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La semaine

Jean-François Amadieu professeur à Paris 1, directeur de l’observatoire des discriminations

La semaine | publié le : 20.12.2016 | Emmanuel Franck

« Le gouvernement ne prendra pas le risque de dénoncer les entreprises »

Le testing du ministère du Travail fait apparaître des écarts de traitement de 15 à 35 points en défaveur des candidats dont le nom est maghrébin, soit une perte de chance moyenne de 25 %. Êtes-vous surpris par ces écarts ?

Non. Dans les grandes entreprises et compte tenu des emplois visés, il n’est pas surprenant de parvenir à ce résultat. Le testing que j’avais réalisé en 2008 pour le compte de la Halde constatait des pertes de chance respectivement de 24 % et 44 % pour les candidats maghrébins et seniors. Il s’agissait d’entreprises du CAC 40.

D’autre part, l’étude du ministère du Travail a testé des marchés dynamiques, si l’on en juge par le taux de réponse très élevé aux candidatures : 42 % ou 51 % pour les managers. Cela réduit les risques de discrimination.

Le ministère a demandé aux entreprises discriminantes de lui remettre un plan d’actions correctives et si ce plan est jugé insuffisant, il publiera leurs noms. Que pensez-vous de ces mesures ?

Certaines mènent déjà des actions en faveur de la diversité, que voulez-vous qu’elles fassent de plus ? Elles vont passer à la caisse : envoyer des managers en formation, faire une campagne d’affichage, mais ce n’est pas cela qui va changer les choses puisque les discriminations sont, la plupart du temps, involontaires.

Tant que certaines informations du CV ne seront pas masquées, l’objectif d’égalité dans le recrutement n’est pas atteignable. D’autant que ces entreprises n’ont pas de raison d’avoir peur du gendarme. La menace de publication des noms est évidemment un gag. Les organisations patronales et les DRH y sont très hostiles. J’en sais quelque chose pour l’avoir vécu en 2008. Le gouvernement ne prendra pas ce risque.

Si l’objectif du gouvernement n’est pas l’efficacité, quel est-il ?

À l’approche des élections, et alors que le gouvernement n’a rien fait contre les discriminations au travail, il s’agit de montrer quand même quelque chose. Le bilan en fin de mandat est vide : le gouvernement a abrogé le CV anonyme ; l’action de groupe, qui était sa seule bonne idée, a été vidée de sa substance puisque les dédommagements des victimes ne porteront que sur la période postérieure à l’alerte.

Il s’agit aussi, pour le gouvernement, de ne pas abandonner la place à Emmanuel Macron, qui porte le sujet depuis longtemps.

Étudier les discriminations a tout de même son intérêt.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas étudier les discriminations mais qu’un gouvernement se doit d’apporter des solutions. L’opération actuelle est quasiment irresponsable. Elle ne porte que sur un critère de discrimination : l’origine. C’est déjà choquant quand on voit que, selon le Défenseur des droits, le premier critère de discrimination dans l’accès à l’emploi n’est pas l’origine mais l’âge, un sujet complètement abandonné par le gouvernement. Cela devient irresponsable lorsqu’on réalise un diagnostic – qui d’ailleurs a été fait depuis longtemps –, qu’on crée un sentiment de frustration, mais qu’on ne propose aucune solution. L’objectif de cette opération est de cliver pour se mettre du côté d’une partie de l’électorat.

Auteur

  • Emmanuel Franck