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Recrutement : Comment recruter sans cloner

Les clés | publié le : 27.09.2016 | Marie-Madeleine Sève

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Recrutement : Comment recruter sans cloner

Crédit photo Marie-Madeleine Sève

Embaucher est un acte managérial fort, qui engage l’avenir de l’entité. Toutefois, dupliquer les CV n’est pas une garantie d’efficacité collective. L’encadrant, même frileux, a intérêt à panacher les profils, il boostera la créativité dans l’équipe et lui donnera un supplément d’âme. Conseils pour se libérer des schémas du passé face aux candidats.

« En 2009, j’ai embauché une médiatrice diplômée, douée pour arbitrer des conflits en entreprise. Elle a ensuite occupé avec bonheur un job de consultant auprès de directions immobilières de grands groupes. » À mille lieues, donc, de ses quatre ans d’expérience. Valérie Ader, présidente du cabinet conseil en organisation Colombus Consulting (170 salariés) aime recruter hors des sentiers battus. Elle compte d’ailleurs, parmi ses 20 % de collaborateurs au CV atypique, trois avocats inscrits au barreau, un ingénieur chimiste, une pharmacienne de laboratoire, tous affectés sur des secteurs (énergie, assurance…) éloignés de leur première inclination. En cela, cette patronne détonne dans une profession conformiste, qui traque les juniors issus des mêmes écoles, arborant un look et un vocabulaire identiques : du clonage d’âge, de formation et d’activité pur jus !

Peu de dirigeants ou managers s’aventurent ainsi à explorer d’autres voies. Beaucoup cherchent à se rassurer en ciblant des candidats aux caractéristiques similaires à celui qui occupait précédemment le poste. Selon l’enquête du cabinet Oasys publiée en 2014(1), 28 % des consultants en recrutement interrogés reconnaissent que leurs clients réclament un “clone”, et 26 % qu’ils le réclament dans trois missions sur quatre. Or les managers de terrain jouent un rôle clé dans le processus de recrutement. « Ils imposent souvent leur diktat, car l’intégration est plus rapide, l’efficacité immédiate, et ils exigent un candidat issu non pas seulement du secteur d’activité, mais de la spécialité. L’agroalimentaire, oui, mais s’il connaît le fromage, c’est mieux, et s’il a pratiqué les pâtes pressées, c’est idéal », détaille Jean-François Darmagnac, président du cabinet de chasse Mindfield.

Accepter la complication

Non sans motif : leur décision est lourde, car une embauche coûte cher, de 5 % à 10 % de la rémunération annuelle brute du nouveau venu quand l’entreprise recrute en direct, de 15 % à 25 % quand elle s’adresse à un cabinet. « Les chefs de service ne sachant pas raisonner en termes de compétences et de potentiel, s’imaginent qu’un bon feeling suffit, observe Stéphane Moriou, président du cabinet de conseil RH MoreHuman Partners. Il leur faut accepter que le recrutement, c’est compliqué. »

L’un des premiers antidotes au clonage consiste à élaborer un cahier des charges précis, poursuit cet expert du sujet. Pas question d’en rester à la fiche de fonction, qui ne parle jamais du candidat, ni de se reposer sur des critères basiques, trop larges, voire sur des préjugés qui balaient tout. Il s’agit de distinguer, en termes de savoir-faire et de savoir-être, les critères simples des critères complexes, puis de les caractériser finement afin qu’ils soient discriminants. Dans la première catégorie se trouvent la formation, le diplôme, les langues, la disponibilité horaire… Dans la seconde, l’esprit d’équipe, le sens de la hiérarchie, l’autonomie, le potentiel, la motivation etc. À chaque item, le manager définira ce qu’il attend concrètement. Exemple : « Être capable de répondre tous les jours au téléphone en anglais, mais aux seuls salariés de l’entreprise », donc inutile de chercher de parfaits bilingues. Ou « être capable de proposer son aide à des personnes expérimentées sans les vexer », donc privilégier des qualités de tact et de bienveillance. « Cela permet de cerner ce qui fait réellement la performance dans le poste, et d’écarter la tentation de se référer aux mêmes profils », analyse Stéphane Moriou.

