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L’interview

Jean-François Caron : « La santé et la QVT sont porteuses de performance globale »

L’interview | publié le : 22.11.2016 | Véronique Vigne-Lepage

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Jean-François Caron : « La santé et la QVT sont porteuses de performance globale »

Crédit photo Véronique Vigne-Lepage

Les futurs managers que forment les écoles d’ingénieurs et de management, vont désormais apprendre que l’homme, sa santé et sa qualité de vie au travail, doivent être au centre des processus. La pérennité des entreprises en dépend.

L’Écam Lyon participe, sous votre pilotage, au projet “Santé, qualité de vie au travail et performance globale” (SQVT-PG/Entreprise & Carrières n° 1305). Pourquoi une école d’ingénieurs s’intéresse-t-elle à la santé et à la QVT ?

Nous faisons partie des six premières écoles d’ingénieurs en France à avoir reçu, le 10 octobre dernier, le label BES& ST (Bases essentielles en santé et sécurité au travail), parce que nous travaillons depuis plus de dix ans avec la Carsat pour intégrer ces notions dans nos enseignements et dans le management de l’école. Aujourd’hui, au sein du projet SQVT-PG, nous pilotons le chantier qui va consister à proposer de nouveaux savoirs et de nouvelles méthodes pédagogiques pour intégrer davantage encore ces notions de santé et QVT, de manière transverse, dans tous les enseignements des écoles d’ingénieurs et de celles de management. Car nos élèves sont les futurs managers des entreprises : trois ans après leur diplôme, tous nos ingénieurs sont souvent à la tête d’une petite équipe et même souvent avant, lorsqu’on leur confie un projet.

Quelles notions s’agit-il d’inculquer à ces futurs managers ?

L’idée qu’une entreprise doit, certes, viser à être compétitive, mais aussi à satisfaire cinq types de “client” : les clients qui paient le produit ou le service, bien sûr, la direction et les actionnaires, qui prennent des risques et investissent, les équipes, à l’égard desquelles il faut de l’exigence mais aussi de la bienveillance, les sous-traitants, qui sont souvent déconsidérés, et la planète Terre, qu’il faut cesser de martyriser, faute de quoi nous réduisons notre capital, naturel, financier et économique. La performance globale est non pas un objectif, mais le résultat d’un plan d’action global visant à satisfaire ces cinq types de clients. L’objectif, c’est “l’économie bleue” qu’a décrite Gunter Pauli (NDLR : industriel belge). Celle-ci vise un équilibre entre une économie “rouge” qui consiste à consommer notre capital naturel dans un but de profit à court terme, et une économie “verte”, certes tournée vers l’environnement, mais ayant du mal à exister sans être subventionnée. Bien sûr, une entreprise veut et doit gagner de l’argent, mais si l’on veut la pérennité, on est obligé de penser en terme de performance globale.

Les entreprises agissent déjà beaucoup en manière de santé au travail. Comment aller plus loin ?

Effectivement, les entreprises ont fait des progrès énormes en ce qui concerne le travail prescrit. Mais, de plus en plus souvent, les problématiques de santé concernent le travail non prescrit. De réelles problématiques de souffrance au travail s’y développent. C’est l’une des raisons pour lesquelles la notion de QVT émerge. Malheureusement, celle-ci fait parfois sourire : certains ont encore dans l’idée qu’il est normal, au travail, de se faire du mal. Ce qui est normal, de mon point de vue, c’est d’être dans l’effort, mais en s’interrogeant sur les limites.

Il n’existe pas de méthodologie prête à l’emploi. Cependant, il est essentiel de réellement positionner l’homme au cœur de l’entreprise. Cela doit se traduire dans une vision de long terme, dans des valeurs de management, puis dans une stratégie et, enfin, des plans d’action. Une démarche d’amélioration continue telle que le lean s’inscrit parfaitement dans ce cadre. Le lean a parfois eu un impact négatif sur la santé des salariés, dans des entreprises qui l’ont considéré uniquement comme un ensemble d’outils. Or il relève à 80 % du management. Il ne s’agit pas de reproduire à l’identique ce qui fonctionne chez Toyota, mais de l’adapter aux hommes de l’entreprise. Toute mise en place de démarche lean doit impérativement intégrer la santé au travail.

