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Brexit : grand flou pour les expatriés

La semaine | publié le : 05.07.2016 | Sabine Germain

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Brexit : grand flou pour les expatriés

Crédit photo Sabine Germain

La décision prise le 23 juin par le peuple britannique de sortir de l’Union européenne aura forcément un impact sur le contrat de travail et la protection sociale des expatriés. Mais pour l’heure, le Brexit soulève beaucoup plus de questions qu’il ne livre de réponse(1).

« J’ai eu l’impression de rentrer dans un pays différent, moins accueillant, moins cosmopolite », explique Thierry, informaticien dans une grande banque française, en poste à Londres depuis six ans. Il était en vacances le 23 juin, jour du référendum consultatif à l’issue duquel 52 % des Britanniques ont exprimé le souhait de quitter l’Union européenne. À son retour, il a partagé la stupeur des 300 000 Français vivant outre-Manche.

Une stupeur teintée d’inquiétude : parce que ce succès électoral a attisé les rancœurs contre les travailleurs non nationaux ; et, de façon plus pragmatique, parce que les conditions d’emploi et de protection sociale des expatriés et des travailleurs détachés sont régies par le droit communautaire.

Une première étape.

« Ce référendum consultatif est la première étape d’un processus pendant lequel le droit existant dans tous les domaines perdure, tempère le Quai d’Orsay. Le droit de l’Union européenne continue à s’appliquer pleinement au Royaume-Uni jusqu’à ce qu’il n’en soit plus un membre. » Et jusqu’à ce que de nouveaux accords bilatéraux soient négociés. À moins que d’anciens traités (la convention générale franco-britannique de 1956 sur la Sécurité sociale, par exemple) soient réactivés. Ou que le Royaume-Uni décide d’intégrer l’Espace économique européen (dont l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège sont membres).

Accès à l’emploi.

Aucune de ces options n’est encore sur la table. Il faudra pourtant bien statuer sur des questions aussi essentielles que la circulation des travailleurs : si l’Union européenne décide d’adopter une position ferme en imposant des visas et des permis de travail aux travailleurs britanniques, le Royaume-Uni pourrait bien faire de même. Ce qui risque de nettement compliquer les conditions d’accès à l’emploi.

En revanche, pour les salariés en poste, les contrats de travail « ne peuvent être modifiés, puisqu’ils ont déjà été adaptés aux conditions propres en matière de droit du travail de chaque pays », explique Déborah David, avocate spécialiste du droit du travail, associée au sein du cabinet Jeantet.

Ce n’est pas le cas de la protection sociale (santé, retraite, chômage, allocations familiales), dont les modalités d’accès sont définies par le règlement européen régissant les règles de coordination des systèmes de sécurité sociale. Il distingue le cas des travailleurs expatriés, qui sont assujettis au régime du pays où ils résident, du cas des travailleurs détachés, qui restent affiliés aux différents régimes de leur pays d’origine tant que leur détachement n’excède pas vingt-quatre mois.

Pour couper court aux inquiétudes des salariés, la directrice du site d’un géant français de l’énergie en Écosse a diffusé dès le lundi 27 juin un e-mail expliquant, en substance, que le Brexit n’aurait aucune conséquence pour l’entreprise et pour l’emploi. C’est sans doute vrai à court terme : tant que la Grande-Bretagne n’a pas exprimé sa volonté de quitter l’Union européenne, les négociations fixant les conditions de son retrait ne peuvent commencer. Et elles promettent d’être longues…

« Mon contrat se termine dans un an, explique Pierre, ingénieur chez l’énergéticien implanté en Écosse. Je ne serai donc plus là pour voir comment cela se passe. » En revanche, le plongeon de la livre sterling à son niveau le plus bas depuis trente ans (1,32 dollar le 27 juin) a un impact très concret : « Mon salaire versé pour moitié en livres a fondu. » Or, comme beaucoup de salariés français, il n’a pas choisi d’emmener sa famille en Écosse pour la douceur de son climat ni sa culture gastronomique mais bien pour ses perspectives de carrière et de rémunération. « Dans ces conditions, à quoi bon venir travailler ici ? », se demande-t-il, amer.

Devenir britannique ?

Thierry, l’informaticien londonien, a déjà décidé de faire une croix sur ses vacances dans le Sud de la France. À plus long terme, il s’interroge : rentrer à Paris, où les banques françaises sont plutôt accueillantes avec les expatriés de retour de Londres ? Partir à Francfort, tout près de la Banque centrale européenne, ou à Dublin, où plusieurs groupes bancaires envisagent de délocaliser certaines de leurs activités londoniennes ? Ou bien acquérir la nationalité britannique, comme l’ont déjà fait 17,6 % des Français expatriés : c’est possible après cinq ans de travail continu au Royaume-Uni, à condition de réussir le test de 24 questions plus ou moins retorses(2) portant sur la vie au Royaume-Uni. « Au travail, les discussions tournent souvent autour de ces tests, s’amuse Thierry. Ceux qui vivent à Londres depuis dix ans ont fait leur vie sur place : ils s’efforceront de rester. »

À condition que le Brexit ne remette pas en question la primauté de Londres dans la galaxie financière. Les expatriés se sentent finalement plus concernés par la façon dont l’économie britannique va s’adapter à cette nouvelle donne qu’aux conséquences sociales du Brexit. « Revenir aux permis de travail et aux visas ? Personne n’y a intérêt ! », sourit l’un d’entre eux, convaincu que le règlement européen de coordination sera décliné dans le cadre de conventions bilatérales. Les paris sont ouverts…

(1) Lire aussi l’article p. 32.

(2) Auquel il faut avoir au moins 75 % de bonnes réponses à des questions classiques (les premiers vers de l’hymne national ?) ou plus saugrenues (d’où vient le Père Noël ?).

Auteur

  • Sabine Germain