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Gestion des temps : Instaurer des horaires à la carte

Les clés | publié le : 22.11.2016 | Marie-Madeleine Sève

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Gestion des temps : Instaurer des horaires à la carte

Crédit photo Marie-Madeleine Sève

Et si le manager acceptait que les 35 heures des uns ne soient pas les 35 heures des autres ? En misant sur le « temps choisi » dans l’équipe, il permettra à chacun de travailler à son rythme et y gagnera en efficacité collective. La condition : être prêt à gérer ses collaborateurs par la confiance, et sur un mode participatif.

À Nice, chez Convers (centre de relations clients, 200 salariés) chaque téléconseiller choisit son temps de travail hebdomadaire : 25, 30 ou 35 heures. Et dans ce cadre, il peut modifier ses horaires d’une semaine à l’autre, en fonction de son agenda personnel. Les salariés sont libres de démarrer leur job entre 9 heures et 17 heures, ou de travailler un minimum de trois heures, selon les jours. Un système à la carte, dit « temps convenu », inédit dans la profession, depuis… 1998. « Attention, ce n’est pas open-bar, souligne le Pdg Philippe de Gibon, l’un des quatre dirigeants associés. Tous les jeudis, le responsable de plateau établit un planning où chacun doit se positionner pour la semaine suivante, et s’y tenir. » En outre, deux fois par an, les salariés peuvent modifier leur volume horaire contractuel (de 35 à 25 heures, par exemple), en signant un avenant.

Ce patron l’a bien senti. Partout, les salariés aspirent à un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Cela ressort de toutes les enquêtes sur le bien-être au travail. Les entreprises se soucient donc d’y répondre, en particulier via des modulations horaires, d’autant plus que l’efficacité en est accrue dans les rangs. Selon le récent sondage Horoquartz-OpinionWay(1), 90 % des managers déclarent faire confiance à leurs collaborateurs pour gérer leur temps de travail, et 93 % de ceux qui leur accordent de la liberté (un tiers), observent de meilleures productivité et implication.

Pour sa part, Convers constate peu d’absentéisme, jamais de retard et moins de stress au téléphone. Si la PME fait figure de pionnière en matière de flexibilité horaire, elle n’est pas la seule. Les Laboratoires Boiron, l’industriel Techné, la SSII Norsys, ont déjà rodé, eux aussi, un système similaire. Et l’assureur Generali a signé fin 2015, un accord instaurant des horaires individualisés et variables pour ses 4 200 administratifs dans l’Hexagone.

Positivité

Mais pour qu’une telle organisation fonctionne, il y a des conditions. « Elle n’est possible que là où il y a une ambiance positive dans l’équipe, remarque Gilles Verrier, DG du cabinet conseil Identité RH. Car le manager va devoir changer de posture, basculer dans un système de confiance, lâcher prise sur le mode directif. » Ensuite, il lui faut fixer un cadre, afin d’assurer l’équité dans le(s) service(s). « Il n’y a rien de pire que de dire “oui” à quelqu’un, “non” ou “oui mais” à un autre, assène Sylvain Breuzard, le Pdg de Norsys à Ennevelin (Nord, 450 salariés en France). Moi, j’ai arrêté, après consultation des salariés, du CE et selon les impératifs des clients, une amplitude horaire : 8 heures-10 heures le matin, 17 heures-19 heures le soir. Ensuite, le manager, au siège ou en agence, peut bâtir des démarches individualisées, selon le métier et le contexte professionnel. » Avec une règle claire : le salarié fixe ses heures de départ et d’arrivée, immuables le temps des projets en cours, et il en informe le chef, l’équipe, et l’entourage avec lequel il a des interactions. « La transparence est capitale, poursuit Sylvain, Breuzard, sauf à susciter des interprétations : « Tiens, il part déjà à 16 heures », mais le consultant n’aura pas vu que sa collègue était là dès 8 heures puisque lui n’est arrivé qu’à 9 h 30. ». De même, pour les absences ponctuelles (médecin, enfant…), le manager avertira l’équipe qu’il a donné son autorisation, mais sans en livrer la raison.

