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L’interview

Christian Batal : « Le “design social” est une nouvelle approche des ressources humaines et managériales »

L’interview | publié le : 13.09.2016 | Pauline Rabilloux

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Christian Batal : « Le “design social” est une nouvelle approche des ressources humaines et managériales »

Crédit photo Pauline Rabilloux

La notion de compétences a accompagné les mutations des métiers et l’évolution des personnes dans un contexte de changements socio-économiques moins rapides qu’aujourd’hui. Ce levier ne fonctionne plus, faute de visibilité sur les emplois à venir. Cependant, les salariés doivent toujours être mis en capacité de répondre aux enjeux de compétitivité de l’entreprise. L’environnement de travail devient une ressource pour ce faire.

E & C : Le modèle de gestion des compétences a, selon vous, atteint ses limites. Pourquoi ?

CHRISTIAN BATAL : Malgré ses apports, le modèle de gestion des compétences est à bout de souffle. Il a permis d’accompagner les mutations des métiers et l’évolution des personnes dans le contexte socio-économique d’un changement plus progressif qu’aujourd’hui au cours des années 1980 à 2000. Il s’est aussi traduit par une individualisation et une responsabilisation des salariés, là où le modèle des qualifications était plus collectif. Ce mouvement d’individualisation n’est d’ailleurs pas étranger au développement des risques psychosociaux. Le modèle de gestion des compétences s’est avéré un outil précieux pour renforcer le management par objectifs aussi longtemps que ceux-ci pouvaient être clairs. Cependant, la gestion RH n’a plus tant aujourd’hui à gérer les évolutions prévisibles des métiers, ni même à les accompagner par des programmes de gestion et de développement des compétences, qu’à gérer des à-coups inédits pour faire face à des situations constituées d’aléas permanents avec des risques de remise en cause brutale de la chaîne de valeur et des métiers historiques, des menaces d’ubérisation. L’horizon du management stratégique s’est beaucoup raccourci ces dernières années. Il s’est aussi pour une bonne part perdu dans un sur-reporting et des procédures de contrôle qui restent dans une logique taylorienne de prescription du travail. La nouveauté résiste malheureusement aussi bien à la prescription qu’à l’apprentissage. Les DRH reconnaissent aujourd’hui qu’ils ne se servent plus tellement des modèles “compétences” qu’ils ont pourtant élaborés avec force référentiels et programmes GPEC. L’outil est peu réactif et, surtout, il permet d’anticiper ce qui était vrai hier mais ne le sera probablement plus demain. D’autre part, le turnover augmentant de manière générale, il y a un côté désespérant pour l’entreprise à former sans cesse des individus qui iront faire valoir ailleurs leurs compétences. Au lieu de se reposer sur des logiques bien cadrées d’apprentissage et de transformation des métiers, il convient donc de sans cesse improviser, innover, bricoler. C’est pourquoi il faut maintenant faire une part plus grande à l’environnement de travail, en favorisant la mise à disposition pour les salariés de ressources multiples afin de leur permettre de traiter en “juste-à-temps” des situations imprévues qu’on ne sait plus anticiper.

Par quoi et comment remplacer la gestion des compétences ?

Les compétences “socles” cognitives, sociales et la culture métier restent bien sûr nécessaires pour comprendre les enjeux et s’adapter. Elles sont indispensables pour trier et exploiter les informations nouvelles, même si celles-ci sont à portée d’un clic de souris. Mais au-delà, c’est l’environnement de travail lui-même dans toutes ses composantes qui doit être maintenant conçu comme susceptible d’aider le salarié à répondre aux problématiques émergentes de production des biens et des services. Je propose le concept de “design social” pour caractériser cette nouvelle approche des ressources humaines et managériales. Là où la logique compétences supposait que les individus disposent, en stock pour ainsi dire, des connaissances pour accomplir toutes les tâches afférentes à leur travail, l’idée est maintenant de construire pour les salariés des environnements de travail à la fois agréables et utiles, leur permettant d’imaginer des solutions aux problèmes dont ils n’ont pas toujours a priori les réponses dans une case mentale préformatée. Cette articulation environnement-individu sur laquelle il convient de fonder la performance met en jeu des ressources diverses, allant de l’architecture des lieux de travail, mobilier, modalités de gestion des espaces et des temps professionnels, mais aussi ressources matérielles, techniques, documentaires, numériques, ressources humaines et sociales, managériales et partenariales, etc. Ce “design” appliqué aux équipes de travail – au social donc – consiste, pour faciliter la réalisation des activités des salariés, à les mettre en capacité de gérer les situations que personne n’avait envisagées jusqu’alors. Il suppose que l’entreprise mette bien sûr à disposition ces ressources, mais aussi que les RH centrent leurs efforts sur ce qui permet aux individus de se les approprier effectivement pour les convertir en réalisations. Il s’agit notamment de mener une reflexion sur les raisons pour lesquelles certains y parviennent mieux que d’autres. En somme, réfléchir à la notion “d’utilisabilité” des ressources par les différents acteurs.

Concrètement, en quoi cela change-t-il le rôle des managers et des RH ?

Une sorte de bascule doit s’opérer. Là où le manager et les RH sont assez souvent en position de surplomb, voire de contrôle, il leur appartient désormais de se positionner davantage eux-mêmes comme ressources au service des salariés. Un rôle de consultant interne en quelque sorte. Le manager doit pouvoir guider ses collaborateurs vers la solution aux problèmes qu’ils rencontrent plutôt que simplement leur fixer des objectifs, les évaluer sur l’accomplissement de ceux-ci, voire les sanctionner sur leurs échecs. Dans une économie incertaine, les objectifs peuvent devenir obsolètes en quelques mois ! Quant aux RH, souvent critiquées, car perçues comme à la botte des logiques financières de réduction d’effectifs, c’est l’occasion pour elles de retrouver une légitimité “humaine” en se plaçant du côté des salariés et des responsables hiérarchiques pour leur faciliter la tâche. Leur rôle devient celui de “designers sociaux” d’un environnement “capacitant”, pour faire référence au concept de “capabilité” développé par l’économiste indien Armatya Sen. Il leur revient de créer cet environnement qui aide les salariés à convertir les ressources mises à disposition en réalisations effectives. Alors que la logique “compétences” était conçue dans l’optique de préparer les salariés à gérer des situations déjà connues, le “design social” d’environnements “capacitants” devrait permettre à ceux-ci de s’adapter à des situations nouvelles. Espérons qu’il contribuera aussi à façonner un cadre professionnel plus agréable, davantage en phase avec les ambitions de qualité de vie au travail affichées partout.

Christian Batal enseignant en GRH

Parcours

> Christian Batal, spécialiste RH et management, enseigne à l’ÉNA, dans plusieurs grandes écoles et dans les masters 2 de différentes universités. Il est président du cabinet de conseil RH Interface.

> Il a écrit un article intitulé “La remise en cause des modèles de GRH et de management : vers un nouveau design social”, paru dans l’ouvrage collectif (R) évolution du management des ressources humaines (dir. S. Fernagu Oudet et C. Batal, Septentrion, 2016). Il est l’auteur de La gestion des ressources humaines dans le secteur public (Eyrolles, 1997).

Lectures

Réinventer le management des ressources humaines : une métamorphose obligée, B. Galambaud, éditions Liaisons, 2014.

La Faillite de la pensée managériale, F. Dupuy, Seuil, 2015.

Auteur

  • Pauline Rabilloux