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L’interview

Brigitte Charles-Pauvers : « Les entreprises chinoises implantées en France ne partagent pas notre vision des RH »

L’interview | publié le : 31.01.2017 | Éric Delon

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Brigitte Charles-Pauvers : « Les entreprises chinoises implantées en France ne partagent pas notre vision des RH »

Crédit photo Éric Delon

Qu’elles soient présentes depuis plusieurs années ou qu’elles viennent de racheter des structures françaises dans le cadre d’investissements directs, les entreprises chinoises ne parviennent pas toujours à intégrer la logique RH hexagonale.

E & C : Les entreprises chinoises ont-elles une manière particulière de gérer leur personnel chinois expatrié en France ?

BRIGITTE CHARLES-PAUVERS : Il faut tout d’abord distinguer le type d’entreprises dans lesquelles des Chinois expatriés vont être intégrés. Il existe, d’un côté, des entreprises chinoises, dont la société mère est basée en Chine et qui se sont internationalisées depuis parfois de longues années, à l’image des entreprises technologiques comme Huawei ou ZTE. D’autre part, les investissements directs à l’étranger se traduisent par le rachat d’entreprises étrangères, en dehors de la Chine, en France en particulier.

La gestion des ressources humaines chinoises est bien évidemment dépendante des contraintes légales domestiques, au premier rang desquelles figure l’obtention de visas, de plus ou moins courte durée selon les besoins. L’expatriation de ressources chinoises est donc tributaire de cette contrainte et de l’objectif stratégique de la maison mère chinoise, qui est, le plus souvent, d’accélérer sa capacité d’innovation grâce à un transfert de compétences. Les quotas de visas étant limités et les besoins importants, les directions chinoises doivent réaliser des arbitrages quant au choix de leur personnel expatrié.

Font-elles appel à des personnels chinois vivant déjà en France ?

Absolument. En particulier les Chinois d’outre-mer qui vivent en France. Ces derniers ont été formés dans le pays et possèdent parfois la nationalité française. De nombreux Chinois en formation dans des universités ou des grandes écoles françaises sont également disponibles pour effectuer des stages et acquérir une première expérience au sein de ces entreprises. Ces « jeunes professionnels » parlent chinois, sont issus de culture chinoise, sont souvent fortement diplômés et constituent donc une ressource particulièrement appropriée pour les entreprises chinoises. Par ailleurs, ces jeunes peuvent être encouragés à rentrer en Chine pour travailler dans l’entreprise chinoise. S’agissant des entreprises chinoises internationalisées, il semble que, dans la plupart des cas, l’expatriation a pour but de développer les compétences des expatriés afin de les transférer dans la maison mère. Leur séjour dans le pays d’accueil auprès des personnels locaux, de durée limitée, souvent d’un à trois ans, leur permet d’apprendre les « meilleures » pratiques. En la matière, ce sont surtout les compétences techniques et managériales qui sont recherchées. Le recrutement est réalisé en Chine et s’inscrit dans un parcours de mobilité professionnel international.

La France ou d’autres pays européens ne constituent souvent qu’une étape dans un parcours incluant également des séjours dans d’autres pays, notamment en Afrique. Dans le cas de rachat d’entreprises nationales, les expatriés chinois ont pour objectif de transférer les meilleures pratiques dans les entreprises chinoises. Une des principales difficultés pour les expatriés chinois réside dans leur absence de maîtrise de la langue française qui limite leur intégration en dehors de la communauté chinoise. Dans le meilleur des cas, l’anglais constitue la langue de travail.

En France, comment les entreprises chinoises gèrent-elles leur personnel local ? Éprouvent-elles des difficultés à s’accommoder du droit social français ?

Le personnel local français est soumis aux mêmes procédures et aux mêmes pratiques de recrutement que dans les entreprises françaises. La question est, bien entendu, de connaître les postes clés qui leur sont refusés car réservés à des Chinois, en raison de leur caractère stratégique. D’une certaine manière, les questions qui se posent pour ces personnels sont identiques à celles que l’on peut formuler pour analyser les spécificités de l’emploi des « locaux » dans les entreprises sino-françaises en Chine. Le contexte légal du marché du travail français, les règles de gestion des personnels employées dans ces entreprises internationales situées en France sont mises en œuvre par du personnel français. Ce sont souvent des directions des ressources humaines bicéphales, françaises et chinoises, qui permettent de résoudre les questions sociales. Cela ne préjuge pas de la nécessaire adaptation des dirigeants chinois car, bien souvent, ces derniers ne connaissent pas les règles en vigueur et peuvent être surpris par certains comportements. La représentation du personnel dans les négociations collectives étonne souvent les dirigeants chinois car cela ne fait pas partie des modes opératoires chinois. Des difficultés apparaissent régulièrement car les salariés français et les dirigeants chinois ne possèdent pas les mêmes pratiques de GRH. Ainsi, la pression pour un temps de travail considéré par certains comme « sans limites » est souvent dénoncée et les demandes de rémunérations liées à ces temps supplémentaires sont rarement entendues. De nombreux Chinois de la diaspora, résidents français, émettent les mêmes remarques car ils ont intégré les conditions de travail en vigueur en France et se réfèrent aux pratiques françaises. Enfin, la dimension culturelle intervient parfois dans le management au quotidien. La question de l’autonomie des salariés, la circulation de l’information, la relation hiérarchique font partie des différences qui exigent que chacun fasse un pas vers l’autre pour se comprendre. L’enjeu majeur ? Fidéliser l’équipe française et booster sa motivation afin qu’elle contribue à la performance de l’entreprise. Ceci explique que les propriétaires chinois d’entreprises françaises restent souvent discrets afin de ne pas perturber le fonctionnement des équipes en place et ainsi ne pas mettre en péril la pérennité de ces équipes.

Brigitte Charles-Pauvers maître de conférences en GRH

Parcours

> Brigitte Charles-Pauvers est maître de conférences en gestion des ressources humaines à l’université de Nantes (IEMN/IAE). Avant sa carrière universitaire, elle a travaillé en entreprise dans le domaine des ressources humaines, alliant sa formation de gestion et de psychologue de travail. Elle participe à de nombreux projets de recherche au sein d’équipes multiculturelles.

> Ses travaux portent sur les comportements organisationnels (implication au travail) en lien avec l’évolution des politiques de management des ressources humaines, en particulier dans des contextes sino-étrangers.

Lectures

Handbook of employee commitment, J. P. Meyer (sous la direction de), Elgar, 2016.

The dark side of emotional labor, J. Ward, R. McMurray, Routledge, 2015.

La gestion internationale des ressources humaines, M. Barabel, O. Meier, Dunod, 2014.

Auteur

  • Éric Delon