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L’enquête

RSE : Relations donneurs d’ordre-fournisseurs : une logique de progrès

L’enquête | publié le : 13.12.2016 | V. L.

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RSE : Relations donneurs d’ordre-fournisseurs : une logique de progrès

Crédit photo V. L.

Les multinationales ont encore beaucoup de progrès à faire dans la gestion de leur chaîne d’approvisionnement ; le sujet reste un point faible de la RSE. Elles sont de plus en plus incitées à agir, non seulement en raison de mises en cause régulières pour non-respect des droits humains, mais aussi sous l’impulsion de textes internationaux. Et bientôt, en France, de la future loi sur le devoir de vigilance.

Fin novembre, à la suite d’allégations du journal britannique The Sun, Ferrero dénonçait immédiatement son contrat avec le sous-traitant roumain Prolegis et lançait une enquête approfondie. En cause : le travail d’enfants pour assembler les jouets présents dans les œufs Kinder. Ceci alors même que le groupe de confiserie établit des règles de qualité stricte et fait auditer le respect de ses exigences sociales et éthiques. Fin novembre aussi, Amnesty International dénonçait, dans un rapport, des multinationales commercialisant des produits de base et cosmétiques contenant de l’huile de palme (Colgate, Nestlé, Unilever, etc.) et dont la production est entachée de multiples infractions. Notamment l’exploitation d’enfants dans des plantations en Indonésie.

« Demain, il sera compliqué pour les entreprises de dire « qu’elles ne savaient pas », avertit Violaine du Pontavice, directrice associée EY société d’avocats. Elles devront pouvoir prouver qu’elles ont tout mis en œuvre pour savoir, pour prévenir les risques d’atteinte aux droits humains et les dommages environnementaux dans l’ensemble de leur chaîne de sous-traitance et de production. »

Sanctions

Adoptée en France par l’Assemblée nationale le 29 novembre dernier, la proposition de loi socialiste sur le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre (lire l’encadré) s’inscrit dans une évolution de la soft law vers la hard law : « Jusqu’à présent, les sociétés devaient rendre compte de données sociales, sociétales et environnementales, sans qu’il soit question de sanctions, indique Violaine du Pontavice. Ce ne sera désormais plus le cas. Avec l’obligation de construire un plan de vigilance, elles seront redevables d’une obligation de moyens et non de résultat, mais assortie de sanctions financières. »

Le devoir de vigilance devrait concerner 150 entreprises en France. « Celles qui y seront soumises vont pouvoir se servir de tout le travail réalisé en amont pour respecter la loi Sapin de lutte contre la corruption, signale l’experte d’EY. Notamment s’agissant de la cartographie des risques et du système d’alerte. »

En outre, indique Violaine du Pontavice, dans les semaines qui viennent, un guide de l’OCDE sur la due diligence – guidance for responsible business conduct – dans l’agriculture sera publié. Son contenu pourrait aider les entreprises à identifier les orientations qu’elles devront adopter pour construire leur plan de vigilance.

La loi sur le devoir de vigilance est « une avancée importante face à l’impunité des multinationales », salue le Forum citoyen pour la RSE, qui regroupe la CFDT et plusieurs ONG, les Amis de la Terre France, Amnesty International France, CCFD-Terre solidaire, Collectif Éthique sur l’étiquette, Sherpa, et ActionAid-Peuples solidaires. Points positifs soulignés par Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Éthique sur l’étiquette : « La loi pourra être effective sans attendre un décret qui préciserait le contenu du plan de vigilance et le volet sanctions a été confirmé. » En outre, les parties prenantes de l’entreprise comme les organisations syndicales représentatives et les associations pourront être associées à l’élaboration du plan de vigilance.

De son côté, le Medef a déploré « un nouveau coup porté à la compétitivité des entreprises françaises », dénonçant une « loi franco-française (qui) introduit des obligations au champ bien trop vaste et trop vague ».

Textes internationaux

La future loi française procède pourtant d’un mouvement. Et « la France ne sera pas isolée même si le pays est précurseur », souligne Violaine du Pontavice. La nouvelle réglementation vient s’ajouter à une série de textes internationaux, au premier rang desquels les principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de 2011, et les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales qui leur demande de mettre en œuvre une procédure de diligence raisonnable fondée sur les risques. La directive du 26 juin 2013 sur le reporting extra-financier devait être transposée avant le 6 décembre, et prévoit également que les États mettent en place des sanctions en cas de manquements. Après le drame du Rana Plaza, l’accord sur la sécurité incendie et la sécurité au Bangladesh a permis que plus de 2 500 usines soient inspectées et que des rénovations aient lieu.

