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L’interview : Olivier Mériaux directeur général adjoint et directeur technique et scientifique de l’ANACT(1)

L’enquête | L’interview | publié le : 06.09.2016 | Emmanuel Franck

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L’interview : Olivier Mériaux directeur général adjoint et directeur technique et scientifique de l’ANACT(1)

Crédit photo Emmanuel Franck

« La capacité réelle des acteurs de l’entreprise à négocier ne se confond pas avec leur capacité juridique »

Les PME sont-elles concernées par l’autonomisation de l’accord d’entreprise, poussée par le législateur depuis plusieurs années ?

Elles sont concernées, mais elles sont rarement demandeuses. Négocier un accord suppose un savoir-faire, une expertise, dont seules les grandes entreprises disposent aujourd’hui. Les PME, quant à elles, craignent l’insécurité juridique. Or le droit du travail est une matière complexe, soumise à une forte instabilité jurisprudentielle. Il n’est qu’à regarder la question des forfaits-jours. Et rares sont les PME qui ont accès aux conseils des grands cabinets d’avocats. Quant aux organisations patronales, toutes ne sont pas capables de fournir l’expertise juridique dont les entreprises adhérentes ont besoin. La négociation autonome est faite pour les grandes entreprises ou pour celles qui disposent d’un conseil efficace.

Qui est demandeur d’une plus grande autonomie de l’accord d’entreprise ?

C’est en effet une question légitime, quand on observe le décalage entre la place éminente qu’occupe le sujet dans l’agenda politique et social et le peu d’appétence de l’immense majorité des employeurs. Nous l’avions posée il y a quelques années dans le cadre d’une étude sur la négociation des accords dérogatoires(2). Il est clair que l’influence de quelques très grandes entreprises sur la politique sociale de leurs organisations professionnelles joue fortement.

Pour les PME qui veulent bénéficier de la souplesse procurée par la négociation collective sans sacrifier la sécurité juridique, la branche n’est-elle pas la solution ?

En théorie, oui : une négociation de branche qui laisse vivre la négociation d’entreprise et la sécurise est la solution idéale. Mais l’équilibre est difficile à trouver, car les situations sont très variées, tant du point de vue de l’action collective – qu’est-ce qu’un employeur attend de son organisation professionnelle ? Se reconnaît-il dans des politiques de branche qui vont lui apporter des bénéfices mais aussi des contraintes ? – que du point de vue économique : le sens de l’accord de branche est foncièrement différent entre un secteur très éclaté avec de multiples PME d’un poids économique équivalent, et un secteur où la politique de la branche est entre les mains de quelques grandes entreprises adhérentes en position de force. Dans la mesure où la norme sociale de branche égalise les conditions de la concurrence, toutes les entreprises n’y ont pas le même intérêt.

Le mandatement est-il intéressant pour les PME – dont la plupart sont dépourvues de délégué syndical – qui veulent négocier un accord d’entreprise ?

Les entreprises qui veulent négocier ont besoin d’interlocuteurs compétents et légitimes à porter des revendications et des positions au nom d’un collectif. Le mandatement de salariés n’est qu’une demi-solution. Il a été fortement utilisé au moment des négociations sur la réduction du temps de travail, vers les années 1999-2000. Depuis, le législateur et les partenaires sociaux ont plutôt cherché à favoriser la négociation avec des élus du personnel, mandatés ou non par une organisation.

Y a-t-il une voie pour développer le dialogue social ?

Il ne faut pas sous-estimer les obstacles et les difficultés, alors que la culture des relations sociales reste profondément empreinte de défiance et que le contexte économique est peu favorable. À l’Anact, nous sommes attachés à la capacité réelle des acteurs à négocier, qui ne se confond pas avec leur capacité juridique. Ce sujet était d’ailleurs traité dans le rapport Combrexelle, quoique cela soit rarement souligné. Nous pensons qu’il faut soutenir la montée en compétences symétrique des acteurs du dialogue social. Cela suppose notamment de développer les formations aux techniques de négociation. En Martinique, l’Aract propose ainsi des formations paritaires – représentants du personnel/direction – au dialogue social. C’est aussi une idée qu’on retrouve dans l’article 18 du projet de loi Travail.

(1) Docteur en sciences politiques, Olivier Mériaux a consacré sa carrière de chercheur à Sciences Po aux relations sociales et à l’action publique dans le domaine du travail et de l’emploi, avant de prendre les fonctions de directeur général adjoint de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail.

(2) “Évaluation de la loi du 4 mai 2004 sur la négociation d’accords dérogatoires dans les entreprises”, Olivier Mériaux, Jean-Yves Kerbouc’h, Carine Seiler, Dares, août 2008.

Auteur

  • Emmanuel Franck