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Formation : Collecte des OPCA : ce que la reforme a changé

L’enquête | publié le : 25.10.2016 | Laurent Gérard

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Formation : Collecte des OPCA : ce que la reforme a changé

Crédit photo Laurent Gérard

Effondrement du plan légal, explosion des fonds libres, taxe d’apprentissage… La nouvelle collecte des fonds de la formation professionnelle par les Opca révèle un paysage totalement modifié. Les entreprises doivent le comprendre au plus vite, pour mieux gérer leur politique formation.

C’est la première ! La première collecte des fonds de la formation professionnelle par les Opca auprès des entreprises, avec la nouvelle architecture financière née de la réforme de mars 2014. Les changements sont énormes et c’est une nouvelle lecture des flux financiers qu’il faut développer : un enjeu majeur pour les DRH et les responsables formation (RF).

Tous les chiffres présentés dans ce dossier ont été collectés directement par Entreprise & carrières auprès de chaque acteur, les traitements et analyses sont les nôtres. Les constats majeurs de cette première année de nouveau fonctionnement sont détaillés ci-contre en cinq points.

Un paysage modifié

Tous les changements cumulés modifient profondément le paysage du financement de la formation professionnelle. Auparavant, ces fonds qui transitaient par les collecteurs, représentaient environ la moitié de l’ensemble de l’effort financier des entreprises en formation continue. Aujourd’hui, avec la fin de la déclaration fiscale 2483, qui était liée notamment à l’usage du 0,9 % plan obligatoire, le repérage de cet investissement est rendu plus difficile.

Outre cette incertitude, une autre question se pose déjà : ce paysage va-t-il durer ? Beaucoup de candidats à la prochaine élection présidentielle évoquent une future réforme, dans laquelle la collecte serait réalisée par les Urssaf et où les Opca à gestion paritaire seraient fermés. Comment les fonds redescendraient-ils vers les entreprises, puisque la gestion serait alors administrée nationalement ? Ce n’est pas bien clair. Certains évoquent des appels à financement de la part des branches professionnelles et/ou des entreprises. Que deviendra alors le travail de terrain, de conseil et de proximité aujourd’hui fait par les Opca ? Nul ne le sait.

L. G.

1. La collecte est en hausse

La collecte “formation professionnelle continue” (hors taxe d’apprentissage) passe de 6 milliards à 6,8 milliards d’euros, selon nos chiffres. C’est dû à un effet mécanique de la réforme : les obligations légales de financement ont baissé de 1,6 % à 1 % de la masse salariale (pour les entreprises de plus de 10 salariés), mais le 0,9 % pour plan de formation d’hier était souvent gardé en interne par les grandes entreprises.

Aujourd’hui, l’obligation de versement de 1 % de la masse salariale des entreprises aux Opca aboutit à un montant finalement supérieur à ce qui était versé hier : + 13 %.

2. La collecte de la taxe d’apprentissage peut changer la politique “alternance”

La collecte d’une partie de la taxe d’apprentissage est une nouveauté pour nombre d’Organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) devenus également Organismes de collecte de la taxe d’apprentissage (Octa), alors que certains Opca la collectaient déjà. L’effet de masse de cette collecte est vraiment important cette année, atteignant 2 milliards d’euros. Mais ces fonds ne feront que transiter par les Opca, car ils doivent être réorientés vers les CFA et utilisateurs de la taxe d’apprentissage. Les branches professionnelles qui pilotent et gèrent les Opca ont cependant une marge de manœuvre pour penser et créer une politique d’apprentissage à leur main, plus ou moins en lien avec la politique de contrat de professionnalisation. C’est un point que les branches et les entreprises ont tout intérêt à investir.

3. De nombreuses collectes sont réalisées pour le compte d’autrui

La collecte totale de près de 9 milliards d’euros (formation professionnelle + taxe d’apprentissage) cache des biais, qui implique de regarder ce total avec beaucoup de précautions. En effet, une autre grande partie des fonds est désormais collectée pour le compte d’autrui. Les fonds CIF seront reversés au FPSPP qui les reventilera sur les divers Fongecif. La contribution FPSPP lui sera également reversée aussi vite que possible. Enfin, la contribution CPF est certes gardée par l’Opca, mais les branches et les entreprises ne peuvent pas l’utiliser directement en tant que telle, puisque le CPF est à déclenchement individuel du salarié-citoyen. Les branches et entreprises peuvent, en revanche, construire des politiques d’abondement du CPF via leur plan, pour motiver les salariés à apporter leur compte personnel de formation dans un effort de formation partagé. Mais ce principe n’en est encore qu’à ces tous débuts.

Si on écarte les collectes pour autrui, la taxe d’apprentissage et les reversements, il ne reste véritablement à disposition des politiques de branches et d’entreprises que les collectes plan (légal, conventionnel et libre) et professionnalisation. Et, en ces domaines, les changements sont fondamentaux.

