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L’interview : Patrick Thiébart avocat associé au cabinet Jeantet

L’enquête | L’interview | publié le : 08.11.2016 | V. L.

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L’interview : Patrick Thiébart avocat associé au cabinet Jeantet

Crédit photo V. L.

« Une entreprise qui n’agit pas s’expose à de multiples risques »

Que change la loi du 8 août 2016 sur le sujet du droit à la déconnexion ?

Le principe selon lequel l’employeur est tenu de prendre en compte l’articulation entre la vie professionnelle et la vie privée de ses salariés est désormais bien établi. La loi Travail vient compléter ce principe d’une obligation pour l’employeur de définir les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion pour tous les salariés.

Auparavant, le sujet de la déconnexion apparaissait sous la forme d’un droit à un temps de repos pour les cadres soumis à un forfait-jours. À ce titre, depuis 2011, la Cour de cassation est venue annuler un certain nombre de conventions collectives, dont celle de Syntec, au motif qu’elles ne permettaient pas de s’assurer que les salariés en forfait-jours bénéficiaient effectivement d’un temps de repos suffisant.

Les employeurs ont alors dû négocier de nouveaux accords relatifs au temps de travail de cette catégorie de salariés, et s’assurer que leur charge de travail demeure raisonnable afin de préserver l’équilibre vie professionnelle-vie privée. Par ailleurs, en avril 2014, un avenant à la convention collective Syntec sur le temps de travail a été signé, prévoyant une obligation de déconnexion des outils de communication à distance. C’était la première fois qu’une norme conventionnelle nationale prévoyait une telle disposition, même si certaines entreprises avaient déjà instauré, en interne, un droit à la déconnexion.

Le non-respect de ce droit n’est pas assorti de sanctions. Quels sont les risques pour un employeur de ne pas agir ?

Il pèse toujours sur l’employeur une obligation de sécurité de résultat. L’article L. 4121-1 du Code du travail prévoit d’ailleurs qu’il « doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

L’employeur ne respectant pas les dispositions relatives au droit à la déconnexion pourrait ainsi voir sa responsabilité engagée en cas de burn-out ou de harcèlement managérial si un salarié était obligé de répondre aux e-mails envoyés à toute heure du jour et de la nuit par son supérieur hiérarchique. Rappelons que le harcèlement moral peut également faire l’objet de sanctions pénales.

Un autre risque est de voir son salarié prendre acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur et demander devant le conseil de prud’hommes à ce que cette prise d’acte soit requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse avec paiement de dommages et intérêts. De la même manière, pourrait se poser la question d’un éventuel délit de travail dissimulé pour les heures effectuées en dehors du « temps de travail autorisé ».

Il est donc tout à fait nécessaire d’avoir une politique visant à prévenir l’envoi d’e-mails intempestifs.

Comment réguler l’utilisation des outils numériques ?

Cela peut passer par des actions de sensibilisation, des formations, notamment pour permettre aux salariés de détecter toutes les situations anormales. L’employeur ne peut pas se contenter de dire, dans un accord ou une charte : « Les salariés ont droit à leur temps libre et ne sont pas censés recevoir d’e-mails entre 18 h 30 et 7 heures du matin. » Il faut nécessairement aller au-delà.

Le droit à la déconnexion doit être l’occasion de réfléchir à l’organisation du travail dans son ensemble. Les entreprises doivent par exemple commencer par identifier les départements où des e-mails sont envoyés à des heures incongrues. Une telle situation peut, par exemple, cacher un problème de sous-effectifs. Les employeurs peuvent auditer le volume de courriels envoyés et réfléchir à une organisation du travail optimisée, pour diminuer la charge de travail de certains services. De même, si les bonus accordés sont des primes au rendement, il faudra sans doute revoir la politique d’intéressement.

Avant de signer un accord, il est donc indispensable de dresser une cartographie des risques, afin d’élaborer des réponses propres à l’entreprise et à ses différentes entités.

Auteur

  • V. L.