logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Zoom

Quelle protection pour les lanceurs d’alerte ?

Zoom | publié le : 27.09.2016 | Sabine Germain

Image

Quelle protection pour les lanceurs d’alerte ?

Crédit photo Sabine Germain

Les débats parlementaires sur la loi Sapin 2 viennent d’achopper en commission mixte paritaire sur la définition du lanceur d’alerte : un nouvel épisode du vif débat sur le niveau de protection que la France souhaite lui accorder. Le point dans ce numéro, moins de six mois après l’adoption de la très contestée directive européenne sur le secret des affaires, et alors que la jurisprudence sur le droit d’alerte commence à se construire.

En France comme dans l’ensemble de l’Europe, des vents contraires soufflent sur les lanceurs d’alerte. Le 14 avril dernier, la directive européenne sur la protection du secret des affaires a été adoptée à une large majorité(1), soulevant un débat public sans précédent(2).

Ce texte « va permettre aux entreprises d’attaquer quiconque accède, utilise ou publie une information qu’elles considèrent comme un secret d’affaires », a déclaré Antoine Deltour à la veille du vote. Cet ancien salarié du cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers (PwC) sait de quoi il parle : après avoir fait fuiter les accords fiscaux (tax rulings) conclus par le fisc luxembourgeois avec les multinationales et donné naissance à l’affaire LuxLeaks, il a été condamné, le 29 juin dernier, à douze mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende pour violation du secret professionnel et du secret des affaires(3). Le parquet luxembourgeois a fait appel au motif qu’Édouard Perrin, le journaliste de Cash Investigation qui a sorti l’affaire, a été relaxé…

Dans ce ciel plombé pour la protection des lanceurs d’alerte, une éclaircie est venue d’où on ne l’attendait pas : le 30 juin, la chambre sociale de la Cour de cassation a publié une décision(4) très argumentée, car destinée à être publiée dans son rapport annuel. C’est dire le poids qu’elle lui accorde. Et pour cause : la Cour de cassation s’exprime pour la première fois sur ce thème et, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle prend position. Elle ne se contente pas d’annuler le licenciement pour faute lourde du directeur administratif et financier d’une association de Guadeloupe ayant pour mission de gérer un centre de santé, congédié pour avoir dénoncé à son organisme de tutelle (la Caisse générale de Sécurité sociale) et au procureur de la République les détournements de fonds du directeur médical promu, entre-temps, directeur.

La juridiction profite de cette décision pour poser le cadre de protection des lanceurs d’alerte. Elle s’appuie sur l’article 10-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme pour affirmer qu’« en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est atteint de nullité. »

Définition minimaliste

Cette décision définit le périmètre juridique de l’alerte : il s’agit des conduites et actes illicites constatés sur le lieu de travail et susceptibles de caractériser une infraction pénale. Ce qui va bien au-delà des préconisations du Conseil d’État formulées dans une étude sur le droit d’alerte publiée le 13 avril(5), en phase avec la directive européenne sur le secret des affaires : « La définition de la notion de lanceur d’alerte telle qu’elle y est énoncée est minimaliste, alors que celle du secret des affaires est maximaliste », regrette Nicole-Marie Meyer, conseillère anticorruption de l’ONG Transparency International France. Résultat : « La caractérisation juridique se fera par la jurisprudence. Cela va donc prendre des années. »

La société CTPO (groupe Transdev) n’a pas attendu l’adoption de la loi Sapin 2, toujours en discussion au Parlement et qui doit préciser notamment le statut du lanceur d’alerte (lire ci-contre), pour renoncer à son projet de licencier le responsable de l’administration de son réseau informatique. Cet informaticien a été mis à pied, du 28 juin au 17 août dernier, dans la perspective d’être licencié pour faute lourde. Sa “faute” : avoir trouvé de nombreuses photos pédopornographiques en restaurant le disque dur de l’ordinateur d’un agent de maîtrise et l’avoir dénoncé à son responsable d’exploitation.

