux. Surtout, il s’agit d’une mesure corrective, alors qu’il vaut mieux privilégier la prévention. « Les entreprises sont de plus en plus conscientes du risque et l’intègrent à présent dans leur document unique », assure Bernadette Moreau, déléguée générale de la fondation Vinci Autoroutes pour une conduite responsable. Et d’énumérer les mesures simples à mettre en place pour mieux prévenir les risques d’accidents sur la route, comme : se poser plus souvent la question de la réelle utilité du déplacement ; penser davantage au covoiturage entre collègues, ce qui permet de se relayer et de se maintenir éveillé en discutant ; prévoir l’organisation du travail pour que les déplacements soient réduits ; inclure les temps de pause dans les trajets ; et répéter la consigne qu’il vaut mieux s’arrêter en cas de fatigue.

Depuis le 1er janvier 2017, les employeurs sont obligés de dénoncer les salariés qui enfreignent le code de la route avec leur voiture de fonction. De quoi dissuader les entreprises qui, jusqu’à présent, profitaient du flou juridique pour éviter aux salariés chauffards de perdre des points de permis tant que l’amende était payée. Alors pour éviter la rafale d’amendes qui risque de pleuvoir et mieux prévenir les dangers de la route depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, 22 entreprises représentant 1,1 million d’employés se sont engagées en octobre 2016 à mieux faire respecter le code de la route à leurs salariés. Airbus, Axa, Michelin, Danone, ou encore La Poste, ont signé sept engagements pour mieux prévenir le risque routier parmi lesquels « intégrer le temps de repos dans le calcul des trajets ».

Gestion du sommeil : Transport et BTP en première ligne

Les entreprises d’acheminement de biens par la route sont bien sûr parmi les plus concernées par la problématique. Les transports Salesky, 600 salariés dont plus d’un tiers de chauffeurs, ont signé le manifeste pour mieux prévenir le risque routier et s’engagent « à former leurs conducteurs de poids lourds au risque routier pendant quatre heures, avec la médecine du travail, indique James Byzery, formateur de l’entreprise. Nous intégrons aussi les pauses dans le temps de livraison et incitons les chauffeurs à s’arrêter pour dormir au moindre coup de barre. Il suffit de nous prévenir pour que nous en informions les clients ». Mis au courant du plan de prévention, ces derniers se montrent pour l’heure plutôt tolérants aux retards, selon lui.

La nuit, sept chauffeurs de l’entreprise sarthoise sur dix sont sur les routes. Or les salariés qui travaillent en horaires décalés dorment en moyenne une heure de moins par jour : ils sont donc davantage sujets aux dettes de sommeil, et aux risques de somnolence au volant. « Il faut éviter les grands changements de rythmes dans la mesure du possible. Si les salariés ont des horaires différents tous les jours, il est difficile de s’adapter sur le plan familial et de récupérer pendant les temps de repos », avertit Damien Léger.

Réajustement des horaires

C’est d’ailleurs suite à deux accidents liés à des endormissements en retour de week-end que l’entreprise de transport frigorifique Salesky a modifié la rotation des horaires de ses chauffeurs. Par ailleurs, « les réfrigérateurs font du bruit dans les camions, cela ne facilite pas les siestes, alors nous proposons 60 chambres à travers la France pour que les chauffeurs récupèrent avant de repartir », témoigne James Byzery.

Chez ETF (travaux ferroviaires), qui dépend d’Eurovia, elle-même filiale de Vinci, 95 % des travaux se font de nuit. Les trajets vers les chantiers sont d’autant plus risqués. « On touche au facteur personnel, à la prise de médicament, à la gestion du sommeil, c’est davantage tabou que lorsque l’on aborde la vitesse au volant », témoigne Élodie Rosa Pivet, responsable qualité sécurité environnement (QSE) de ETF. Alors en 2013, 200 salariés ont été sensibilisés lors d’une campagne menée par un expert du sommeil. Enfin, tous les « presque accidents », par exemple quand les salariés tapent la barrière de sécurité, font l’objet d’un suivi pour déceler les facteurs de somnolence et en chercher la cause. Et ainsi, mieux les prévenir.

* Série de questions qui permettent d’évaluer si le degré et la fréquence des périodes de somnolence dont une personne souffre nécessitent une prise en charge médicale.

Auteur

  • Rozenn Le Saint