Le rôle des managers est d’aider leurs collaborateurs à trouver leur talent, que les erreurs qu’ils commettent permettent de révéler, selon le spécialiste de l’échec. Il prône le droit à la seconde chance.
Charles Pépin : Les dirigeants réunis au sein de l’association pour le progrès du Management m’ont proposé de travailler sur le sujet. À force d’échanger avec eux et d’intervenir au sein des entreprises, aussi bien celles du CAC 40 que des PME, je suis devenu un « expert » de l’échec. J’ai travaillé avec le neuroscientifique Pierre-Marie Lledo. Nous avons croisé nos approches et sommes arrivés à l’idée que tout ce que nous apprenons, nous l’apprenons par l’erreur et l’échec. Quand on réussit, on n’apprend pas grand-chose : on est moins invité à prendre le temps de s’arrêter pour tirer des leçons de l’expérience.
C’est l’histoire de la tarte tatin ou des bêtises de Cambrai : ces réussites sont d’abord des erreurs. Tous les grands artistes, sportifs, s’éloignent de la ligne de conduite pour exprimer leur créativité. Quand on s’écarte du chemin, on commet davantage d’erreurs. L’audace, comme la décision d’ailleurs, implique l’acceptation du risque d’échec. Il faut libérer le talent singulier. Or il est difficile d’en prendre la mesure sans connaître l’échec. Il faut s’inspirer des grands personnages : des artistes, comme Serge Gainsbourg, des sportifs comme André Agassi ou encore, des entrepreneurs comme Xavier Niel, qui ont su prendre des risques. Jean-Claude Decaux avait également développé le sens du risque : sur le mur de son bureau, il était affiché la phrase de Richard Branson : « les audacieux meurent plus tôt mais les autres ne vivent pas du tout ». Leur esprit d’aventure a fait d’eux des pionniers. Ils restent minoritaires.
C’est tout l’inverse aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Finlande, par exemple. Une grande part de la responsabilité incombe à l’école française : les ratés des élèves sont sanctionnés. Il faut entrer dans la norme, c’est le contrat de l’école de la République, égalitariste. Avec un effet pervers : l’accent n’est pas suffisamment mis sur la singularité et la créativité.
Les uns trouvent cela évident, les autres n’en ont jamais entendu parler. Mais lors de mes interventions, il y a toujours un patron, un DRH ou manager qui a connu l’échec et en a gagné en force d’empathie. Ceux qui ne l’ont pas vécu sont généralement les plus odieux et arrogants avec leurs équipes. L’intelligence purement rationnelle, que j’appelle « tableau excel », c’est de la logique, ce n’est pas de l’intelligence. Il faut forcément de la sensibilité pour qu’il y ait de l’intelligence. Quand on me demande un power point, j’explique que je suis contre. Cela empêche le lien de se créer. Si vous renvoyez à un slide, vous coupez la relation et l’écoute.
Elle influe beaucoup. Chez l’assureur Covéa, cela fait des années que les managers se réunissent chaque mois pour réfléchir aux erreurs commises au sein de l’entreprise. À la Maif aussi, le droit à l’erreur fait même partie de la charte de l’entreprise. Dans d’autres entreprises, des personnes qui en ont commis une à 40 ans se retrouvent placardisées jusqu’à la retraite. Parfois, ces entreprises sont numéro un sur leur marché. Alors les directions se disent que cela fonctionne très bien sans se poser de questions ni reconnaître les vertus de l’échec. Or dans une époque où tout va bien, cela peut ne pas être très grave mais en temps de crise, on a besoin de la créativité qui découle de la prise de risques. Ces entreprises qui ne se remettent pas en question le paient déjà car leurs salariés n’y sont pas heureux. Certains me confient qu’on ne leur a pas pardonné de s’être trompé, d’autant plus quand ils ont pris une initiative en s’écartant de la norme. Si cela avait fonctionné, ils auraient été félicités. Quand cela aboutit à un échec, ils sont mis à l’écart. Un des mots que j’entends le plus en entreprise est le mot « process ». Ce n’est pas la « motivation », l’« envie », la « créativité » ou la « décision »… C’est le mot « process » qui a triomphé. C’est très significatif.
La plupart, oui. Mais les entreprises libérées proposent de créer des temps faits pour prendre le temps de s’arrêter, en ne débutant pas les réunions avant 14 h 30, par exemple. Le fait d’aménager des espaces pour questionner les pratiques, de les ritualiser est primordial. Quand on prend le temps de s’arrêter, on va plus vite ensuite. C’est la métaphore du trampoline : il faut prendre le temps de bien s’enfoncer pour mieux rebondir. Rebondir trop vite, c’est rebondir moins haut.
En tout premier, ne pas sanctionner quand quelqu’un commet une erreur. Même si toutes les erreurs ne sont pas à valoriser. Il faut que cela soit le fait d’oser qui aboutisse à l’échec. Et quand on fait deux fois la même erreur, cela n’a pas d’intérêt. Il est important d’apprendre de ses erreurs. Ensuite, le rôle du manager est de favoriser le talent de ceux qu’il encadre, de les inciter à trouver ce pour quoi ils sont doués. Si un collaborateur a échoué, cela peut être une manière de se rapprocher de son talent singulier. S’il échoue quelque part, c’est qu’il pourrait être meilleur ailleurs. Au manager de l’aider à regarder dans cette direction. L’échec doit être vu comme un indicateur du domaine pour lequel le collaborateur peut avoir davantage de talents. Tous les chercheurs en sciences apprennent les vertus de l’erreur au début de leur cursus. Des modules de formation en entreprise permettent de rappeler que tous les grands savants ont trouvé des solutions suite à leurs erreurs.
> Charles Pépin est philosophe et intervient en entreprise comme expert via l’Association pour le management (APM).
> Il est l’auteur de Les vertus de l’échec, Allary éditions, 2016, Qu’est-ce qu’avoir du pouvoir ?, Desclée de Brower, 2010, La Planète des sages – Encyclopédie mondiale des philosophes et des philosophies, en collaboration avec Jul, Dargaud, 2011.
> Parfaites imperfections, Erik Kessels, Phaidon, 2016
> Open, André Agassi, Plon, 2009