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L’interview

Christine Naschberger : « La question de l’orientation sexuelle doit se banaliser dans l’entreprise »

L’interview | publié le : 18.10.2016 | Éric Delon

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Christine Naschberger : « La question de l’orientation sexuelle doit se banaliser dans l’entreprise »

Crédit photo Éric Delon

Encore peu abordée par les entreprises, la question LGBT est pourtant essentielle pour favoriser un climat serein et d’inclusion tout en attirant et en conservant les meilleurs compétences et en affichant une image de tolérance.

E & C : Depuis combien de temps les entreprises françaises s’intéressent-elles à la problématique LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) ?

CHRISTINE NASCHBERGER : C’est assez récent, contrairement à certains pays anglo-saxons où les politiques et les études sur le sujet sont beaucoup plus développées. En 2008, une étude de la Halde(1), sous la direction du chercheur Christophe Falcoz, pointait la réalité de l’homophobie au travail. En France, certaines entreprises sont beaucoup plus à la pointe sur le sujet, à l’image du cabinet de conseil Accenture qui a mis en place des dispositifs depuis plus d’une dizaine d’années. En 2013, l’association L’Autre Cercle, une fédération d’associations d’homosexuels, a lancé une Charte d’engagement LGBT, qui a été signée par 40 organisations à ce jour. Les signataires s’engagent à favoriser l’égalité professionnelle des personnes LGBT et fixent les bonnes pratiques à adopter pour lutter contre les discriminations envers les LGBT au sein des entreprises. La charte vise à favoriser un environnement inclusif pour ces collaborateurs et collaboratrices, à veiller à une égalité de droits et de traitement entre tous, quelles que soient leur orientation sexuelle et identité sexuelle ou de genre. La Charte LGBT engage en outre l’entreprise signataire à mesurer les avancées en termes de non-discrimination et à partager les bonnes pratiques pour faire évoluer l’environnement professionnel général.

Comment les entreprises s’emparent-elles de cette thématique ?

C’est assez variable. Certaines le font dans une logique de marketing, car une partie plus ou moins importante de leurs clients est gay et dispose par conséquent de revenus élevés, n’ayant souvent pas d’enfants. Parfois, un cas de discrimination apparaît dans l’entreprise et cette dernière prend à bras-le-corps cette problématique et commence à adopter une politique volontariste en la matière. Parfois encore, certains grands dirigeants font part de leur orientation sexuelle à l’image d’un des grands patrons d’Accenture aux Pays-Bas. Cet affichage permet de lever des tabous et d’afficher les valeurs d’une entreprise inclusive et “LGBT-friendly”.

Les gays et lesbiennes sont-ils véritablement discriminés dans l’entreprise ?

Oui, de nombreux témoignages laissent apparaître que les gays en entreprise voient leur carrière entravée du fait de leur orientation sexuelle. Quelquefois, ils n’osent pas dévoiler cette orientation par peur des représailles et, parfois, ils s’autocensurent en termes de progression de carrière. Du coup, ils n’adoptent pas un comportement “naturel”, sont davantage stressés, bref, ils ne se sentent pas épanouis dans leur travail. Des témoignages montrent que certains collaborateurs gays ayant dévoilé à leur n + 1 leur homosexualité se sont vu accusés de trahison, en termes de confiance. La Manif pour tous en réaction à la loi Taubira qui a légalisé le mariage homosexuel a généré des relents homophobes qui ont également atteint l’univers de l’entreprise. Les gays ne souhaitent pas y être traités différemment de leurs collègues. Ils ne s’inscrivent pas dans une logique communautariste. Rappelons que l’entreprise a le devoir de fournir à l’ensemble de ses collaborateurs un environnement sain, secure et dénué de discriminations.

De quelle manière les DRH abordent-ils cette problématique ?

Certains d’entre eux ne s’y intéressent pas et, du coup, nient la réalité. L’argument mis en avant est que l’orientation sexuelle relève de la sphère privée et qu’elle n’a pas sa place dans l’entreprise. De manière générale, les managers sont mal à l’aise avec les questions de religion ou d’orientation sexuelle. Les DRH qui s’y intéressent ont compris les bienfaits de la démarche de l’entreprise inclusive dans laquelle les collaborateurs s’épanouissent, ce qui contribue, au passage, à booster la productivité. Les études ont montré que les LGBT changeaient plus volontiers d’entreprise que les autres collaborateurs en raison de discriminations réelles ou ressenties, ou parce qu’ils avaient l’impression d’être victimes d’un plafond de verre en termes de progression de carrière.

Cela génère un coût non négligeable pour l’entreprise – en turnover, perte de compétences, déficit d’attractivité pour des talents qui pourraient être échaudés par une réputation d’homophobie d’une organisation. Afficher de la tolérance permet d’attirer les meilleurs talents, de les garder et de les développer. Comme le résumait Richard Brown, l’ancien patron gay du pétrolier British Petroleum (BP), l’homophobie génère du « gâchis ».

Comment la DRH doit-elle gérer cette problématique LGBT lorsqu’elle a signé la charte ?

Pour que son action soit efficace, elle doit à tout prix bénéficier du soutien du top management. Il peut être pertinent, par ailleurs, de désigner un référent diversité au sein de la DRH afin de faire vivre la charte – formation des managers, sensibilisation, communication, prévention. La question de l’orientation sexuelle ne doit plus rester un tabou. Elle doit se banaliser dans l’entreprise. La vie privée d’un salarié n’est jamais absente du lieu du travail. Pensons aux échanges à la machine à café ou pendant le déjeuner. La DRH peut aussi diffuser un guide managérial pour mieux comprendre et agir dans l’entreprise par rapport à cette question. L’entreprise peut également afficher une tolérance zéro contre les blagues sexistes, homophobes, etc.

Au sein des grands groupes, il existe aussi des réseaux de collaborateurs comme Accent sur LGBT chez Accenture, Mobilisnoo Orange au sein d’Orange ou Eagle IBM à IBM. Ces réseaux contribuent à renforcer le dialogue avec la DRH tout en mettant en place des actions spécifiques.

Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, créée en 2005 et dissoute en 2011.

Christine Naschberger professeure en management et ressources humaines

Parcours

> Christine Naschberger est professeure associée en management et ressources humaines à Audencia Business School. Elle est responsable scientifique du programme diplômant Directeur-ice des ressources humaines (DRH) à Audencia Executive Education et membre du groupe de recherche thématique de l’AGRH Diversité et genre.

> Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages, dont Comment gérer l’emploi des personnes en situation de handicap, Guide pratique (Association française des managers de la diversité, AFMD, 2010).

Lectures

The Glass Closet : Why Coming Out is Good Business, J. Browne, HarperBusiness, 2014.

Lean In : Women, Work and The Will to Lead, S. Sandberg, Knopf Doubleday Publishing Group, 2013.

Mille soleils splendides, K. Hosseini, Belfond, 2007.

Auteur

  • Éric Delon