logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’interview

Patrick Scharnitzky : « Combattre les stéréotypes en entreprise »

L’interview | publié le : 17.01.2017 | Pauline Rabilloux

Image

Patrick Scharnitzky : « Combattre les stéréotypes en entreprise »

Crédit photo Pauline Rabilloux

Nous pensons tous par stéréotypes. Inutile de culpabiliser à ce propos. Cependant, reconnaître ce fait ne dispense pas de renforcer les choix rationnels en entreprise au détriment d’une pensée réflexe. Ne serait-ce que parce que l’entreprise doit écarter les clichés pour promouvoir les talents et la performance.

E & C : Pouvez-vous définir ce que vous entendez par “stéréotypes” dans les relations sociales ?

Patrick Scharnitzky : Les stéréotypes sont les informations qu’on associe spontanément aux membres d’un groupe, le groupe se définissant lui-même comme un ensemble de personnes partageant un point commun. Tout le monde utilise donc des stéréotypes puisque tout processus de pensée suppose que le cerveau fonctionne en construisant des catégories. C’est ainsi que l’on a pu mettre en lumière des stéréotypes de représentation chez les enfants de 10 mois qui associent déjà, par exemple, plutôt aux femmes qu’aux hommes tout ce qui a trait à la cuisine. Ces stéréotypes sont construits à partir d’expériences directes ou de messages véhiculés par les parents, le milieu, les médias, etc. Les stéréotypes permettent une économie de temps et d’énergie. On sait – ou en tout cas on croit savoir – qui est l’autre plus rapidement que s’il fallait réfléchir à tous les aspects de sa personnalité. Les stéréotypes ont aussi une fonction identitaire. Ce sont des repères sociaux qui permettent de se classer comme de classer autrui. Si l’on considère que l’on se définit au moins pour partie par son groupe d’appartenance, on se rend compte de l’importance des stéréotypes dans la construction des identités. Les stéréotypes, enfin, rendent le monde facilement lisible et assurent une double fonction de reproduction et de cohésion sociale. La réalité sociale est ainsi rapidement explicable pour tout un chacun.

Comment ces stéréotypes affectent-ils l’entreprise ?

Les stéréotypes fonctionnent dans l’entreprise comme dans toute autre organisation sociale et il ne pourrait pas en être autrement. Cependant, ce mode de fonctionnement automatique du cerveau peut être pénalisant pour les entreprises dans la mesure où les stéréotypes conduisent à agir avec les personnes non en tant qu’individus mais en tant que membres d’un groupe. Qu’il s’agisse d’hétérostéréotypes (à l’égard des autres) ou d’autostéréotypes (à l’égard de soi-même), la stéréotypie biaise l’image de la personne à qui on l’applique. Les hétérostéréotypes ont tendance à affecter tous les actes RH, tant au plan du recrutement que de la formation, de la promotion ou de l’évaluation. Ils affectent de même la plupart des décisions managériales. Par exemple, les femmes se retrouvent presque toujours chargées des comptes rendus de réunion, on ne prend pas la peine de demander aux parents de jeunes enfants s’ils acceptent la mobilité parce qu’on présume que leur réponse sera négative, on projette des stéréotypes de comportement sur les femmes comme sur les hommes, les jeunes comme les seniors avant même de les connaître vraiment et on agit partout comme si on connaissait les réponses avant d’avoir posé les questions ou examiné les problèmes.

Ces stéréotypes affectent également en positif comme en négatif le sentiment que l’on peut avoir de soi-même. Le plafond de verre, par exemple, est certainement autant le fait des préjugés des hommes que de l’autocensure inconsciente des femmes elles-mêmes, qui n’osent pas prétendre s’élever dans la hiérarchie, ne se jugent pas capables, etc. Quitte à priver l’entreprise de leurs talents dans des postes à responsabilité et à être pour partie responsables de leur propre ennui au travail dans des tâches subalternes qui ne les motivent pas. Les stéréotypes positifs peuvent avoir un impact sur la motivation dans la mesure où ils sont aspirationnels. Mais ils sont également l’une des principales causes du déni de soi. Puisque chacun aspire à rejoindre un groupe valorisé, il est possible d’agir en totale contradiction avec ses aspirations et ses compétences, pour rejoindre les groupes dont l’image est positive ou pour éviter une image stigmatisante.

