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Dialogue social : La loi travail met la négociation à la portée des PME

L’enquête | publié le : 06.09.2016 | Emmanuel Franck

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Dialogue social : La loi travail met la négociation à la portée des PME

Crédit photo Emmanuel Franck

La loi Travail du 8 août 2016 marque une nouvelle tentative d’ouvrir les PME aux « vastes espaces d’adaptation » de la négociation collective, qui restent, dans les faits, réservés aux entreprises dotées d’un délégué syndical (DS). Le législateur assouplit deux dispositifs existants permettant la négociation en l’absence de DS : il élargit le champ de négociation des salariés mandatés et supprime la validation des accords par les commissions de branche. Surtout, il adopte une nouvelle approche, en posant les bases d’“accords types”, fournis par les branches et applicables directement et unilatéralement par l’employeur.

Les PME n’ont pas été totalement oubliées par la loi Travail. Certes, le texte, adopté le 21 juillet après quatre mois de discussions parlementaires et publié le 8 août, ne correspond pas au rêve de la CGPME d’un « dialogue social direct, avec ou sans syndicat, avec ou sans représentant du personnel ». Certes, les « vastes espaces d’adaptation » – l’expression est du législateur – créés par la loi (dérogation à l’accord de branche, fixation du calendrier des négociations, majoration des heures supplémentaires, etc.) concernent au premier chef les entreprises dotées d’un délégué syndical (DS). Donc rarement les PME : seules 8 ? % des entreprises dépourvues de délégué syndical négocient (Dares 2015).

Mais la loi du 8 août contient tout de même trois dispositions intéressant le dialogue social dans les PME : l’élargissement du champ de la négociation des salariés mandatés ; la suppression des commissions de validation de branche et la création d’“accords types” négociés par les branches pour les entreprises de moins de 50 salariés. Les deux dernières dispositions marquent des étapes importantes.

Salariés mandatés

Jusqu’à présent, les salariés mandatés par les syndicats (voir l’infographie ci-contre) ne pouvaient négocier que des mesures dont la mise en place était impossible sans accord d’entreprise (le forfait-jours, par exemple). Désormais, ils peuvent négocier sur la totalité du champ. « C’est encourageant », déclare Marylise Léon, secrétaire nationale de la CFDT. Les PME vont-elles investir ces nouveaux espaces de négociation ? « C’est possible si les acteurs jouent le jeu, estime-t-elle. Mais si les directions d’entreprise veulent privilégier l’unilatéralisme, rien ne se passera. » Les salariés mandatés ont connu leur heure de gloire en 1999-2000, au moment des lois Aubry 1, mais ne sont aujourd’hui pratiquement plus sollicités (lire l’encadré ci-dessous).

La négociation avec des élus non mandatés est, elle, un peu plus développée. Jusqu’à présent, les accords signés par ces derniers devaient être examinés par une commission paritaire de branche. La loi Travail vient de supprimer cet examen. Au moins symboliquement, c’est une disposition importante. Cet « amendement gouvernemental de dernière minute », rappelle Marylise Léon, exclut pour la première fois les syndicats de la validation d’un accord. « Nous aurions préféré maintenir le contrôle de branche », regrette la secrétaire nationale de la CFDT. Mais pour Jean-René Le Meur, responsable du pôle social de la Fnogec (organisation professionnelle de l’enseignement catholique), la gestion de ces commissions était trop « complexe ».

Ainsi, dans la branche de la chimie, plus de la moitié des accords présentés en commission de validation étaient rejetés (lire Entreprise & Carrières n° 1282). En outre, beaucoup de branches n’ont pas de commission. La suppression de cette procédure devrait donc faciliter la vie des PME de certaines branches un peu tatillonnes ou dépourvues de commission. Mais l’effet de cette disposition devrait, comme celui de la précédente, être modeste : actuellement, moins de 1 200 accords sont validés chaque année par ces commissions, selon les calculs du consultant Pascal Geiger (Dialogue social et compétitivité).

Stipulations spécifiques

La troisième disposition de la loi du 8 août visant à faciliter l’adaptation sociale des PME adopte une approche radicalement différente des deux précédentes : « Un accord de branche étendu peut comporter – le cas échéant sous forme d’accord type indiquant les différents choix laissés à l’employeur – des stipulations spécifiques pour les entreprises de moins de 50 salariés », indique la loi. Ces accords types sont préconisés par le rapport Combrexelle (septembre 2015) : « Plutôt que de s’intéresser en permanence au mode opératoire de la négociation et de la signature au sein des TPE, en cherchant difficilement des processus dérogatoires qui pallient l’absence de représentation syndicale, la question posée est de savoir s’il ne faudrait pas aussi s’attacher au contenu des accords. » Ainsi que le souligne Olivier Mériaux, DG adjoint de l’Anact, le renforcement de la négociation d’entreprise est fait pour les grandes entreprises et demandé par elles, mais l’immense majorité des employeurs a peu d’appétence pour le sujet (lire son interview p. 25). Et, lorsqu’ils en ont, ils ne s’embarrassent pas de formalisme juridique et inventent leur propre procédure, comme Acti, Vibratec et Thermador (lire pp. 22 à 24).

