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Branches professionnelles : Les référentiels pénibilité en chantier

L’enquête | publié le : 12.07.2016 | Virginie Leblanc

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Branches professionnelles : Les référentiels pénibilité en chantier

Crédit photo Virginie Leblanc

Alors que le compte pénibilité reste encore très contesté par le patronat, certaines branches professionnelles ont commencé à construire des référentiels-modes d’emploi ou des guides afin d’aider leurs entreprises adhérentes à évaluer l’exposition de leurs salariés aux facteurs de pénibilité. Un travail d’explication et de simplification très attendu par les PME et les TPE.

À la veille de l’échéance du 1er juillet et de l’entrée en vigueur des six facteurs de pénibilité supplémentaires, la fronde patronale autour du compte pénibilité avait repris de la vigueur. Le Medef n’a pas hésité à appeler les entreprises à ne pas appliquer la loi, au nom d’une « impossibilité pratique ». La CGPME a dénoncé l’absurdité du compte et diffusé des petits films didactiques pour illustrer son propos. L’UPA a quant à elle demandé le report d’un an de l’application des six nouveaux facteurs de pénibilité. Tout comme Jacques Chanut, le président de la Fédération française du bâtiment (FFB).

Au centre des critiques, la complexité de la mesure, particulièrement dans les PME et les TPE. C’est pourquoi la loi Rebsamen avait, outre la suppression de la fiche individuelle de prévention de la pénibilité, introduit la possibilité pour les branches professionnelles de construire des référentiels, sorte de mode d’emploi, afin d’accompagner les entreprises dans cette démarche. Et surtout, l’homologation du référentiel par l’administration laisse présumer que les entreprises ont réalisé leur déclaration d’exposition de bonne foi, une sécurisation juridique précieuse (lire l’encadré ci-dessous).

Outil facilitateur, le référentiel suscite une vraie attente des entreprises, souligne Clarisse Petit, consultante en prévention des risques professionnels de Prévisoft : « 65 % des entreprises interrogées ont sollicité leur branche pour savoir si un référentiel existait, et, dans le secteur de la construction, ce sont même 85 % des entreprises qui cherchent conseil auprès de la branche », selon le baromètre pénibilité publié par Atequacy et Prévisoft fin mai dernier. « Nous avons des retours d’entreprises qui nous demandent pourquoi rien n’est fait, déplore Jean-Marc Candille, secrétaire national de la FNCB-CFDT (construction bois), certaines branches ont fait des référentiels, c’est bien la preuve que ce n’est pas irréalisable. »

Forte pression du Medef

Mais, selon plusieurs sources, le Medef a exercé une forte pression sur les organisations patronales de branche pour qu’elles ne déposent pas de référentiels, considérant que, si une branche le faisait, c’était entériner le système. Or les échéances électorales de 2017 laissent encore l’espoir d’une future abrogation…

« En 2015-2016, les employeurs ont refusé de s’investir sur le sujet, mais cela ne veut pas dire que les branches n’ont pas commencé à travailler, remarque Hervé Garnier, secrétaire national de la CFDT. Certaines ont peu de moyens et ne savent pas trop comment s’y prendre, et les moyens de l’INRS et de l’Anact ont d’ailleurs été très peu sollicités. Mais aujourd’hui, le calendrier de mise en application se déroule. » La CFDT rappelle également que 500 000 salariés ont déjà acquis des points au titre de l’année 2015 et qu’à terme, ce sont 1,3 million de salariés qui pourraient bénéficier de cette reconnaissance.

Pas d’homologation

Aucun référentiel n’est encore homologué à ce jour. Mais le ministère du Travail avance le chiffre d’une cinquantaine de branches ayant travaillé sur le sujet avec la cellule dédiée à la Direction générale du travail (DGT). Elles sont plus ou moins avancées dans leurs travaux, certaines étant sur le point de finaliser leur référentiel.

S’il ne s’agit pas d’un référentiel à proprement parler, la branche des distributeurs-grossistes en boissons (lire p. 23) a été la première à conclure un accord de prévention de la pénibilité – récemment étendu – incluant un mode d’emploi détaillé à destination des entreprises, homologué par l’administration. Et la fédération assure même un “service après vente” par le biais de formations. Les travaux de ce secteur sont d’autant plus remarquables qu’ils ont été réalisés par voie d’accord, un moyen qui sera sans doute peu utilisé, au bénéfice d’initiatives unilatérales des employeurs (lire aussi l’interview p. 22). « Les textes n’aident pas forcément au dialogue puisqu’ils renvoient à la seule responsabilité des organisations patronales de branches de réaliser le référentiel », remarque Serge Journoud, en charge du secteur travail-santé à la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT.

