« Plus vous cachez, plus vous créez de la suspicion. » Guillaume Robin, président de Thermador Groupe (317 salariés à Saint-Quentin-Fallavier, en Isère, et à Valence), en est convaincu, en bon disciple du fondateur de l’entreprise. Ce dernier, Guy Vincent, écrivait, dans un éditorial de la gazette interne de ce groupe coté en bourse, spécialisé dans la distribution d’accessoires pour le chauffage et la sécurité sanitaire : « Vous avez le droit – et le devoir – de connaître et de comprendre la politique, les objectifs, la stratégie de la filiale dans laquelle vous travaillez et, plus généralement, ceux de l’ensemble du groupe. »

Ce parti pris de transparence passe par l’organisation d’une réunion mensuelle d’information dans chacune des filiales, au cours de laquelle sont dévoilées les évolutions du compte d’exploitation, du chiffre d’affaires, du résultat opérationnel de la société. La plus attendue de ces assemblées est celle de janvier, qui est consacrée à la divulgation des revenus mensuels et annuels de chaque salarié, patron compris. Cette liste est affichée par ordre alphabétique. Dans un grand silence au départ, puis dans une plus grande effervescence quand il s’agit de prendre connaissance, de comparer, certains n’hésitant pas alors à prendre des notes. À l’issue de la dernière assemblée du mois de janvier, il est apparu que le salaire moyen est de 53 000 euros dans le groupe, le plus élevé de 270 000 euros, le plus bas de 24 000 euros.

Yves Ruget apprécie ce mode de fonctionnement « ouvert, simple et efficace ». « C’est un moyen de s’autoévaluer, observe le patron de Thermador SA, filiale spécialisée dans les accessoires et raccords pour le chauffage central et l’eau sanitaire. Cela impose aux chefs de service une très grande loyauté, une grande objectivité pour la fixation du montant des primes, notamment. » Magasinier, Emmanuel Mathias, qui a accès quotidiennement à partir de son poste de travail au suivi de certains indicateurs économiques, est lui aussi favorable à cette transparence : « Avec les réunions mensuelles, on sait où on va. On est mieux impliqué dans la vie de la société. » Lui qui a travaillé dans d’autres entreprises, « où les gens se marchaient sur la gueule », s’est converti à la mise à nu de ses revenus : « 2 300 euros par mois avec les primes ». « Au départ, ça peut paraître choquant, mais au moins, on sait où on se situe. »

« La transparence des salaires, c’est étonnant. C’est toujours un moment un peu étrange. Mais ça ne suscite pas de débat », remarque Peter Konincks, délégué du personnel chez Thermador International. Ce commercial-export d’origine néerlandaise, qui a bourlingué dans bon nombre d’entreprises, trouve cette démarche « motivante ». Son suppléant d’origine hongroise, Gabor Horvathy, est lui aussi conquis. Détenteur de parts du FCPE qui contrôle 2,2 % du capital, il a aussi acquis d’autres actions à titre personnel, comme 135 autres salariés. Lors de chaque réunion, les salariés ont des informations que les actionnaires n’ont pas, sur le niveau de marge notamment. En contrepartie de cette transparence, ils se doivent d’observer une stricte discipline et ne pas intervenir n’importe quand dans leur portefeuille boursier. Des règles qui sont rappelées dans la charte qu’ils ont signée.

« Cette transparence salariale est claire et juste, souligne Lionel Monroe, Pdg de Thermador International. C’est plutôt confortable comme système, car il ne suscite pas de bruit de couloir. Mais comme tout se sait, il faut être vigilant. »

« Toutes ces réunions sur l’évolution des comptes, sur les revenus, donnent des perspectives aux salariés, assure Guillaume Robin, tout en sauvegardant un esprit constructif, propre à chaque filiale. Ces rituels présentent l’énorme avantage de limiter la propagation d’idées fausses, et de tous nous contraindre à une grande cohérence. »