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La SNCF à l’heure d’appliquer un accord temps de travail obtenu dans la douleur

Zoom | publié le : 20.09.2016 | Lydie Colders

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La SNCF à l’heure d’appliquer un accord temps de travail obtenu dans la douleur

Crédit photo Lydie Colders

En décembre prochain, de nouvelles règles régissant le temps de travail s’appliqueront à quelque 155 000 agents et contractuels de la SNCF. Décryptage de l’accord et retour sur une négociation difficile. Les possibilités ouvertes à des dérogations locales continuent d’ailleurs de susciter le mécontentement des non-signataires.

Signé par l’Unsa et la CFDT, soit 40 % des voix, l’accord d’entreprise de la SNCF sur le temps de travail s’appliquera à partie de décembre 2016. Après quatre mois de négociations et de grèves des cheminots, il aura fallu l’intervention in extremis, le 7 juin, du ministère des Transports, soucieux d’éviter les grèves pendant l’Euro de football, pour que la direction et les syndicats de la SNCF sortent de la crise générée par la négociation de l’accord sur le temps de travail de l’entreprise.

Le temps pressait : avec la loi ferroviaire de 2014 et l’ouverture à la concurrence des lignes de trains de voyageurs à partir de 2020, la SNCF avait jusqu’au 1er juillet pour négocier cet accord d’entreprise qui se substitue au décret RH0077, et qui couvre les 155 000 agents et contractuels du groupe public ferroviaire (SNCF, SNCF Réseau et Mobilités). Un calendrier serré, d’autant qu’avec cette loi, l’UTP (Union des transports publics et ferroviaires), dont la SNCF est membre, disposait des mêmes délais pour négocier la première convention collective du secteur ferroviaire, qui s’appliquera au privé et au public. Elle a été signée le 8 juin par trois syndicats sur sept (Unsa, CFDT, CFTC).

Dans ces discussions parallèles, les syndicats de cheminots auront pesé de tout leur poids pour maintenir les acquis des salariés de la SNCF tout en négociant une convention collective de haut niveau. N’ayant pas obtenu satisfaction sur une convention collective nationale qualifiée de « casse sociale », SUD rail et la CGT cheminots n’ont finalement signé aucun des deux accords. Mais la CGT, premier syndicat de la SNCF, ne s’est opposée ni à la convention collective ni à l’accord sur le temps de travail de l’entreprise, rendant impossible l’exercice du droit d’opposition sur ce dernier.

Si la CGT n’a pas mis son veto, c’est que la grève des cheminots a porté partiellement ses fruits. Pour mettre fin au conflit, Alain Vidalies, secrétaire d’État aux Transports, a exigé que la direction de la SNCF lâche du lest sur l’accord d’entreprise, qui reprend donc les acquis du RH0077. « À partir du moment où nous avons eu l’assurance de la direction du maintien total des RTT et que l’encadrement des repos des roulants resterait identique, la grève n’était plus utile », estime Roger Dillenseger, secrétaire général de l’Unsa ferroviaire. Guillaume Pépy, président du directoire de la SNCF, a donc dû renoncer à introduire plus de flexibilité dans l’organisation du travail, nécessaire selon lui pour augmenter la compétitivité du groupe public face à l’ouverture à la concurrence. « Il y a eu des tentatives d’augmenter l’amplitude des journées de travail des cheminots, explique Rémi Aufrère, secrétaire général adjoint de la CFDT cheminots. Au lieu de commencer à 6 heures du matin et de finir à 19 heures, la direction souhaitait qu’ils puissent prendre leur service plus tôt, ou finir plus tard, afin d’éviter le coût de la relève par un autre conducteur. »

Exit cette tentative d’entorse à la règle sacrée du “19-6” des cheminots, contestée par tous les syndicats. Dans l’accord d’entreprise, l’amplitude de la journée de travail des personnels roulants demeure identique (8 heures s’ils effectuent plus de 1 h 30 de travail nocturne, 11 heures dans les autres cas). Seule concession : les agents sédentaires pourront travailler une demi-heure de plus (10 heures maximum au lieu de 9 h 30), la demi-heure supplémentaire étant majorée de 25 %. La durée du temps annuel de travail reste inchangée (entre 1 568 heures et 1 589 heures pour l’ensemble des régimes de la SNCF), et les agents conservent l’intégralité de leurs repos et des RTT (126 jours pour les personnels roulants, entre 114 et 132 pour les autres, incluant les RTT).

Polémique autour des dérogations

Malgré tout, la CGT et SUD ne décolèrent pas contre l’article 49 de l’accord, qui permet des dérogations locales à l’accord d’entreprise, dans la limite de la convention collective. Une disposition de dernière minute, négociée entre la CFDT et le gouvernement, qui, selon Rémy Aufrère, « était un compromis au maintien du “19-6” comme règle générale ». Selon cet article, si un chef de l’un des 200 établissements régionaux de la SNCF souhaite déroger au cadre de l’organisation du travail pour « répondre aux aspirations du personnel ou pour tenir compte des spécificités de production », il pourra le faire « en justifiant des considérations techniques, économiques et sociales », après avis des instances du personnel, auprès d’une commission paritaire constituée par les seuls signataires de l’accord d’entreprise (CFDT et Unsa), qui valideront les dérogations. Un accord d’établissement reste possible si, là aussi, les signataires de l’accord d’entreprise ne s’y opposent pas dans un délai de deux mois. Une telle disposition existait déjà dans le RH0077. Mais la modification de l’organisation du travail ne pouvait être conclue qu’avec l’accord des délégués du personnel locaux, ou après leur information pour l’activité du fret. « Pouvoir contourner plus librement les élus locaux est pour le moins surprenant. Le risque, c’est que les directions locales utilisent plus facilement cet article au nom de la productivité », fustige Henri Wacsin, secrétaire général à la CGT cheminots. En pratique, ces dérogations pourraient permettre de contourner localement la règle du “19-6”, en augmentant le temps de travail du personnel roulant de deux heures par jour (huit heures prévues dans l’accord d’entreprise, dix heures dans la convention collective). Mais la CFDT minimise le risque : « Pour le moment, il y a eu très peu de cas et uniquement dans le fret. Et nous ne validerons pas de dérogation sans compensation », assure Rémy Aufrère. Même écho à l’Unsa, qui ne s’attend pas à un raz de marée. « Pour l’instant, les activités voyageurs et TER ne sont pas intéressées par ces dérogations », temporise Roger Dillenseger.

Le chantier des forfaits-jours

Un point reste à négocier : la création d’un système de forfait-jours pour les cadres autonomes de la SNCF, acté dans l’accord d’entreprise. Si la CGT et SUD rail sont opposés à cette mesure, « qui va faire perdre des récupérations pour l’encadrement », estime Henri Wacsin, de la CGT, l’Unsa et la CFDT y sont favorables, à condition de bien circonscrire les cadres et les agents de maîtrise concernés (entre 23 000 et 32 000, selon les syndicats). Après trois réunions, les négociations entre les syndicats et la DRH devaient reprendre en septembre. L’avant-projet de la direction prévoit un forfait de 205 jours par an, avec 5 jours majorés à 25 % en cas de dépassement, rémunérés ou placés sur un compte épargne-temps.

Auteur

  • Lydie Colders