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Handicap : Les entreprises face aux troubles psychiques des salariés

L’enquête | publié le : 06.12.2016 | Laurent Gérard

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Handicap : Les entreprises face aux troubles psychiques des salariés

Crédit photo Laurent Gérard

Les troubles psychiques risquent de devenir la première cause de handicap des salariés en emploi ou en recherche d’emploi dans les années qui viennent, notamment parmi les détenteurs des plus hauts niveaux de formation. Le sujet inquiète les entreprises, mais elles doivent s’y préparer.

Addictions diverses, troubles du comportement, voire schizophrénie et bipolarité… Les handicaps psychiques prennent des formes variées et deviennent un problème d’entreprise. Pourquoi ? Parce qu’ils sont la première cause d’invalidité et la deuxième cause d’arrêt de travail : 20 % des Européens en souffrent, et 60 % d’entre eux sont en emploi (1) ! De plus, selon les prévisions de l’organisation mondiale de la santé, en 2020, 33 % de la population française sera touchée, au moins une fois au cours de son existence, par un trouble psychique qui affectera sa vie professionnelle et personnelle. Difficile d’ignorer le problème.

Chez Akka Technologies, le départ de plusieurs salariés atteints de ce type de handicap, alors même qu’un accord handicap aurait dû les maintenir en emploi, a créé un choc et « entraîné une prise de conscience », explique le DRH, Didier Baichière. Une grande opération de formation et de sensibilisation sur le long cours vient juste d’être lancée, pour mieux appréhender les difficultés de l’insertion professionnelle de ces personnes.

Prochainement, le fabricant de cosmétique et de parfums Durance espère accueillir 5 à 6 de ces personnes en ateliers de production, après avoir accueilli une d’elle en logistique. Delphine Menetrier, responsable du service logistique, n’avait pas d’a priori sur ce handicap, mais ne connaissait pas non plus les maladies et difficultés qu’il pouvait recouvrir : « Je les ai découvertes au fil des rencontres », reconnaît-elle.

Même dans l’entreprise adaptée Néa, pourtant habituée à gérer une population salariée constituée à 80 % de personnes handicapées, ce n’est pas toujours simple : un changement mal anticipé, et ces salariés peuvent s’absenter sans autre justification, reconnaît la responsable des ressources humaines Mélanie Thomas. Pour elle, comme pour tous les spécialistes, le seul remède est « un travail sur le long terme dans une logique d’attention de tous les instants et d’ambiance bienveillante ».

Enjeu majeur des politiques de préventions

Tous ces constats valident l’analyse de Laurent Morestain, président de l’institut Randstad pour l’égalité des chances, qui a produit un guide sur la question, en partenariat avec Clubhouse France (association d’accompagnement des personnes handicapées psychiques en recherche d’emploi) et HR consultancy partners : « La santé mentale est aujourd’hui un enjeu majeur des politiques de préventions des entreprises, insiste-t-il. Les troubles psychiques font peur parce qu’ils interrogent notre capacité à maîtriser notre comportement et nos actions. » Le succès de ce guide a été tel que les 5 000 premiers exemplaires sont épuisés, et que les partenaires envisagent de financer un retirage.

Si le besoin de compréhension est grand, « c’est qu’il n’y a a priori aucune demande des entreprises sur le handicap psychique, mais un malaise de leur part, car elles ne savent vraiment pas quoi faire face à cela », explique David Herz, dirigeant de Tell me the Truffe, agence de communication dédiée au handicap et à la diversité, citant les résultats d’une étude 2014 de DFD Consulting chez BNP, Malakoff-mederic et Cap Gemini.

