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L’interview

« Gérer les conflits au travail par la médiation »

L’interview | publié le : 15.11.2016 | Pauline Rabilloux

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« Gérer les conflits au travail par la médiation »

Crédit photo Pauline Rabilloux

Gérer les conflits au travail par la médiation ne revient pas à partager les torts mais à adopter sur le système qu’est l’entreprise une vision globale qui clarifie la position des acteurs. Cette solution correspond à la volonté des organisations de réguler les risques psychosociaux en leur sein et de rétablir l’homéostasie de situations de travail devenues complexes.

E & C : Vous préconisez de gérer tous les types de conflits au travail par une solution unique : la médiation. Qu’entendez-vous exactement par ce terme ?

J.A. Malarewicz : Les conflits au travail participent des risques psychosociaux puisqu’ils sont générateurs de stress, d’agressivité, voire de violence au travail. Leur prise en compte par la médiation à la demande des services RH ou des directions d’entreprise relève de la volonté de prévenir ces risques et de satisfaire à la responsabilité légale de l’entreprise par rapport au maintien de la santé physique et mentale des salariés. Il s’agit pour l’entreprise à la fois de réduire les plaintes émanant de personnes, de services ou d’équipes de manière à ne pas risquer que ces plaintes soient portées devant un tribunal de prud’hommes, et de résoudre les dysfonctionnements relationnels et éventuellement de performance pouvant résulter de conflits entre deux personnes ou entre un responsable hiérarchique et son équipe. La notion de médiation est dans l’air du temps. Elle a gagné presque tous les aspects de la sphère sociale : médiation entre une administration et ses usagers, médiation conjugale, médiation entre une entreprise et ses clients, etc. La médiation interrelationnelle en entreprise s’inscrit donc dans cette tendance. Elle est pratiquée aussi bien par des médiateurs internes que par des médiateurs externes dont l’expertise, et donc le point de vue sur la médiation, varie de l’approche juridique – c’est devenu une spécialité pour certains avocats – à toutes les approches psychologiques ou relationnelles existantes.

Que le service soit interne ou externe, mettre en œuvre une médiation dans l’entreprise pour gérer un conflit du travail revient à introduire un élément tiers entre les parties en conflit. Dans l’approche systémique qui est la mienne, cet élément tiers permet de changer la focale pour mettre en évidence, au-delà de l’animosité entre personnes, ce qui dysfonctionne dans l’organisation.

Pouvez-vous préciser comment vous abordez personnellement cette médiation ?

Je l’aborde à partir d’une position théorique particulière, l’analyse systémique, et de repères théoriques et pratiques que tous les médiateurs ne partagent pas forcément. Quand je dis que je me situe dans la logique systémique, je veux dire que, sauf cas de personnalités psychopathologiques avérées, tout conflit relationnel entre individus dans l’entreprise renvoie facilement à une problématique organisationnelle. Être en conflit, c’est aussi participer à l’homéostasie du système, c’est-à-dire au maintien d’un statu quo, notamment en devenant le bouc émissaire de l’ensemble du groupe. Résoudre ce conflit revient donc à mettre en évidence ce qui se joue au travers des acteurs plutôt qu’à stigmatiser ou à pointer du doigt une faute ou un abus. Un problème surgissant entre des personnes, comme on le voit souvent, joue le rôle d’un abcès de fixation et cache des dysfonctionnements qui les dépassent largement.

L’approche systémique permet de voir qu’un problème particulier est en fait une solution pour l’entreprise dans son ensemble, le conflit individuel focalisant l’attention et permettant d’éviter de mettre sur la table des enjeux organisationnels. Pour cette raison, je n’interviens jamais individuellement auprès des personnes en cause – qui d’ailleurs ne sont jamais demandeuses de médiation – mais sur la situation d’ensemble au plan le plus global possible et à partir d’un contrat passé non avec tel ou tel mais avec l’entreprise à travers son mandataire RH ou autre. Je rencontre ensemble les deux acteurs principaux du conflit. Les écouter séparément reviendrait à prendre parti, ce qui n’est pas du tout l’objectif.

Peut-on gérer à l’identique des conflits personnels et des conflits collectifs ?

Un autre de mes présupposés revient à affirmer que tout conflit entre un supérieur hiérarchique et son équipe peut être réduit à un conflit de personnes entre ce supérieur et un membre de l’équipe fonctionnant comme leader du groupe. C’est alors ces deux personnes qu’il faudra impliquer dans le processus de médiation. Cette approche consiste, d’une part, à recontextualiser le problème interrelationnel et, d’autre part, à faire en sorte que les protagonistes du conflit proposent des solutions. Il s’agit ensuite, bien sûr, de rendre compte au mandataire, c’est-à-dire à l’entreprise, de l’analyse qui a pu être faite de la situation. Le médiateur, comme tout intervenant, a une obligation de moyens et non de résultat, il appartient aux acteurs les plus responsables de l’entreprise d’assumer leurs responsabilités organisationnelles. Évidemment, la médiation a ses limites, qui correspondent à des conflits d’intérêts irréductibles entre des groupes sociaux amenés à travailler ensemble. C’est ainsi qu’il arrive que des délégués syndicaux cherchent parfois à intervenir sur ces divergences au profit d’un seul groupe en faisant valoir leurs prérogatives. Dans d’autres cas, ces mêmes délégués syndicaux peuvent être considérés comme des professionnels de la médiation ou en tout cas de la négociation entre les parties adverses. Par ailleurs, les acteurs de la hiérarchique intermédiaire, pris entre des exigences de rentabilité venant de leurs propres responsables et le risque de se trouver confrontés à leurs conséquences sur les membres de leurs équipes, sont eux-mêmes de plus en plus en situation de jouer un rôle de médiateur.

En quoi l’approche systémique contribue-t-elle à réhabiliter le collectif ?

La médiation systémique des conflits du travail a sur le coaching individuel l’avantage de poser les problèmes, d’une part au niveau des organisations, en impliquant le collectif de travail plutôt que des personnes en tant qu’acteur individuel, et d’autre part de s’intéresser aux rôles plutôt qu’au caractère de chacun. Le collectif a certainement changé de sens depuis l’époque industrielle. Il s’agit rarement, au sens strict, de personnes exerçant exactement le même métier dans des conditions similaires de travail et de rémunération. Les personnes et les services aujourd’hui collaborent dans une logique de puzzle dont les pièces doivent s’emboîter plutôt que se chevaucher. Le système n’est pas fait d’éléments semblables mais complémentaires. C’est cette complexité que la médiation aide éventuellement à mieux réguler.

Jacques Antoine Malarewicz Médecin Psychiatre

Parcours

> Jacques Antoine Malarewicz est médecin psychiatre, consultant en entreprise, formateur et superviseur de coachs ; il accompagne également des dirigeants et des équipes de direction.

> Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à l’approche systémique parus notamment chez Pearson : Systémique et entreprise (2000), Réussir son coaching grâce à l’approche systémique (2003), Les personnalités difficiles en entreprise (2009), Comment être un mauvais manager ? (2016) et Gérer les conflits au travail (seconde édition 2016).

Lectures

Outils et pratique de la médiation, J.-L. Chavanis, M.J. Gava, Paris, InterEditions, 2014.

Faites vous-même votre malheur, P. Watzlawick, Paris, Gallimard, 2014.

Auteur

  • Pauline Rabilloux