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L’enquête

L’Esop a conquis l’Amérique

L’enquête | publié le : 13.09.2016 | Caroline Crosdale

INTERNATIONAL. Des entreprises qui appartiennent à leurs salariés : la formule d’actionnariat salarié Esop remporte un grand succès aux États-Unis. Près de 7 000 sociétés l’ont essayée.

Vincent Tate, le directeur financier du groupe Central States Manufacturing, un fabricant de panneaux en métal, n’avait jamais auparavant travaillé pour un Esop (Employee Stock Ownership Plan), une entreprise appartenant à ses salariés. Mais il ne regrette pas les quelques années passées chez Central States. « Les autres organisations ne génèrent pas un tel engagement, » assure-t-il. Et d’expliquer : « J’ai vu un client situé à plus de 200 kilomètres appeler l’usine. Il avait bien reçu sa commande de 18 tonnes de panneaux, mais aucun écrou. Un des ouvriers a sauté dans sa voiture pour les livrer. »

C’est cela, le dévouement des employés propriétaires… et peut-être l’une des raisons du succès de la formule aux États-Unis qui, depuis le passage en 1974 d’une législation clarifiant le processus à suivre pour créer un Esop, n’a cessé de se développer. Selon Loren Rodgers, directeur du National Center For Employee Ownership (NCEO), en 1974, il existait seulement 200 entreprises appartenant à leurs salariés. Aujourd’hui, elles sont au nombre de 6 795 ; 13,9 millions de salariés sont aussi propriétaires, et l’ensemble de leurs actifs pèse 1 230 milliards de dollars.

Tous les types d’entreprises sont représentés au NCEO. Il y en a de très grandes, tel les supermarchés Publix en Floride (175 000 personnes) ou le groupe W.L. Gore et Associates (10 000 personnes), l’inventeur de la fibre Gore-Tex. Le plus souvent, « nos adhérents comptent 100 à 300 salariés », avoue Loren Rodgers. Mais la modeste PME peut s’agrandir. Central States a ainsi ouvert des sites dans l’Arkansas, l’Indiana, l’Alabama, le Texas, le Kentucky et le Dakota du Sud. Sept cents personnes y travaillent. De même, le petit fabricant de farines de Boston, King Arthur Flour, est devenu créateur de diverses farines pour gâteaux et pains vendues dans toute l’Amérique du Nord ; 341 personnes sont aujourd’hui membres de la “famille” King Arthur Flour.

Le bon plan retraite

Contrairement aux idées reçues, le passage à l’Esop n’est pas le fait d’entreprises en crise, prêtes à se déclarer en faillite. Deux fois sur trois, l’initiative revient au patron, propriétaire de son usine. Il veut partir à la retraite et a décidé de céder ses parts à ses troupes. Un prêt sera alors alloué à l’usine. Les employés, au bout d’un an, commenceront à recevoir des actions de la société. Et les dividendes générés permettront de rembourser le prêt.

Les nouveaux propriétaires se révèlent prudents. L’organisation classique reste souvent en place. Mais l’information circule mieux. « C’est un management à livre ouvert, dit Vincent Tate. Chaque mois, nous montrons les indicateurs de performance et expliquons les buts à poursuivre pour mieux faire. » Idem chez King Arthur Flour. Les trois codirigeants de la société se veulent très accessibles. Et les salariés ont formé différents comités (bien-être, écologie, changements…) pour améliorer le fonctionnement du groupe.

Ces initiatives portent leurs fruits. Les salariés propriétaires sont plus productifs, ils quittent moins souvent l’entreprise et ils sont mieux payés. Les salariés actionnaires gagnent en moyenne un quart de plus que leurs collègues dans des compagnies ordinaires. Et surtout, lorsqu’ils partent à la retraite, ils revendent leurs actions au groupe et peuvent se retrouver à la tête d’un joli pactole. Chez Central States, 61 personnes ont reçu au moins un demi-million de dollars, et 19 d’entre elles ont dépassé la barre du million.

Seul bémol, apporté par Vincent Tate : « Il faut être patient ; on reçoit un petit peu d’actions chaque année, il faut attendre cinq à sept ans avant de sentir la vraie valeur de l’Esop. » Et la mise en place de ce dispositif (évaluation, avocats…) coûte cher, souvent plus de 75 000 dollars.

Auteur

  • Caroline Crosdale