Plus récemment, à l’occasion de sa conférence internationale en juin dernier, l’OIT a adopté une résolution afin de garantir une meilleure organisation de la production dans les chaînes d’approvisionnement mondiales et ainsi la promotion du travail décent. « En 2017, nous travaillerons sur la question des zones franches d’exportation, précise Cyril Cosme, directeur du bureau de l’OIT en France, en 2018, sur les accords-cadres internationaux, et dans trois ans, notre débat tripartie portera sur l’opportunité de lancer un instrument normatif et contraignant sur la question des chaînes d’approvisionnement. »* L’ONU travaille également sur un projet de traité contraignant sur les droits humains.

De son côté, l’Afnor est en phase de finalisation de la future norme internationale relative aux achats responsables, qui devrait être publiée début 2017 ; 40 pays se sont investis dans son élaboration. « Alignée avec le guide des principes directeurs des Nations unies, elle s’adresse aussi bien aux directions générales pour leur faire prendre conscience de l’intérêt de la démarche, qu’aux directions des achats, en leur délivrant des axes opérationnels », explique Isabelle Lambert, chef de projet normalisation Afnor. Elle décrit le process de sélection des fournisseurs jusqu’à la prestation, et, à travers l’analyse des risques, aide les acheteurs à prioriser le choix de leurs partenaires.

En dépit de toutes ces initiatives et de l’évolution de la réglementation, 168 millions d’enfants continuent à travailler dans le monde et 21 millions de personnes sont soumises au travail forcé. Les ONG et les syndicats restent sur le qui-vive. « Nous ne sommes pas à l’abri d’autres drames, reconnaît Gérard Mardiné, CFE-CGC et membre du groupe de travail de la plate-forme RSE sur les relations entre donneurs d’ordre et fournisseurs. Le reporting demeure trop faible et je ne suis pas sûr que les pratiques aient vraiment changé. Pour nous, la mondialisation n’a pas été accompagnée des régulations nécessaires. On remédie aux conséquences pas aux causes. »

D’une façon générale, « on ne peut pas dire que les conditions de travail s’améliorent. Les travailleurs continuent à gagner moins que le minimum vital et la répression syndicale est toujours aussi importante, constate amèrement Nayla Ajaltouni. Tant que dans le secteur textile par exemple, le critère central de choix d’un fournisseur ou d’un sous-traitant sera le coût et les délais de production, des atteintes majeures aux droits humains et sociaux demeureront généralisées ». Un autre volet d’actions serait à aborder, selon Gérard Mardiné : celui de l’éducation citoyenne sur ces sujets avec une meilleure information du consommateur sur les conséquences de ses achats.

Loi sur le devoir de vigilance : ce que devront faire les entreprises

La proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, après avoir été détricotée lors de ses deux passages au Sénat, et avoir essuyé le désaccord des parlementaires en commission mixte paritaire début novembre, semble cette fois en bonne voie d’aboutir lors de sa dernière lecture à l’Assemblée nationale, en tout début d’année 2017.

En l’état, le texte adopté le 29 novembre par les députés, prévoit que « toute société qui emploie au moins 5 000 salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes, dont le siège social est fixé en France, ou au moins 10 000 salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance ».

Le plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles des entreprises qu’elle contrôle, directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation.

Plus précisément, le plan doit comprendre : une cartographie des risques (identification, analyse, hiérarchisation) ; des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs ; des actions d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ; un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans la société ; et un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité.

Lorsqu’une société, mise en demeure de respecter ses obligations, n’y satisfait pas dans un délai de trois mois, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d’un intérêt à agir, lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de les respecter. Le juge peut alors condamner la société au paiement d’une amende civile d’un montant qui ne peut être supérieur à 10 millions d’euros.

En cas de préjudice, le montant de l’amende prévue peut être majoré jusqu’à trois fois.

Des outils pour mieux évaluer et accompagner les fournisseurs

Parmi les outils permettant aux entreprises de mieux contrôler leur chaîne d’approvisionnement, de plus en plus d’initiatives proposent des évaluations conjointes des fournisseurs, parfois sectorielles.