Agilité

Ceci étant calé, deux écueils majeurs guettent les meilleures volontés. Le premier est l’éparpillement des troupes. « Le manager doit garantir des moments de retrouvailles qui préservent la vie de l’équipe, insiste Clément Toulemonde, directeur associé du cabinet Interactifs. Il prévoira des plages de présence commune, pour réunir le groupe – une fois par semaine ou cinq minutes chaque matin –, et favoriser les temps de convivialité (café, déjeuners…), qui permettent l’échange, l’entraide, les synergies. » Faire tourner le lead de la réunion entre les cinq ou six membres de l’équipe, en leur confiant un thème précis, devrait appâter les électrons libres. Le second écueil est de contrôler le travail comme avant, les yeux rivés sur sa montre. Or l’encadrant doit entrer dans la culture du résultat. « Ce n’est plus le temps prévu qui compte, mais le travail prévu, résume Philippe Burger, associé responsable Capital humain chez Deloitte. Ce qui exige que chacun sache ce qu’on attend de lui, tâches, production, qualité, priorités, etc. Et pour s’assurer que le travail avance, le n + 1 demandera des reportings d’étape par oral, lors de points réguliers. » Le deal en amont peut consister à évaluer « à la louche », avec son managé, le temps nécessaire au dossier X ou Y, puis de l’ajuster au fil de l’eau. Le maître mot, c’est l’agilité. Inutile de se frapper si l’un part plus tôt, l’autre plus tard, ça se récupère. C’est pourquoi Sylvain Breuzard tient à former les nouveaux managers sur les principes du système et les modes d’action, avec des cas concrets. De fait, une équipe responsabilisée s’autorégule.

Les conseils du coach

Christine Boulay

Consultante RH et formatrice auprès de Demos

–1– Concerter et arbitrer, tel un chef de projet

Le manager a intérêt à traiter le sujet “horaires” sur un mode projet, en orchestrant la discussion afin de dégager un consensus et d’obtenir l’adhésion de chacun. Lors de réunions dédiées, il écoutera l’équipe et l’engagera à définir les impératifs du service, grâce à la question : « pour quoi œuvrons-nous ? ». Les réponses seront précises, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Exemple, sur une base logistique, « fournir le même niveau de prestation au client que ce soit à 3 heures du matin ou à 15 heures l’après-midi, en lui livrant les produits frais sans retard, ni dommage ». Cet objectif partagé est la seule façon de vérifier la performance individuelle et collective. Au n + 1 aussi, de trancher ou de trouver des compromis “justes”.

–2– Élaborer une charte d’équipe

Je conseille de réaliser, ensemble, un document écrit qui notifie les valeurs concrètes du service ainsi que son mode de fonctionnement(1), points-clé d’une flexibilité réussie. Il rappellera la nécessité de la polyvalence, l’importance de la solidarité, le type de roulements entre salariés afin d’éviter la désertion dans les bureaux ou ateliers aux heures difficiles, etc. Et tout le monde doit être d’accord pour venir travailler en renfort lors des “périodes rouges”, tôt le matin ou tard le soir. Cela déminera de potentiels conflits et renforcera la responsabilisation collective.

–3– Reconsidérer le rôle des badgeuses

La liberté horaire a besoin de garde-fous, surtout là où les effectifs sont nombreux. La confiance réciproque ou le suivi d’un planning peut suffire, mais gare à respecter la loi : un salarié ne peut pas travailler plus de 10 heures par jour, 48 heures par semaine, et doit se reposer au moins 11 heures entre deux journées de travail(2). Sans oublier ses congés. Les techniques de badgeuse, ou de traçabilité intégrée sur ordinateur, aident à rester dans les clous. Et à se rappeler que toute heure supplémentaire doit être rémunérée.

(1) Sondage réalisé du 16 au 20 juin 2016, auprès de 1 043 salariés encadrants en entreprise publique ou privée.

(1) Lire Entreprise & Carrières, n° 1249/1250 du 14 juillet au 24 août 2015.

(2) Articles L. 3121-35, L. 3131-1 et L 3132 du Code du travail.

Auteur

  • Marie-Madeleine Sève