Drôle de hasard, l’informaticien lanceur d’alerte est un délégué CFDT un peu trop actif aux yeux de la direction, « qui a profité de cette affaire grave de photos pédopornographiques pour se débarrasser d’un militant syndical qu’elle avait menacé à plusieurs reprises », a regretté la CFDT dans un communiqué. Dès le 23 août, l’inspection du travail s’est prononcée contre ce licenciement. Mais la position de la direction de CTPO était déjà intenable : la détention de photos pédopornographiques étant constitutive d’une infraction pénale, l’informaticien était bel et bien dans le cadre juridique défini par la Cour de cassation pour protéger les lanceurs d’alerte.

Divulgation à la presse

Pour couronner le tout, la Cour de cassation a conclu la “notice explicative” de sa décision par : « La chambre sociale instaure cette immunité non seulement lorsque les faits illicites sont portés à la connaissance du procureur de la République mais également, de façon plus générale, dès lors qu’ils sont dénoncés à des tiers. » Autrement dit, un lanceur d’alerte peut, s’il le souhaite, divulguer les faits litigieux à la presse s’il le juge nécessaire.

Là encore, la cour va bien au-delà du dispositif de « riposte graduée » proposé par le Conseil d’État, qui conseille aux lanceurs d’alerte de s’adresser en priorité « au responsable désigné au sein de l’organisation concernée » puis, en l’absence de réponse, aux autorités administratives compétentes et, en dernier lieu, à l’autorité judiciaire. Si toutes ces démarches n’ont pas eu d’effets ou en cas d’« urgence avérée », il peut se tourner vers le public.

Cela suffira-t-il à encourager les lanceurs d’alerte à sortir du bois ? Selon un sondage publié en décembre 2015 par Transparency International France(6), 83 % des salariés qui seraient témoins de pratiques de corruption sur leur lieu de travail se disent « prêts à en parler », mais 39 % d’entre eux choisiraient de se tourner vers un collègue. Mauvaise pioche : « Cela n’a aucune incidence sur le traitement de l’alerte », prévient-on chez Transparency International. Le cadre juridique ne suffit pas : la culture de l’alerte doit elle aussi progresser….

La loi Sapin achoppe sur la définition du lanceur d’alerte

Une première commission mixte paritaire (CMP), le 14 septembre dernier, n’y a pas suffi. L’Assemblée et le Sénat n’ont pu se mettre d’accord sur le texte de la loi dite Sapin 2 sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 10 juin dernier. En cause, notamment, la définition du lanceur d’alerte. Le projet de loi proposait une acception relativement proche de celle de la Cour de cassation : « Un lanceur d’alerte est une personne qui révèle, dans l’intérêt général et de bonne foi, un crime ou un délit, un manquement grave à la loi ou au règlement, ou des faits présentant des risques graves pour l’environnement, la santé ou la sécurité publics, ou témoigne de tels agissements. Il exerce son droit d’alerte sans espoir d’avantage propre ni volonté de nuire à autrui. » Sauf que le texte a été largement amendé par le Sénat dans un sens plus restrictif. Députés et sénateur n’ayant pu se mettre d’accord, le texte sera de nouveau examiné dans les deux chambres au cours des prochaines semaines.

(1) 503 voix pour, 131 contre, 18 abstentions.

(2) La pétition française contre ce texte a recueilli plus de 550 000 signatures.

(3) Son ex-collègue, Raphaël Halet, a quant à lui été condamné à neuf mois de prison avec sursis et 1 000 euros d’amende.

(4) Pourvoi numéro 15-10.557.

(5) “Le droit d’alerte : signaler, traiter, protéger”, étude réalisée par le Conseil d’État à la demande du Premier ministre.

(6) Enquête en ligne réalisée du 5 au 9 novembre 2015 auprès d’un échantillon représentatif de 902 personnes par Harris Interactive pour Transparency International France et Tilder.

Auteur

  • Sabine Germain