Depuis plusieurs années, EcoVadis, plate-forme collaborative en ligne créée en 2007, permet aux fournisseurs de répondre aux demandes des clients en une seule fois. 30 000 fournisseurs dans 120 pays en font partie. 150 grands donneurs d’ordre évaluent ainsi leurs fournisseurs, sur une échelle de 1 à 100. Un module permet une gestion collaborative des plans d’amélioration. « Nous avions un système de feed-back et de collectes d’informations auprès des parties prenantes, précise Pierre-François Thaler, coprésident d’EcoVadis. Nous l’avons amélioré en organisant une veille 360° en continu, par exemple sur les accidents du travail remontés localement, ce qui permet au donneur d’ordre de savoir ce qu’il se passe entre deux évaluations. Un incident génère des alertes auprès des analystes et a une incidence sur le score de l’entreprise. »

Une autre plate-forme proposée par Afnor, Acesia, aide les acheteurs à contrôler, évaluer et dialoguer avec les fournisseurs. Elle a récemment évolué pour intégrer : un tableau de bord personnalisé pour chaque utilisateur, afin de piloter les évaluations ; et la possibilité de faire évaluer et auditer par une autre partie prenante, etc. Un outil choisi par exemple par Engie, Eiffage, Crédit agricole…

Dans le même esprit, plusieurs secteurs professionnels tentent de s’organiser afin de regrouper leurs forces pour aider leurs membres à mieux connaître leur chaîne d’approvisionnement. Ainsi les membres du GeSI, groupement global des industries électroniques et des TIC, invitent leurs fournisseurs à s’inscrire sur la plate-forme E-TASC, gérée par EcoVadis. « Les experts de la plate-forme analysent leurs déclarations en attribuant des points à chaque critère – environnement, droit du travail, pratiques commerciales équitables, achats responsables – et les résultats permettent aussi d’organiser des actions de correction », explique Chiara Venturini, directrice du GeSI. Parmi ses 40 membres, presque la moitié utilise la plate-forme, qui est par ailleurs accessible à d’autres entreprises du secteur.

Initiative née en 2010, pilotée par Orange, la JAC (Joint Audit Cooperation) réunit aujourd’hui 13 opérateurs de télécommunications, qui mettent en commun des moyens pour contrôler et évaluer la conformité de leurs fournisseurs communs aux standards internationaux de la RSE. « En travaillant ensemble, nous pouvons être plus efficaces, affirme Bernardo Scammacca, président du comité opérationnel de la JAC, directeur performance fournisseurs au sein du département Achat chez Orange. Cette démarche nous permet de faire de nos fournisseurs des partenaires dans les projets d’amélioration de la RSE et de construire avec eux des plans d’actions préventives et correctives quand cela est nécessaire ». La JAC permet aussi l’échange de bonnes pratiques : inspirée par une initiative de Vodafone, l’association a lancé, avec une ONG, une enquête auprès des travailleurs dans certaines usines de nos fournisseurs. Un numéro d’appel est mis à leur disposition. Ceux-ci peuvent s’ils le souhaitent répondre de manière anonyme sur un serveur dédié. Onze questions leur ont été posées dans leur langue, du type « vous sentez-vous en sécurité ? », « combien d’heures travaillez-vous » ? Les résultats devaient être connus avant la fin de l’année.

Les entreprises françaises les plus avancées

Une étude de Vigeo Eiris, publiée en juin 2016, a classé les entreprises en fonction de leur prise en compte de différents facteurs dans leur chaîne d’approvisionnement. En septembre 2016 (données actualisées), voici les entreprises françaises…

Les plus performantes sur la prise en compte des facteurs sociaux dans leur chaîne d’approvisionnement (sur un échantillon de 94 entreprises) :

– Foncière des Régions

– Orange

– Michelin

– L’Oréal

– Groupe PSA

– Groupe SEB

– Saint-Gobain

– Ingenico

– Air Liquide

– Renault

Les plus performantes sur les relations durables avec les fournisseurs (sur un échantillon de 12 entreprises) :

– BIC

– Rallye

– Carrefour

– Groupe Casino

– Pernod Ricard

* Propos recueillis lors de la conférence “Droits humains et chaîne d’approvisionnement : quelles pratiques”, organisée par RHSF (Ressources humaines sans frontières) et AEF Développement durable, le 1er décembre 2016.

Auteur

  • V. L.