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Contrats atypiques : Comment sécuriser le travail intermittent

L’enquête | publié le : 19.07.2016 | É. S.

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Contrats atypiques : Comment sécuriser le travail intermittent

Crédit photo É. S.

Où mettre le curseur entre flexibilité et stabilité des contrats de travail ? De nombreuses formes d’emploi se trouvent au cœur de cet arbitrage, fluctuant selon l’évolution des lois et les accords collectifs. Dans l’intérim, l’emploi saisonnier, le spectacle… les partenaires sociaux tentent de redéfinir les règles du jeu, tandis que la loi Travail fait bouger quelques lignes.

Elle est devenue tendance dans les syndicats : la “campagne” des saisonniers mobilise chaque année les militants, chargés d’arpenter les lieux de vacances pour informer de leurs droits ces travailleurs particuliers. Si ces initiatives perdurent, c’est aussi que le nombre de saisonniers n’a cessé d’augmenter – il concerne aujourd’hui entre 1,5 et 2 millions de personnes. Dans le tourisme, par exemple, « on compte aujourd’hui environ 740 000 saisonniers, pour 420 000 en 1996 », précise Christian Gilquin, directeur de Peripl (Pôle européen de recherche et d’ingénierie sur la pluriactivité et la saisonnalité).

Une évolution que connaissent aussi d’autres formes d’emploi – intérim, CDD d’usage, CDI intermittent –, qui ont en commun avec les saisonniers d’aller et (re)venir dans les entreprises au gré des aléas de l’activité. Ainsi, selon l’Insee, la douzaine de professions pouvant recourir au CDD d’usage représentaient, en 2011, 10 % de l’emploi salarié privé, mais la moitié des embauches en CDD. Dans le spectacle, par exemple, « les intermittents signent en moyenne plus de 16 CDD d’usage chaque année – 4 ou 5 fois plus qu’il y a vingt ans. Il y a donc une nette tendance au fractionnement », complète Jean-Paul Guillot, président de la sous-commission emploi du Conseil national des professions du spectacle.

D’où des tentatives de rééquilibrer la balance, entre flexibilité et stabilité des emplois. Depuis début 2015, partenaires sociaux et gouvernement ont ouvert des pistes visant à développer la qualité des emplois dans la filière du spectacle. Parmi elles : la mise en place d’un fonds de soutien à l’emploi, la mise en œuvre d’un agenda social dans l’ensemble de la filière, avec notamment l’ouverture de négociations relatives au recours au CDD d’usage (lire p. 21).

Modalités de reconduction

La négociation pour les contrats saisonniers, c’est aussi ce que prévoit l’article 39 de la loi El Khomri(1), qui donne six mois aux branches concernées pour définir les modalités de reconduction de contrats des salariés et la prise en compte de l’ancienneté. Déjà, dans un certain nombre de professions, de tels dispositifs existent, avec, pour les employeurs, des degrés divers d’obligations (lire p. 23).

Christian Gilquin reste prudent sur l’enthousiasme des branches à engager les discussions en ce sens, mais il espère que cette injonction à négocier poussera « les acteurs des territoires à réfléchir à l’intersaison. Aujourd’hui, pour beaucoup d’employeurs, voire de saisonniers eux-mêmes, la saison est cloisonnée. On libère les saisonniers le 15 du mois, sans s’intéresser à ce qu’ils deviennent le 16, c’est ce qu’il faut changer. Et c’est aussi de l’intérêt des entreprises de fidéliser ces salariés, formés et qui connaissent l’établissement ».

Extension du CDI intermittent

Il plaide aussi pour une extension du CDI intermittent (CDII) – contrat permanent, qui prévoit des périodes travaillées et non travaillées sur l’année. Là encore, la loi Travail (article 39 bis) ouvre la possibilité – pour des secteurs à définir – de proposer des CDII sans qu’un accord collectif le prévoie, et avec un lissage de la rémunération. L’expérimentation doit durer jusqu’en fin 2019.

Mais la démarche est nettement plus ambivalente, car ce contrat est loin de faire l’unanimité. Dans les organismes de formation, 6 000 personnes sont en CDI intermittent (5 % des effectifs), la convention collective l’autorisant pour les formateurs en langue. En 2013, la loi de sécurisation de l’emploi avait en outre permis aux petites entreprises du secteur de recourir directement aux CDII. Mais, si la Fédération de la formation professionnelle voudrait que cet assouplissement des règles soit pérennisé, William Perennes, responsable du secteur de la formation privée au SNPEFP-CGT, y voit surtout « un risque de précarisation encore plus grand que les CDD d’usage : ce contrat n’offre pas les mêmes garanties que les temps partiels, par exemple en cas de dépassement horaire. Surtout, il n’y a aucun volume de travail minimal garanti par la branche, or le CDII n’ouvre pas droit à l’indemnisation chômage pendant les périodes non travaillées ».

