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La chronique juridique d’avosial

Chronique | publié le : 22.11.2016 | Lionel Paraire, Lucie Pinon

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La chronique juridique d’avosial

Crédit photo Lionel Paraire, Lucie Pinon

Liberté religieuse des salariés et fonctionnement de l’entreprise

Un an après la médiatique affaire « Baby-Loup » (Cass. Ass. Plén., 25/ 06/2014, n° 13-28.369), la Cour de cassation a été saisie de la contestation d’un licenciement intervenu suite au refus d’une salariée d’ôter son foulard lorsqu’elle intervenait chez des clients (Cass. soc., 9/04/2015, n° 13-19.855).

Les dispositions légales susceptibles de s’appliquer au fait religieux dans l’entreprise ne permettaient pas de trancher ce litige. En effet, le Code du travail comporte seulement des dispositions interdisant les discriminations fondées sur des convictions religieuses (article L. 1132-1 du Code du travail) ou des dispositions générales dont il ressort que la liberté religieuse peut être restreinte si la restriction est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché (articles L. 1121-1 et L. 1321-3 2° du même Code). La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a donc été saisie et devra déterminer, d’ici la fin de l’année, si la prise en compte des souhaits de la clientèle peut constituer une « exigence professionnelle essentielle et déterminante ».

De nombreux managers sont ainsi confrontés à des revendications d’ordre religieux, de plus en plus fréquentes, qu’il s’agisse d’une attitude (menus spécifiques, refus de travailler avec des femmes), d’une demande d’absence ou de pause ou d’une tenue vestimentaire. Or, ces revendications peuvent remettre en cause l’équilibre du contrat de travail, car elles constituent un facteur potentiel d’inexécution des obligations contractuelles du salarié et d’opposition au pouvoir de direction de l’employeur. Pour pallier l’absence de cadre légal, certaines entreprises (EDF, Carrefour, RATP) ont élaboré leur propre charte, sans valeur normative. Le Ministère du Travail vient, de son côté, de présenter aux partenaires sociaux un « Guide pratique du fait religieux dans les entreprises privées ».

Afin de limiter le risque juridique, il est recommandé de traiter chaque revendication de manière pragmatique au regard du droit commun. A un salarié refusant d’exercer telle tâche ou de travailler avec une femme, il pourrait être rappelé qu’il doit exécuter ses obligations contractuelles ou qu’il ne peut adopter un comportement discriminatoire à l’égard d’autrui. De la même manière, une demande de congé pourrait être abordée sous l’angle de l’organisation du travail : si elle nuit au bon fonctionnement de l’entreprise (sous-effectif, surcroît de travail), le manager peut ne pas y faire droit.

Gérer le fait religieux en entreprise reviendrait ainsi à répondre à cette seule question : existe-t-il ou non un trouble au bon fonctionnement du service ou de l’entreprise ? S’agissant de la tenue vestimentaire, exception faite des motifs tirés de l’hygiène ou de la sécurité, la solution paraît moins évidente. L’intérêt commercial semble désormais inopérant pour justifier une quelconque restriction : le Conseil de Prud’hommes de Lyon a ainsi jugé que le contact avec la clientèle, même pour une enseigne de la grande distribution, ne justifiait pas l’interdiction du port du voile, quand bien même cela était proscrit par le règlement intérieur (CPH Lyon, 18/09/2014, Carrefour). Sur ce point, les décisions à venir de la CJUE et de la Cour de cassation sont très attendues.

Par ailleurs, la solution serait peut-être différente aujourd’hui suite à l’introduction par le législateur d’un nouvel article L. 1321-2-1 dans le Code du travail (loi du 8/08/2016), autorisant désormais l’employeur à instaurer dans le règlement intérieur « des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ».

Si l’intérêt du texte paraît limité en ce qu’il réaffirme les conditions habituelles posées à la restriction des libertés individuelles, il pourrait sécuriser les règlements intérieurs rédigés en ce sens. En absence de définition des « nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise », il faut attendre les premières décisions des juridictions du fond qui seront amenées à préciser la marge de manœuvre des entreprises.

Auteur

  • Lionel Paraire, Lucie Pinon