La Confédération générale du commerce de gros avait quant à elle été la première à présenter publiquement, fin 2015, la démarche de construction de son référentiel, accompagnée par le cabinet Didacthem (lire Entreprise & Carrières n° 1271). La Fédération de la propreté n’a pas souhaité répondre à nos questions, mais elle a bel et bien fait le choix d’un référentiel de branche, adopté le 3 juin dernier (lire p. 25). Plusieurs autres branches que nous avons contactées n’ont pas voulu témoigner non plus, même si elles ont initié des travaux.

L’Union des entreprises du paysage (Unep, 6 800 entreprises, 91 000 actifs) est très avancée. Avant le dépôt officiel du référentiel, elle devait rencontrer mi-juillet le groupe d’appui technique de la DGT pour finaliser son dossier. En outre, Pascal Franchomme, vice-président de l’Unep en charge du dossier pénibilité et dirigeant de la société Arbora, insiste sur un point : « Nous avons associé nos organisations syndicales, auxquelles nous avons présenté le travail réalisé avec Bureau Veritas. Elles ont apprécié que le cabinet interroge 64 salariés dans trois à quatre entreprises. In fine, trois expertises ont été requises : celle des chefs d’entreprise, celle de Bureau Veritas et celle des salariés. La totalité du coût du référentiel est prise en charge par l’Unep. »

Démarche originale et volontariste, deux petites branches se sont rapprochées pour travailler ensemble et bâtir leurs propres référentiels, qui comportent des métiers en commun. La Fédération nationale des syndicats de l’assainissement et de la maintenance industrielle (FNSA) et la chambre syndicale des industries de désinfection, désinsectisation et dératisation (CS3D) sont toutes deux proches d’avoir terminé leurs travaux, probablement à l’automne (lire p. 26).

Les entreprises de distribution, les fleuristes et animaliers, les poissonniers écaillers et la céramique font aussi partie des branches qui ont avancé sur le sujet.

Référentiel par paliers

Comment ces branches ont-elles surmonté la difficulté d’apprécier les différents seuils d’exposition aux dix facteurs de pénibilité ? Elles ont, aidées ou non par un cabinet-conseil, retenu le même type d’approche. « Nous accompagnons plusieurs branches professionnelles à la construction de leurs référentiels et notre approche consiste à fabriquer un maillage de groupes homogènes d’exposition, en prenant un échantillon d’entreprises ou de sites représentatifs afin de disposer d’un panel suffisamment large et d’observations de terrain pertinentes, résume Bernard Cottet, dirigeant de Didacthem. Et, au lieu d’un référentiel binaire [salarié exposé ou non à la pénibilité, NDLR], nous travaillons au moyen d’un référentiel par paliers. Et c’est ce qui a été retenu finalement par le gouvernement. »

Sollicité par plusieurs branches pour construire des référentiels, Fabien Piazzon, expert chez Ayming (ex-Alma Consulting Group), parle d’une approche en entonnoir : « On identifie en premier lieu les métiers qui ne sont pas concernés par les facteurs ; ensuite, pour ceux qui sont concernés, on élimine ceux qui sont largement en dessous des seuils, on valide ceux qui sont de façon évidente au-dessus des seuils. Pour ceux pour lesquels il n’est pas facile de le dire, on observe de plus près pour voir si le seuil de tel facteur peut être atteint et dans quelles conditions », souligne-t-il

Antoine Dezalay, directeur développement produits à Ariane Conseil, spécialiste de la politique handicap, de la santé et de la qualité de vie au travail, qui accompagne une branche professionnelle ne souhaitant pas être citée, travaille aussi selon une logique graduelle de cotation de la pénibilité : « Cela permet d’avoir une idée des contraintes gênantes mais non pénibles au sens de la loi. » L’outil utilisé par Ariane Conseil fonctionne comme un document unique d’évaluation des risques (DUER) et permet donc de croiser la gravité et la fréquence pour chacun des dix facteurs de pénibilité.

L’approche consiste également à aller au-delà de la description très large de l’emploi repère : « Prenons l’exemple du préparateur de commande, illustre Antoine Dezalay. Dans la définition de l’emploi repère, il ne fait que du picking, mais si on observe son travail en entreprise, on se rend compte qu’il est polyvalent, qu’il peut aussi faire du chargement-déchargement de camions. Il faut donc enrichir l’analyse par une logique d’activité et prendre en compte les différentes conditions d’exercice du métier dans les entreprises de la branche. »

L’instruction du 20 juin dernier insiste particulièrement sur le lien entre DUER et analyse de la pénibilité, souligne Fabien Piazzon : « L’évaluation de la pénibilité doit se fonder sur les résultats du document unique, et les informations qui y figurent pourront être rassemblées en groupe d’exposition homogène. » Une méthode gagnante pour les entreprises.

Le référentiel de branche homologué, définition et procédure

Les branches ont vocation à accompagner les employeurs dans leur démarche de recensement des expositions : elles peuvent conclure des accords collectifs de branche de prévention de la pénibilité qui doivent être étendus, ou bien élaborer des référentiels.

