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L’interview

Pierre Chaudat : « Un climat social pauvre contribue à l’augmentation des conflits interpersonnels »

L’interview | publié le : 28.06.2016 | Éric Delon

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Pierre Chaudat : « Un climat social pauvre contribue à l’augmentation des conflits interpersonnels »

Crédit photo Éric Delon

Organisation du travail, style de management, culture de l’entreprise, système de récompenses… Voici quelques-uns des facteurs qui favorisent les comportements de harcèlement moral en entreprise.

E & C : À quoi correspond la notion de “harcèlement moral” dans la loi française ?

Pierre Chaudat : La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a inséré la notion de harcèlement moral dans le Code pénal et dans le Code du travail. Le harcèlement est défini comme des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Cette définition générale est précisée par une jurisprudence abondante sur le sujet. La répétition d’actes s’avère nécessaire pour déterminer le harcèlement, la durée sur laquelle se déroulent ces agissements étant peu importante. Une répétition d’actes sur une quinzaine de jours a ainsi été assimilée à du harcèlement. Les types d’actes reconnus par les tribunaux sont très divers : intimidations physiques ou morales, utilisation de mots déplacés… Peu importe, là aussi, s’il y a eu intention de nuire ou si les conséquences de la dégradation des conditions de travail ont été avérées.

Dans la vaste enquête que vous avez menée, vous avez détecté cinq facteurs organisationnels influençant le harcèlement moral dans l’entreprise.

Valeriia Zaitseva : L’étude a consisté à recueillir le maximum de travaux de recherche – 450 articles – réalisés dans de multiples contextes culturels. Nous avons plus particulièrement analysé 68 articles dont la définition du harcèlement moral correspondait à deux des critères majeurs inclus dans la terminologie du psychosociologue suédois Heinz Leymann : une durée minimale du harcèlement d’au moins six mois et une notion de répétitivité de l’acte d’une façon hebdomadaire ou mensuelle. Cette recherche a permis d’identifier cinq types de facteurs susceptibles d’influencer le harcèlement moral : l’organisation du travail, le style de management, les changements organisationnels, la culture organisationnelle et le système de récompenses.

Comment se traduisent les conséquences de l’organisation du travail ?

Pierre Chaudat : Une charge élevée de travail, un manque de clarté dans les objectifs à atteindre, un flou dans les tâches à accomplir, un manque d’autonomie, des horaires de travail contraignants ou des conditions de travail particulièrement pénibles – nuisances sonores, espace de travail restreint – sont de nature à favoriser des comportements dits “harcelants”.

Valeriia Zaitseva : Selon notre étude, le leadership autocratique peut être perçu différemment par les salariés. La mise en place de sanctions et l’application de moyens punitifs injustifiés, de même que l’imprévisibilité et l’incompréhension des sanctions sont souvent considérées comme un antécédent de harcèlement psychologique. En revanche, le leadership autocratique peut être accepté quand les victimes de comportement de harcèlement moral et leurs collègues témoins sont persuadés qu’il s’agit du seul style de management en mesure d’assurer la performance organisationnelle. Dans ce cas, les éléments de la punition peuvent être appréciés comme des mesures légitimes.

Comment la culture et les changements organisationnels influencent-ils les comportements ?

Pierre Chaudat : La réduction d’effectif, le licenciement non économique, l’utilisation d’outils technologiques pour surveiller la performance des salariés ou encore le recours aux travailleurs à temps partiel présentent un lien direct avec le comportement de harcèlement.

Valeriia Zaitseva : Le comportement de harcèlement moral a tendance à se développer dans les organisations où la culture tolère, voire encourage le comportement d’agresseur. Un climat social pauvre contribue à l’augmentation de la probabilité du conflit interpersonnel et peut également aboutir à des intimidations. La gestion inefficace des conflits, combinée avec un style de gestion destructeur favorise l’émergence du harcèlement.

En quoi le système de récompenses a-t-il une incidence ?

Valeriia Zaitseva : Notre recherche démontre que les salariés mal payés et qui, de surcroît, cumulent des contrats précaires sont plus souvent la cible d’intimidations. En revanche, les individus bien payés peuvent se sentir protégés par leur statut professionnel, qui se rapproche de celui de leur supérieur.

Que peuvent faire les DRH pour lutter contre le harcèlement moral ?

Pierre Chaudat : La direction des RH doit sensibiliser, mobiliser et former l’ensemble des acteurs – direction, managers de proximité, CHSCT, médecin du travail, salariés – aux types de harcèlement, aux formes et aux actes les plus couramment utilisés. La DRH doit également informer et diffuser les chartes et les accords relatifs à cette notion. Conformément à l’article L. 1321-2 du Code du travail, le règlement intérieur doit mentionner les dispositions relatives au harcèlement moral. Par ailleurs, l’employeur est contraint d’afficher dans les lieux de travail l’ensemble des faits de harcèlement moral. Elle doit définir, par ailleurs, une procédure de médiation, qui peut être demandée par tout collaborateur de l’entreprise s’estimant victime de comportement de harcèlement moral ou par la personne mise en cause.

Le choix du médiateur – qui peut faire partie de l’entreprise ou non – doit faire l’objet d’un accord entre les parties. Enfin, le DRH doit développer des outils afin de prévenir le harcèlement. Dès le recrutement, les fiches de poste doivent être élaborées en précisant les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être attendus, afin de réduire les risques. Par ailleurs, le document unique doit être systématiquement établi et intégrer les risques psychosociaux. Le plan de formation peut également permettre de sensibiliser les salariés au harcèlement, d’améliorer la compréhension qu’ils en ont, de les aider à le détecter et à le gérer grâce au contenu de l’enseignement qui leur est apporté – définition du harcèlement, exemples de cas, présentation du processus… Une évaluation des conditions de travail et du climat social de l’entreprise peut également être réalisée.

Pierre Chaudat Valeriia Zaitseva enseignants en GRH

Parcours

> Pierre Chaudat est maître de conférences HDR en sciences de gestion à l’École universitaire de management (EUM) de Clermont-Ferrand et membre du réseau Référence RH.

> Valeriia Zaitseva est enseignante en sciences de gestion à l’EUM de Clermont-Ferrand.

> Auteurs des “Déterminants organisationnels du harcèlement moral : une analyse d’une revue actualisée de littérature” (Revue Management & Avenir, 2016/2, n° 84).

Lectures

> Pierre Chaudat Cultiver la sérénité au travail. Efficacité et bien-être, c’est possible ! M. Bernard, Dunod, 2015.

> Valeriia Zaitseva Le choix. Souffrir au travail n’est pas une fatalité, C. Dejours, Bayard, 2015.

Auteur

  • Éric Delon