Que faudrait-il faire pour en alléger le poids en entreprise ?

Les changements socioculturels finissent toujours par faire bouger les stéréotypes attachés à tel ou tel groupe mais sur un temps long peu compatible avec la temporalité de l’entreprise. Il faut donc faire comprendre aux acteurs les risques présentés par des décisions fondées sur les stéréotypes plutôt que sur une analyse rationnelle des situations. Le premier temps consiste pourtant à faire admettre qu’on ne se débarrasse jamais totalement de la pensée par stéréotypes. Il ne sert donc à rien de culpabiliser les gens. Cependant, cette constatation étant faite, il importe de sensibiliser les collaborateurs sur la manière de mettre l’activité à l’abri des conséquences néfastes d’une pensée stéréotypée. Puisque la fatigue favorise la pensée automatique, les recruteurs, s’ils veulent privilégier un recrutement de qualité, éviteront d’enchaîner les entretiens de recrutement. Il faut de même se méfier de ses seules émotions. De manière générale, il convient non d’éviter les stéréotypes mais de dresser des pare-feu à tous les niveaux. Sur le plan symbolique (l’entreprise doit faire attention aux messages qu’elle émet tant vis-à-vis de ses clients que de ses salariés), mais aussi au plan de ses normes internes ou de sa stratégie. Il convient d’agir à la fois sur les valeurs, le management et sur les personnes elles-mêmes. Le but est de favoriser une prise de conscience pour que les individus se méfient, a minima, de leurs premières réactions strictement automatiques.

Qui vous sollicite pour informer sur ce problème et sur quelles questions précises ?

Que la raison de solliciter une intervention sur le thème des stéréotypes vienne d’un intérêt pour le sujet ou d’un problème interne relatif au recrutement, à la gestion de la diversité, à la gestion des carrières ou au climat social, la demande transite le plus souvent par le ou la DRH. Cependant les questions sur lesquelles on nous sollicite ont varié dans le temps. Si les entreprises savent aujourd’hui à peu près recruter les hommes et les femmes sans discriminer, elles ont plus de mal à faire progresser la carrière de ces dernières de manière équitable. De plus, de nouveaux thèmes sont apparus concernant notamment le management de la génération Y accusée de tous les maux ou le prosélytisme religieux en entreprise. Actualité oblige, les DRH sont souvent stressés par ce dernier sujet. Notre intervention consiste alors à rappeler d’une part le cadre légal, de l’autre à expliquer que le cerveau va vite et qu’il faut se garder des amalgames. Mais évidemment, ceci vaut dans tous les sens. Autant il est rapide de stigmatiser, autant, il est humain d’avoir recours au réflexe communautaire quand on se sent stigmatisé. Nous ne pouvons pas évidemment apprécier l’impact réel de nos interventions bien que toute action de formation soit évaluée par le public auquel elle est destinée et par la DRH. Gageons cependant que le temps de la réflexion n’est pas du temps perdu quand il s’agit de désamorcer les stéréotypes dont la principale fonction est de nous permettre d’aller au plus vite sans trop réfléchir. D’aller trop vite.

Patrick Scharnitzky psycho-sociologue

Parcours

> Psychosociologue, maître de conférences pendant 13 ans à l’université Lyon 2 puis à l’université de Picardie, Patrick Scharnitzky est maintenant professeur affilié à ESCP Europe. Il enseigne les fondements psychologiques du comportement et des dynamiques en place dans le management des entreprises, ainsi que les enjeux de la diversité pour la performance des entreprises.

> Ses travaux de recherche portent sur l’impact des stéréotypes sur les interactions sociales. Il est également consultant dans le cabinet Alternego. Il est l’auteur d’un ouvrage publié chez Eyrolles en 2015 : Les stéréotypes en entreprises, les comprendre pour mieux les apprivoiser.

Lectures

La Révolution du don : le management repensé, A. Caillé, J.-E. Grésy, 2014, Seuil.

Mauvaises réputations : réalités et enjeux de la stigmatisation sociale, J.-C. Croizet, J.-P. Leyens, 2003, Armand Colin.

Auteur

  • Pauline Rabilloux