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Leadership : Trouver sa place dans l’Entreprise libérée

Les clés | publié le : 04.10.2016 | Nicolas Lagrange

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Leadership : Trouver sa place dans l’Entreprise libérée

Crédit photo Nicolas Lagrange

De nombreuses entreprises responsabilisent fortement leurs salariés et leur donnent les moyens d’une plus grande autonomie : difficile pour les managers d’endosser leur nouveau rôle, laissant de côté les postures hiérarchiques et de jugement, pour privilégier la concertation et la délégation. Témoignages de managers devenus « leaders » sur quelques chausse-trappes et bonnes pratiques.

« Lorsque j’ai été élu leader de la mini-usine, le plus gros défi était d’intégrer rapidement un maximum de collaborateurs dans un nouveau mode de décisions collectives et dans la prise de responsabilités… » Depuis novembre dernier, Stéphane Guillaume, manager pendant onze ans à Airbus Saint-Nazaire, explore de nouvelles façons de piloter une équipe. Avec les 51 salariés de son entité répartis entre l’équipe du matin et celle de l’après-midi, plus question pour lui de trancher sur tous les sujets, d’être consulté en permanence et de prendre des décisions unilatérales.

Cette expérimentation d’usine responsabilisante, qui concerne 550 salariés sur les 3 200 que compte le site, repose sur « une communication transparente et régulière sur les axes stratégiques, une autonomie des équipes et une valorisation des suggestions des salariés, accompagnée d’une mise en œuvre plus rapide », résume Jean-Luc Morfouace, initiateur du projet et responsable du programme A380 sur le site. La gestion des plannings, les affectations de postes successives, la continuité de la production, les interventions de maintenance de premier niveau… tout cela est pris en main par les salariés eux-mêmes. Avec des débats sur certaines problématiques au sein des mini-usines ou dans des groupes de travail, puis des propositions et, enfin, des votes.

Davantage de délégation

Le leader a de nouvelles responsabilités, mais il délègue davantage. « Certains salariés sont devenus référents de zones, d’autres copilotes de la mini-usine, explique Stéphane Guillaume. Je m’appuie aussi sur des collaborateurs « supports », pour résoudre un problème technique, gérer un chantier non prévu, animer une réunion, faire le lien avec d’autres services. »

À Clermont-Ferrand, dans l’usine Michelin de la Combaude, Serge Facchin peut lui aussi compter sur des référents pour les flux de production, la qualité, la sécurité, les “idées-progrès”, l’environnement ou encore la métrologie (gestion des dispositifs de mesure). « Dans le cadre de l’organisation antérieure, je tenais le manche, j’étais directement impliqué dans la résolution des problèmes, raconte l’ex-manager, entré chez le géant du pneu il y a trente-six ans, aujourd’hui responsable d’îlot. Je m’efforce de lâcher prise, de ne pas tout contrôler, de faire confiance aux autres. Ce n’est pas évident, car les objectifs journaliers de résultats sont toujours là. Du coup, j’essaie de donner les informations-clés aux opérateurs, pour qu’ils puissent plus facilement formuler des propositions. J’interviens en fin de processus, pour les grosses opérations, afin de valider le coût de la solution trouvée. » Parmi les 42 salariés de l’îlot, près de 30 % ont pris des responsabilités. « Je dois parfois les freiner, parce qu’ils pourraient rapidement occuper toute la place au détriment de salariés plus discrets, assure Serge Facchin. Par ailleurs, l’autonomisation génère des conflits interpersonnels, qu’il est nécessaire de déminer en mettant de temps à autre de l’huile dans les rouages. » « La facilité serait de faire toujours appel aux plus engagés, abonde Stéphane Guillaume, à Airbus Saint-Nazaire. Par conséquent, j’essaie de me dégager du temps régulièrement pour discuter avec chaque salarié, sonder ses aspirations, lui proposer des axes de développement. »

Les leaders des mini-usines ont un rôle « moins expert, moins technique qu’auparavant, analyse Vincent Le Claive, délégué syndical CFE-CGC du site et promoteur d’un nouveau rôle pour l’encadrement. Leur champ de compétences est plus large et ils se situent davantage dans l’accompagnement des équipes et de chaque salarié ». Afin de réussir ce changement de posture, Stéphane Guillaume a bénéficié d’une trentaine d’heures de formation, pour mieux se connaître, savoir prendre du recul, comprendre les autres… et il échange au moins une fois par mois avec un coach, qui l’aide à trouver les solutions par lui-même.

En Soutien d’un leader

Véronique Elouy est l’une de ces coachs, une ancienne manager dont le rôle a également profondément évolué. « Je suis devenue support multimétiers pour l’ensemble des sept mini-usines, et j’interviens en soutien d’un leader via des rendez-vous mensuels de deux à trois heures. Je lui offre mon écoute, je l’aide à identifier les cailloux dans sa chaussure, à réfléchir aux actions menées et à son ressenti. » Les facteurs clés de succès, selon elle, pour le leader comme pour le coach ? Savoir se remettre en cause ; être dans une position basse d’échanges, pas dans le jugement ni dans le conseil ; créer une vraie alliance avec les autres pour travailler en confiance. Jean-Luc Morfouace en est convaincu : « Ces nouvelles façons de piloter les équipes demandent du temps, mais ont des impacts très positifs pour les intéressés, y compris en dehors du travail, dans la sphère familiale. »

Les conseils du coach

Nicolas Bourgeois

Directeur associé d’Identité RH*

–1– Se positionner en “manager-ressource”

Dans une “entreprise libérante”, le manager doit d’abord se demander ce qui fonde sa légitimité. Il peut s’imposer autrement que par l’organigramme ou l’expertise technique, en se positionnant comme un “manager-ressource” vis-à-vis de son équipe. Sa valeur ajoutée réside dans sa capacité à écouter les autres, à poser des questions plus qu’à y répondre, à favoriser le débat et les solutions collectives. C’est très sain de dire à d’autres salariés qu’ils sont plus experts, de reconnaître ses propres manques, d’affirmer que l’on n’est pas omniscient et que l’on ne maîtrise pas tous les axes managériaux. A contrario, le manager peut valoriser son aptitude personnelle à créer des synergies.

–2– Travailler sur le sens

Mieux vaut délaisser une approche managériale mécanique focalisée sur les objectifs à atteindre, au profit d’une approche plus culturelle, faisant une large place au projet d’entreprise et à la contribution particulière de l’équipe. Le manager ne doit pas attendre la révélation du sens par le top management. Si besoin, il peut aller chercher les informations qui lui manquent, négocier avec sa hiérarchie des marges de manoeuvre, créer des ruptures salutaires dans les processus, alerter sur les dysfonctionnements.

–3– Animer différemment la performance

Même si l’évaluation de la performance a lieu une fois par an, le manager a tout intérêt à faire des feedback réguliers. L’entreprise ne le lui reprochera jamais. Il doit éviter d’être dans le jugement, de placer les salariés devant le fait accompli, pour libérer la parole, mieux déceler les aptitudes et les attentes de chacun, et pouvoir enrichir les postes ou les missions. Aujourd’hui, la performance individuelle est de plus en plus indissociable de la performance de l’équipe, des processus collectifs de travail. Cela change considérablement le rôle du manager, dont on attend qu’il cesse de fonctionner uniquement en « one to one ».

* Coauteur, avec Gilles Verrier, de Faut-il libérer l’entreprise ? (Dunod, 2016).

Auteur

  • Nicolas Lagrange