Et cette question n’est pas un boulet à traîner ! Il y a 20 ans, j’étais un “performeur” en entreprise, et je le pensais. Mais les erreurs que j’ai commises m’ont fait comprendre que si on oublie les hommes, des TMS, par exemple, se développent. Lorsqu’on s’en rend compte, il est trop tard. Prendre en compte la santé au travail dès le début permet d’éviter d’avoir des malades à remplacer, des coûts à assumer, des organisations à casser… De même, nous travaillons sur la conduite du changement, car le travail en mode projet, lui aussi, peut être pathogène. Les questions de délais, de service, de qualité, de coût sont de plus en plus présentes et la pression de plus en plus forte. Elle devient très difficile à gérer. Il s’agit donc de réfléchir au fil rouge que l’on se donne pour un projet : quels garde-fous ? Qu’est-ce que le travail dans ce cadre ? Là encore, ne pas prendre en compte la santé est source de non-performance : en effet, en cas de contrariété ou si le chef de projet est insupportable, par exemple, les capacités cognitives (réflexion, mémorisation…) des membres de l’équipe vont être altérées, de même que leurs aptitudes sociopsychologiques (prise d’initiative, par exemple) et leur état physique (épuisement). On s’aperçoit ainsi que des leviers de performance se trouvent dans la manière de faire en sorte que les équipes soient mieux et plus motivées. Il ne s’agit pas de “faire plaisir” aux salariés, mais d’avoir une exigence bienveillante en vue d’atteindre cette performance globale.

Les crises économiques ont-elles poussé à cette évolution ?

Je pense que le problème n’est pas là. Regardons plutôt, positivement et avec lucidité, devant nous. Bien au-delà des crises, nous sommes en train de vivre une 4e révolution industrielle, liée aux technologies numériques et à la mondialisation (les deux dernières étant celles du machinisme et de la micro-électronique). C’est une opportunité formidable à saisir pour se demander de quoi on a besoin pour construire une “économie bleue”. Dans les deux ans qui viennent, nous allons créer, à l’Écam, une plate-forme technologique représentant une usine 4.0. Ce sera un lieu d’enseignement et de recherche sur la façon de construire ce lien entre santé/QVT et performance globale : lorsqu’il s’agira par exemple d’installer un robot pour répondre à une commande, nous inciterons les élèves ingénieurs à ne pas seulement considérer le retour sur investissement, mais aussi à étudier les impacts potentiels sur les hommes, les organisations et l’environnement. Car les problématiques que les entreprises vont rencontrer en passant du 2.0 ou du 3.0 au 4.0 relèveront de l’humain, du fonctionnement des équipes. Il faudra deux générations pour intégrer toutes ces dimensions et faire bouger les choses dans toutes les entreprises. Mais leur pérennité passe par là et même, au-delà, la compétitivité de la France et de l’Europe.

Jean-François Caron enseignant et chef de projets à l’Écam Lyon

Parcours

> Jean-François Caron est enseignant à l’École catholique des arts et métiers (Écam) de Lyon. Il y est aussi responsable du département Écam Factory. Il pilote par ailleurs daux chantiers au sein du projet régional SQVT&PG.

> Il était auparavant directeur de production et associé au sein de la société Gardette (groupe P3G), spécialisée dans la mécanique de précision, dans laquelle il a travaillé durant vingt ans.

Lectures

Dans quel monde voulons-nous vivre ?, Pierre Rabhi, Joseph Stiglitz, Jacques Attali, Muhammad Yunus, Richard Branson, Edgar Morin, Saskia Sassen, Cynthia Fleury, 2015, Librio.

Le management intuitif, vers l’entreprise collaborative. Meryem Le Saget, 2013 (3e édition), Dunod.

Auteur

  • Véronique Vigne-Lepage