Inverser le raisonnement

Ensuite le manager va hiérarchiser ces critères, séparant ceux qui sont requis – incontournables – et ceux qui sont désirables – optionnels –, quitte à s’accommoder s’il ne trouve pas ces derniers chez un candidat. « Le manager va renverser son raisonnement, il évaluera s’il peut apporter le métier à la personne en la formant et en s’appuyant sur l’équipe en place pour l’accompagner », observe de son côté Laurent Gousset, dirigeant du cabinet Évolution RH.

Le second antidote au clonage consiste à diversifier son “sourcing”. Chez Colombus Consulting, Valérie Ader use ainsi de plusieurs leviers pour élargir son panel : les recommandations de clients, la cooptation spontanée ou organisée en interne, et le réseau professionnel ou personnel, comme dans le cas de la médiatrice. « Je me dis pourquoi pas ? Ils ont un haut niveau d’études, une capacité à mobiliser vite leurs neurones, à interagir avec les autres, un socle socioculturel semblable à celui de mes équipes. Puis je regarde ce qu’ils peuvent apporter de spécifique, malgré leurs manques. Toutefois, je reste vigilante à ce qu’ils comprennent bien le métier, car ils en sont plus loin que les autres », explique-t-elle. En outre, elle les teste sur des études de cas inhabituelles pour eux. Le n + 1 ne doit pas hésiter non plus à échanger avec des managers qui ont déjà recruté dans des viviers singuliers, et qui ont réussi les greffes. L’ouverture d’esprit et la curiosité restent les meilleurs atouts pour oser la différence.

Les conseils du coach

Stéphane Moriou

Président du cabinet de conseil RH MoreHuman Partners.

–1– Prendre conscience que “cloner” est naturel… mais risqué

Recruter à notre image et à celle des partants ou reproduire ce qu’on a vécu dans des entretiens d’embauche est un réflexe compréhensible lorsqu’on n’a pas été formé à l’exercice. Pour s’en libérer, il s’agit d’en comprendre les ressorts : la peur de l’inconnu, de se tromper, de perdre du temps et de l’argent. Il faut réaliser aussi qu’un “cloné” s’ennuiera vite à son poste et qu’une évolution stimulante, hors de son domaine, sera réduite, puisque tout le monde est sur le même moule, avec des expériences équivalentes. Mieux vaut penser ses choix sur le long terme.

–2– Challenger en permanence le cahier des charges

Adopter une méthode anticlonage, c’est paradoxalement user de standards qui peuvent se figer à leur tour et conduire à une autre forme de clonage. D’où la nécessité de remettre régulièrement en question la teneur du cahier des charges. Le mieux, c’est de le discuter avec l’équipe, qui a la vision opérationnelle : « il y a trois ans, on avait besoin de tel profil, aujourd’hui, le contexte est différent, on a besoin de ceci, de cela. » Ce qui enrichira votre réflexion. À vous, ensuite, de soustraire et d’ajouter les critères idoines.

–3– Éviter de poser les questions induites au candidat

D’ordre comportemental, ce type de questions oriente la réponse. Exemples : « Vous êtes motivé pour nous rejoindre ? », « Vous n’avez pas trop de problème avec la hiérarchie ? », « Travailler avec les autres, ça vous plaît ? ». Vous cherchez à obtenir des réponses qui vous satisferont. Le postulant, anxieux d’être sélectionné, va bien sûr répondre ce que vous voulez entendre, même s’il ne le pense pas. L’échange en sera faussé, au risque de mauvaises surprises une fois le contrat signé. Optez pour des questions ouvertes et demandez des exemples concrets (situations d’échec et de réussite).

* Étude réalisée auprès de 120 cabinets entre décembre 2013 et février 2014. www.oasys.fr/etude-chasse-de-tete-novembre-2014.

Auteur

  • Marie-Madeleine Sève