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Philippe Desprès avocat au cabinet Eversheds

La semaine | L’interview | publié le : 19.07.2016 | Élodie Sarfati

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Philippe Desprès avocat au cabinet Eversheds

Crédit photo Élodie Sarfati

« La loi El Khomri crée un statut hybride pour les travailleurs des plates-formes numériques »

Le projet de loi Travail définit des règles applicables aux « travailleurs utilisant une plate-forme de mise en relation par voie électronique ». Quelle en est la portée ?

Le texte, dans sa rédaction issue de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale, prévoit qu’à partir du moment où une plate-forme détermine les caractéristiques de la prestation et le prix pratiqué, elle se voit imposer une certaine responsabilité sociale. C’est-à-dire qu’elle devra prendre à sa charge les cotisations d’accident du travail et la contribution à la formation professionnelle jusque-là supportées par le travailleur indépendant. C’est donc un transfert de charge, qui crée un statut hybride, une dérogation au droit commun du travail indépendant. Néanmoins, ces obligations ne s’appliqueront qu’aux travailleurs réalisant un chiffre d’affaires minimal avec la plate-forme, qui sera fixé par décret. Or, selon le seuil retenu, il pourrait y avoir un risque de contournement, si les plates-formes décidaient de réduire l’activité des travailleurs pour rester en deçà.

Le projet de loi prévoit aussi que les « mouvements de refus concerté de fournir leurs services » de la part des travailleurs ne pourront, sauf abus, « constituer un motif de rupture de leurs relations avec les plates-formes ». Comment interpréter cette disposition ?

C’est une nouveauté essentielle pour ces travailleurs, à qui l’on reconnaît le droit de constituer un syndicat, de négocier collectivement et de faire grève. En pratique, comme il n’existe pas d’engagement contractuel à recourir aux services de tel ou tel travailleur indépendant, il sera sans doute difficile d’apporter la preuve d’un préjudice consécutif à l’exercice du droit de grève. Ce sera aux tribunaux de donner de la substance à cette disposition.

L’Urssaf poursuit Uber afin de faire reconnaître un lien de subordination avec ses chauffeurs. Ce texte change-t-il la donne ?

Je ne crois pas. Le projet de loi organise une forme de solidarité qui réduit l’attractivité sociale de ces plates-formes, mais il n’aborde pas la question de l’éventuelle subordination. Il n’écarte pas la possibilité de requalifier la relation en contrat de travail, dès lors qu’on ne s’appuie pas sur le seul critère tiré de la fixation du prix. Mais aujourd’hui déjà, cela ne suffit pas à caractériser un lien de subordination : il faut aussi regarder qui exerce l’autorité, contrôle et organise le travail, verse la rémunération.

Auteur

  • Élodie Sarfati