L’instruction du 20 juin 2016 relative à la mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité a précisé la définition des référentiels de branche : « Un référentiel est élaboré et utilisé comme un mode d’emploi d’évaluation de l’exposition des travailleurs à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels au-delà des seuils après prise en compte des mesures de protection collective et individuelle. » En caractérisant des postes, métiers ou situations de travail exposés, il facilite la déclaration des expositions.

Un référentiel peut concerner l’ensemble des travailleurs d’une branche ou cibler ceux d’un champ d’activité de cette branche. Dans ce cas, il peut donc y avoir plusieurs référentiels au sein d’une même branche.

L’employeur qui applique les stipulations d’un accord de branche étendu ou d’un référentiel professionnel de branche homologué ne peut se voir appliquer de pénalités ni de majorations de retard au titre de la régularisation des cotisations. Il est présumé de bonne foi.

La demande d’homologation du référentiel est déposée auprès de la Direction générale du travail (DGT). L’homologation d’un référentiel est décidée par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et des affaires sociales, après avis du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct). « À titre exceptionnel, l’administration a décidé de soumettre au Coct le tout premier accord de la Fédération des boissons comportant un mode d’emploi relatif à la pénibilité », précise Frédéric Laloue, secrétaire général du Coct.

L’homologation a pour objet de vérifier que sont bien pris en compte les facteurs de pénibilité pertinents pour les activités de la branche ; « nous n’avons pas l’intention de faire quelque chose de très contraignant, souligne le ministère du Travail, et il n’est pas question de revenir sur toutes les analyses qui auront été faites. Il s’agit de déceler les erreurs manifestes d’appréciation dans la construction du document, et nous nous attacherons à ce que ce document soit simple, compréhensible et accessible à tous ». En cas d’erreur manifeste, l’administration pourrait aider la branche à ajuster son référentiel.

Le rôle de la DGT en amont est d’ailleurs celui d’une sorte de référent technique auprès des branches qui le souhaitent – une structure d’une petite dizaine de personnes a été créée –, en binôme avec Michel de Virville, en mission auprès du Premier ministre et des ministres du Travail et des Affaires sociales pour accompagner les branches dans la mise en œuvre du compte.

Le référentiel doit être réévalué au maximum tous les cinq ans.

Les dix facteurs de pénibilité aujourd’hui en vigueur

La pénibilité se caractérise par une exposition, au-delà de certains seuils, à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels pouvant laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé. Elle est définie par une intensité et une temporalité. Les seuils sont appréciés après la prise en compte des moyens de protection collective et individuelle mis en œuvre par l’employeur.

EN VIGUEUR EN 2015

Travail de nuit : travailler au moins une heure, continue ou discontinue, entre minuit et 5 heures du matin, un minimum de 120 nuits par an.

Travail en équipes successives alternantes : au moins une heure entre minuit et 5 heures du matin, au minimum 50 nuits par an.

Travail répétitif (la définition a changé en décembre 2015 pour reprendre celle proposée par Hervé Lanouzière, directeur général de l’Anact, dans un rapport remis à la ministre du Travail en septembre 2015). Un travailleur est considéré comme exposé à la pénibilité dès lors qu’il se trouve dans l’une des deux situations suivantes ou les deux, sollicitant tout ou partie du membre supérieur : travailler avec un temps de cycle inférieur ou égal à 30 secondes en exécutant des mouvements répétés avec une cadence contrainte, et en effectuant 15 actions techniques ou plus (tenir, tourner, pousser, couper, etc.) ; travailler avec un temps de cycle supérieur à 30 secondes, avec un temps de cycle variable ou en l’absence de temps de cycle, en exécutant des mouvements répétés avec une cadence contrainte, et en effectuant 30 actions techniques ou plus par minute. Il faut exécuter ces actions au minimum 900 heures par an.

Les employeurs ayant réalisé l’évaluation selon l’ancienne définition ne sont pas tenus de mettre à jour leur déclaration.

Activités exercées en milieu hyperbare (hautes pressions).

EN VIGUEUR DEPUIS LE 1ER JUILLET 2016

Manutention manuelle de charges : lever ou porter des charges de plus de 15 kg, pousser ou tirer des charges supérieures ou égales à 250 kg, au moins 600 heures par an.

Postures pénibles : position accroupie, à genoux, bras levés, torse en torsion à 30 degrés et plus, torse fléchi à 45 degrés… le seuil est fixé à 900 heures par an.

Vibrations mécaniques : niveau d’exposition quotidien au-delà de 0,5 m/s2 pour les vibrations du corps complet et 2,5 m/s2 pour les vibrations mains/bras, sur une durée d’exposition supérieure ou égale à 450 heures par an.

Agents chimiques dangereux, y compris poussières et fumées.

Températures extrêmes : 5 degrés ou moins et 30 degrés et plus, pendant au minimum 900 heures.

Bruit : 81 dB, au minimum 600 heures par an.

Auteur

  • Virginie Leblanc