Le malaise des entreprises

Selon cette dernière, le constat ressemble à celui fait en 2005 sur le sujet du handicap en général. Souvent les mots de schizophrénie ou bipolarité sont cités, mais les entreprises ignorent les dépressions ou les autres troubles du comportement, qu’ils soient alimentaires ou en lien avec des addictions dont l’alcool. « Quand on les alerte, elles prennent conscience qu’elles sont concernées plus qu’elles ne le pensaient, mais avouent avoir peu de clés d’action, poursuit David Herz. Or, il est important de comprendre l’enjeu : le handicap psychique est la famille de handicap qui touche le plus les hauts niveaux de qualification ! C’est lié à des facteurs d’hérédité, mais également à l’environnement, et notamment à l’accumulation des pressions : celles des études dans le système français des prépa et concours, puis celles de la vie professionnelle. Or, ces problématiques de « santé mentale », comme disent plus positivement les Anglo-Saxons, ont un coût qui se chiffre en milliards. »

Le malaise des entreprises provient aussi du fait que l’organisation nécessaire à la gestion d’un handicap psychique est parfois plus complexe que pour un handicap physique : ce dernier peut souvent être assumé par une organisation matérielle et peu évolutive. Dans le cas du handicap psychique, il n’y a pas ou peu de solution matérielle et la nécessité d’adaptation est évolutive, face à des moments de crises imprévisibles.

L’« emploi accompagné » sera peut-être la solution qui lèvera les inquiétudes des entreprises. Ce dispositif (lire l’encadré) désormais reconnu dans l’article 52 de la loi Travail, offre une nouvelle possibilité pour les employeurs de recruter des travailleurs handicapés tout en étant accompagnés par une structure extérieure durant toute la durée du contrat de travail. Le décret doit sortir ces jours-ci.

Stanislas Barthélemy, maire de la petite commune de Longueil-Sainte-Marie, dans l’Oise, expérimente ce nouveau dispositif avec un salarié handicapé : « Cet accompagnement est une garantie pour l’employeur », assure-t-il.

L. G.

“Emploi accompagné” : décret imminent

L’“emploi accompagné” devrait être prochainement proposé aux entreprises pour les aider à mieux gérer l’insertion des travailleurs atteints de handicaps psychiques : la sortie du décret est imminente. La logique est de placer en entreprise d’abord, puis d’assurer un suivi des personnes handicapées et de leurs employeurs aussi longtemps que nécessaire. A priori, la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) sera nécessaire pour entrer dans le dispositif, et les agences régionales de santé lanceront des appels à candidatures ou appels à services durant l’année 2017.

Selon Nicolas Pazold, du Collectif France pour la recherche et la promotion de l’emploi accompagné, « il y a tout intérêt à conforter les expérimentations en cours », dont celles menées par l’Agefiph, « et a regarder les résultats en Allemagne, où cette formule est reconnue depuis 2000, mais également en Autriche, en Espagne et dans beaucoup de pays anglo-saxons ».

Le financement devrait reposer aux deux tiers sur les agences régionales de santé et pour un tiers sur les employeurs, à raison de 150 à 300 euros par mois selon la définition des interventions. Son financement par l’Agefiph et le Fiphfp sera au cœur des débats.

L’« emploi accompagné » est d’autant plus un enjeu, explique Frédéric Karinthi, administrateur de la Fegapei*, que les personnes atteintes d’un handicap psychique sont très attentives au respect de leur dossier médical, et leur propension à ne pas vouloir informer leur employeur sur leur handicap ou leur RQTH est bien plus fréquente que de la part de la moyenne des personnes handicapés.

« Par ailleurs, précise-t-il, leur niveau de formation moyen est souvent supérieur, ce qui leur offre une palette d’emploi plus large. Mais il ne faut pas en déduire que leur parcours professionnel sera forcément linéaire ou stable, il faut avoir en tête que leur parcours et comportement ne sera pas intégralement anticipable par l’employeur. D’autant plus que le handicap psychique apparaît souvent à l’âge adulte, et les personnes qui le subissent n’ont pas du tout l’habitude de sa gestion, comparativement à des personnes handicapées de naissance ou durant leur jeunesse. »

(1) Rapport OCDE sur le mal-être au travail, 2012.

* Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées et des personnes fragiles

Auteur

  • Laurent Gérard