Pas facile de trouver la formule idéale. Même dans la branche de l’intérim, où le CDI intérimaire est sur les rails depuis 2014. Un premier bilan fait état de 6 000 contrats signés mi-2016, au bénéfice d’intérimaires plutôt jeunes (un tiers ont 25 ans ou moins) et peu qualifiés (la moitié des CDI). Mais Étienne Jacqueau, DSC CFTC à Manpower et négociateur de la branche, émet des doutes : « Sur les 6 000 recrutements, combien en reste-t-il aujourd’hui ? Combien ont préféré revenir à l’intérim classique ? Une enquête, que nous avons menée chez Manpower auprès de 170 CDI intérimaires, a montré qu’il y avait beaucoup de désillusions, en particulier en termes de rémunération. Outre la perte de la prime de précarité, la garantie minimale de salaire octroyée par l’accord n’est intéressante que pour ceux qui travaillent peu dans le mois. »

De fait, le bilan faisait état d’un taux de refus important : 42 %. Mais il soulignait aussi l’attractivité de la formule en termes de stabilité du statut et d’accès au logement. En matière de sécurisation, la forme du contrat ne fait donc pas tout. « Dans les hôtels, cafés, restaurants, par exemple, une reconduction automatique des contrats saisonniers est prévue à partir de la troisième année, illustre Christian Gilquin, mais le turnover est tel que peu en profitent vraiment. » C’est aussi pour cela que l’accord de branche sur le CDI intérimaire prévoit un volet consacré à l’augmentation du temps de travail (lire p. 24). Et que, dans le spectacle, « au-delà de la limitation des CDD d’usage, l’enjeu est d’arriver à allonger la durée moyenne de ces contrats, ajoute Jean-Paul Guillot. D’où des travaux en cours pour adapter les dispositifs d’aide à l’emploi aux spécificités du secteur, et pour développer les groupements d’employeurs, en diffusant notamment les bonnes pratiques en la matière ».

Dans les campings, c’est une combinaison originale que propose la profession, avec le CDI emploi-formation. Le principe ? Compléter la saison par des périodes de formation (qualifiante ou diplômante), afin de développer la multicompétence. « Hors saison, les campings continuent de travailler : maintenance, entretien des espaces paysagers, etc., explique Yves Le Floch, chargé de mission emploi formation à la Fédération de l’hôtellerie de plein air. Il s’agit de faire monter en compétences des salariés qui font des CDD chaque année. » Plus d’une centaine de CDI emploi-formation ont été signés, indique-t-il. Mais le système est fragile. « Nous avons besoin de moyens humains pour convaincre les entreprises et les saisonniers de s’engager dans cette démarche », insiste Yves Le Floch, qui déplore le manque de soutien financier des pouvoirs publics.

Pluriactivité

Construire ce type de solution relève souvent de la course d’obstacles. Pour les saisonniers, partager l’année entre la montagne et la mer relève de l’utopie – la mobilité géographique et l’accès au logement restent des freins puissants. Alors, certains acteurs cherchent à développer la pluriactivité sur le même territoire, via le développement des tiers employeurs. Par exemple, en Haute-Savoie, le groupement d’employeurs AtoutSaison, piloté par Peripl, vient de recruter son deuxième salarié en dix-huit mois d’existence. Il devrait partager son temps entre la conduite de déneigeuses l’hiver et celle de grues de chantier l’été. « C’est long et difficile : il faut que les employeurs se coordonnent, et tous les saisonniers ne souhaitent pas non plus être en CDI. Certains y voient une perte de liberté, constate Christian Gilquin. Tant que le recours au CDD sera si souple, il restera une solution de facilité pour la majorité des entreprises. » Il se veut malgré tout optimiste : « Lentement, petitement, les professionnels prennent conscience de la nécessité de sécuriser les parcours pour stabiliser et renforcer les compétences sur le territoire. Une fois que l’on s’engage dans ces démarches de sécurisation, on ne revient pas en arrière. »

(1) À l’heure où nous bouclons, le projet de loi Travail vient d’être adopté en 2e lecture par l’Assemblée nationale.

Auteur

  • É. S.