Des accords adaptés

Avec les accords types, l’idée n’est donc plus de faire négocier des PME qui n’en demandent pas tant, mais de leur permettre d’appliquer des accords sécurisés directement adaptés à leur situation. « Il y aurait un accord type, par exemple pour les secteurs du garage de réparation automobile, de la blanchisserie, de la boulangerie, de la petite entreprise de maçonnerie, des cafés-restaurants, du cabinet médical », écrit Jean-Denis Combrexelle.

Jean-René Le Meur tente d’imaginer un accord type : « Prenons un dispositif d’annualisation ou un dispositif de temps partiel avec trois ou quatre options d’organisation, deux ans d’expérimentation, une analyse pratique des options choisies, les points négatifs et positifs pour les entreprises et les salariés. » Mais davantage qu’un texte d’application directe, il envisage l’accord type comme un outil d’« objectivation des problématiques, de remontée des pratiques, d’échange entre le terrain et la branche, et d’expérimentation : grâce à cela, on peut donner la possibilité au chef d’entreprise, en concertation avec les salariés, de tenter l’application d’une option et de revenir en arrière si jamais l’expérience n’a pas abouti ; c’est plus difficile dans le cadre d’un accord ». Son regret : que les accords types fassent seulement l’objet d’une information auprès des DP et des salariés. « En cas de contentieux, je serais plus à l’aise avec une validation ou une non-opposition de la majorité des salariés », explique le juriste.

Enfin, il relève trois points de vigilance : « Les options devront être expliquées pour éviter toute mauvaise interprétation ; les combinaisons d’options devront être prévues ou interdites compte tenu d’une tendance naturelle à “faire son marché” entre les différentes options ; le dispositif ne doit pas être “une voie de dérivation pour les formes normales de négociation”, comme l’écrivait Jean-Denis Combrexelle. »

E. F.

1998-2000 : l’âge d’or des salariés mandatés

La loi Aubry 1 de juin 1998 a été l’âge d’or des salariés mandatés. Il a duré un an et demi. Afin de favoriser une réduction du temps de travail (RTT) négociée dans les entreprises dépourvues de délégué syndical et de délégué du personnel, la loi de 1998 organise le mandatement des salariés. Notamment, elle donne à ces derniers un statut protecteur. Dans le même temps, elle crée une incitation (réduction des charges patronales) pour les entreprises qui signent un accord de RTT. Conséquence, le nombre de mandatements explose : 39 000 salariés ont été mandatés entre 1999 et 2001, selon un rapport de 2005 pour France Stratégie (ex-Commissariat au plan)*, dont 90 % dans des établissements de moins de 50 salariés et 60 % dans des établissements de moins de 11 salariés. Le nombre d’accords d’entreprise explose lui aussi : 30 000 sont signés en 1999, deux fois plus que l’année précédente, dont 40 % paraphés par des salariés mandatés, selon la Dares. Ils portent huit fois sur dix sur le temps de travail.

La loi Aubry 2 de janvier 2000 clôt cet âge d’or en ouvrant aux entreprises un accès direct aux accords de branche. Les TPE-PME n’ont alors plus besoin de signer un accord d’entreprise pour mettre en place la RTT et bénéficier des aides publiques. Le recours au mandatement diminue donc à partir de cette date pour devenir négligeable en 2005 : moins de 1 % des accords signés.

Négociation dans les PME, ce que change la loi travail

Élargissement du champ de négociation des salariés mandatés (L. 2232-24-1)

Jusqu’ici limités à négocier des mesures dont la mise en place suppose un accord, les salariés mandatés pourront désormais négocier sur la totalité du champ.

Suppression de l’examen par les commissions de validation de branche (L. 2232-22)

Les accords d’entreprise conclus par des élus non mandatés n’ont plus à être présentés devant une commission de validation de branche ; leur signature par des élus majoritaires (50 %) suffit à les valider. Les accords doivent toujours être transmis aux commissions, pour information.

Accords de branche type pour PME (L. 2232-10-1)

Un accord de branche étendu peut comporter des stipulations spécifiques pour les entreprises employant moins de 50 salariés, sous forme, par exemple, d’« accords types indiquant les différents choix laissés à l’employeur ». L’employeur peut appliquer unilatéralement cet accord type après en avoir informé les délégués du personnel, s’il y en a, et les salariés.

* “Le mandatement : quelles incidences sur la représentation collective et les modes de régulation sociale dans les TPE-PME ? Le cas de la CFDT”, Sophie Gaudeul, Cécile Guillaume, rapport pour le Commissariat général au Plan, octobre 2005.

Auteur

  • Emmanuel Franck