4. Le financement “plan de formation” S’est effondré

Inévitablement, en supprimant la fameuse contribution 0,9 % pour plan de formation, la réforme de 2014 change la donne. Elle fait disparaître les versements des entreprises de plus de 300 salariés et fait s’écrouler ceux des autres entreprises qui ne gardent encore que de petites obligations légales sur le plan (0,2 % et 0,1 % de la masse salariale). Globalement, selon nos chiffres, la perte de fonds “plan” (légal, conventionnel et libre) est de 34 % (2,4 milliards d’euros contre 3,7 milliards). Il est trop tôt pour traduire précisément les conséquences de cette chute sur les pratiques des entreprises, notamment les PME.

Avant la réforme de 2014, les très grandes entreprises ne versaient que rarement leur plan à leur Opca, ou alors sous la forme d’un aller-retour pour bénéficier de fonds mutualisés sur la professionnalisation. Qu’elles ne versent pas davantage aujourd’hui est logique, et elles ont toujours d’importantes logistiques RH internes pour gérer ces fonds.

Mais ce sont surtout les pratiques des entreprises de tailles intermédiaires, de 50 à 300 salariés voire de 50 à 500, que la réforme affecte le plus : comment trouver du financement ? Quel est le choix de ma branche d’appartenance en matière de création d’obligation conventionnelle ? Ai-je intérêt à faire un versement libre à mon collecteur pour bénéficier de fonds mutualisés et de services en retour ? Les RH et RF de ces entreprises doivent se poser ces questions, sauf à passer à côté du sujet. Nombre d’observateurs (CGPME, prestataires de formation…) notent déjà une baisse de consommation en formation dans ces entreprises, une baisse qui ne sera rattrapée, au mieux, que dans quelques années.

Il est à noter également une chute des fonds de la professionnalisation (contrats et périodes), les taux de cotisation des entreprises de 10 à 300 étant passés à 0,3 % de leur masse salariale. La masse de fonds de professionnalisation chute donc de 2,1 milliards d’euros en 2015 (sur masse salariale 2014) à 1,6 milliard d’euros en 2016 (sur masse salariale 2015). Cette réduction possible sur les contrats de professionnalisation est à contrebalancer avec l’arrivée de la taxe d’apprentissage.

5. Les versements libres ont explosé

La moitié des fonds “plan” enregistrés par les Opca (1,2 milliard d’euros sur 2,4 milliards) sont désormais des versements librement consentis par les sociétés. C’est un changement fondamental, qui traduit une nouvelle orientation des relations entre entreprises et collecteurs : les contrats et relations de gré à gré se multiplient, les Opca cultivent leur images d’apporteurs de services divers (aides à la gestion des fonds, à la construction du plan, à la sélection des prestataires…), tout en se défendant de prendre la place des prestataires du marché, notamment celle des cabinets-conseils.

À cela s’ajoute le fait que ces versements libres peuvent, par définition, être fait n’importe quand dans l’année, et pour des durées d’utilisation qui peuvent varier de l’année à trois ans, selon l’accord signé avec le collecteur. Ce qui rend plus complexe encore la lecture des comptes des Opca.

Fonds utilisables directement

Ces versements libres sont souvent qualifiés de “plan libre” (lire tableau p. 24). L’expression est discutable, mais permet de fixer l’idée de fonds utilisables directement pour les besoins de l’entreprise. Les partenaires sociaux, gestionnaires des Opca, préfèrent ne pas utiliser cette expression, afin d’éviter une confusion avec la notion juridique de plan. Ce point est majeur, car une partie compliquée se joue actuellement entre, d’un côté, le gouvernement, Bercy, l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale des finances et, de l’autre, les partenaires sociaux et les collecteurs. Les premiers cherchent des fonds chez les seconds, afin de financer la formation des demandeurs d’emploi. Un rapport IGF-Igas sortira prochainement sur ce point. La tension est forte entre ces acteurs. Si les versements libres des entreprises sont considérés par l’État comme de la trésorerie pouvant être saisie, et si elle l’est effectivement, il est à craindre que les entreprises ne verseront plus jamais de fonds libres à leur collecteur. Les partenaires sociaux sont vent debout contre cette perspective.

Parallèlement à cette explosion des versements libres, on note la faiblesse des contributions conventionnelles. Comme l’a toujours dit le Medef : « Maintenant qu’on n’a plus d’obligation légale, on ne va pas s’imposer des obligations conventionnelles ! » Et de fait, le montant des contributions conventionnelles nées d’accords de branche est faible : 582 millions d’euros, soit la moitié du montant des versements libres. Une exception toutefois : le champ de l’intérim (FAF.TT-FPE-TT).

Hors des champs d’adhésion au Medef, à la CGPME et à l’UPA, les branches de l’économie sociale au sens large, réunies dans les Opca Unifaf et Uniformation (et en jaune dans les tableaux), ont également davantage développé le conventionnel.

Auteur

  • Laurent Gérard