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Les délégués sociaux arrivent dans les entreprises

Zoom | publié le : 21.06.2016 | Mariette Kammerer

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Les délégués sociaux arrivent dans les entreprises

Crédit photo Mariette Kammerer

À l’initiative de la direction ou des représentants du personnel, certaines entreprises mettent en place des salariés référents, dont le rôle est de repérer, d’écouter et d’aider les personnes en souffrance sur le lieu de travail. Une démarche qui a toute sa place dans une négociation sur la QVT.

Surmenée au bureau et dépassée à la maison par des charges familiales, une salariée de HP au bord de la dépression a trouvé du soutien auprès d’un collègue “délégué social”, qui l’a aidée à remonter la pente. « On a activé le réseau, trouvé un stage pour son gamin, une prise en charge pour sa mère, mais si on n’était pas allés vers elle, elle aurait sans doute sombré », indique Jean-Paul Vouiller, délégué national CFTC chez Hewlett Packard Enterprise (HPE), qui a monté ce réseau de délégués sociaux, dont le rôle est de repérer, écouter et aider les salariés en détresse.

Expérience québécoise

Lui-même affecté par le suicide d’un délégué du personnel en 2006, le responsable syndical a cherché des outils pour mieux répondre aux situations de souffrance au travail. Après avoir mis au point sa propre méthode d’écoute-action, il découvre l’expérience menée depuis 1983 par le principal syndicat québécois (FTQ), qui forme et anime un réseau de 3 000 délégués sociaux présents dans plus de 500 entreprises, dont certains occupent cette fonction à plein temps. Ils interviennent sur des problématiques autant personnelles que professionnelles – beaucoup de situations d’addictions dans les années 1980 ; une majorité de cas de détresse psychologique en milieu de travail aujourd’hui.

Conquis par cette initiative, Jean-Paul Vouiller part se former au Québec en octobre 2015 et organise, en mars 2016, la formation des 25 premiers délégués sociaux chez HP. Ils seront 75 d’ici à septembre. « Les collègues sont un relais supplémentaire de proximité qui, par leur intervention rapide, peuvent éviter qu’une situation ne se dégrade », explique-t-il. Selon lui, l’objectif de ce réseau est que chaque salarié en détresse morale puisse trouver dans son entourage proche, comme en cas de malaise physique, une personne formée aux premiers secours.

Des élus CFTC de Thales se sont joints à la formation pour monter un réseau similaire dans leur entreprise : « Sur notre site de Massy (91), nous avons une problématique de RPS et d’addiction au travail, avec plusieurs cas de dépression et un récent suicide reconnu comme accident du travail », explique Marc de Raphélis-Soissan, DS.

La formation dispensée par la FTQ comprend deux jours sur la santé mentale, l’épuisement professionnel et les signaux de stress, les valeurs et préjugés, avec des jeux de rôle et des mises en situation, ainsi qu’une journée complémentaire sur l’écoute active. « Cette formation nous donne une méthode, une posture, et nous aide à nous protéger », souligne Serge Siavash, délégué social formé, venu en aide à un salarié aux envies suicidaires. Chez HP, la formation étant organisée par la CFTC, et les délégués sociaux sont tous adhérents au syndicat. Ils doivent en outre avoir des aptitudes personnelles : « C’est une vocation, cette fonction ne convient pas à tout le monde. Au Québec, il y a 50 % de renoncements suite à la formation », observe Jean-Paul Vouiller.

90 % d’écoute et 10 % d’aide

Comment intervient le délégué social ? « Attentif aux autres, il a avant tout une mission d’intervention rapide, faite de 90 % d’écoute et de 10 % d’aide », résume Serge Siavash. Ceci dit, les délégués sociaux de HP vont parfois très loin dans la résolution du problème : rencontrer le manager, le DRH, trouver une aide financière, un hébergement temporaire, l’appui d’un salarié ayant vécu la même chose. « Notre force est le fonctionnement en réseau : les délégués peuvent se mettre à plusieurs pour trouver des solutions, des téléconférences mensuelles permettent de discuter de cas complexes », précise Jean-Paul Vouiller. Pour rechercher les meilleures réponses possibles aux problématiques rencontrées – consultation spécialisée, avocat, association, etc. –, ils s’appuient sur un guide de ressources, en cours d’élaboration, qui regroupe tous les contacts utiles, et qui sera accessible via Internet. Sur les quelques situations traitées par le réseau HP depuis mars, la moitié concernait des problématiques professionnelles, notamment de burn-out et de management. « Le soutien individuel n’exclut pas l’action collective, souligne Brigitte Dessel, déléguée sociale HP. Au contraire, ces exemples vont nous servir à faire remonter des problèmes plus larges et nourrir nos revendications. »

Des relais complémentaires

Concernant leur positionnement, les délégués sociaux sont « complémentaires et non pas concurrents des autres relais dans l’entreprise » – médecin du travail, assistante sociale, CHSCT, et cellule d’écoute psychologique. Chez HPE, la démarche étant syndicale, la direction n’intervient pas : « Plus on est nombreux à alerter sur ces sujets et mieux c’est, estime Caroline Garnier, DRH France. C’est pourquoi nous percevons cette initiative avec bienveillance, mais notre devoir de neutralité syndicale nous interdit d’y apporter un soutien particulier », précise-t-elle. Chez Thales, le médecin du travail a accepté de coordonner le futur réseau, à la demande des premiers délégués formés : « On aimerait que cette démarche dépasse le cadre syndical de la CFTC pour bénéficier d’un vrai statut », explique Marc de Raphélis-Soissan.

Dans d’autres entreprises, c’est la direction elle-même qui a pris l’initiative. Casino par exemple, après l’instauration début 2015 d’un nouveau mode de “management bienveillant”, a créé un réseau de 800 “bienveilleurs” – des salariés volontaires –, coordonné par le médecin du travail. Leur rôle, défini par la DRH, est d’identifier les salariés en souffrance, d’établir un contact et de les orienter. Ils sont formés à repérer les signes de détresse, disposent d’un numéro à contacter en cas de difficulté, et se réunissent une à deux fois par an. « Aujourd’hui, la démarche est portée par le comex. Des managers signalent au réseau des salariés en souffrance, et la DRH échange régulièrement avec le médecin coordinateur », précise Philippe Boutrel, élu syndical chez HP, qui, dans son mémoire de master en “négociations et relations sociales”, a étudié ces différents dispositifs. La direction de Casino n’a pas souhaité répondre.

Au siège du groupe Accor, la mise en place en mai 2014 d’un réseau “santé vie au travail” est une démarche paritaire, orchestrée par la direction à la demande des élus du CHSCT. Cela faisait suite à deux plans de départs volontaires ayant entraîné d’importants risques psycho-sociaux pointés par un rapport d’expertise. Les salariés volontaires, proposés par un comité paritaire et désignés in fine par la DRH, appartiennent à toutes les catégories professionnelles et à tous les départements de l’entreprise. « On y trouve des membres du CHSCT mais aussi des managers, car il est important que des managers en souffrance puissent trouver une écoute », souligne Sylvie Césard, coordinatrice du réseau SVT et des services aux salariés (et co-auteure du mémoire avec Philippe Boutrel). Formés par un cabinet extérieur et dotés d’outils, les 22 référents ont un rôle limité à l’écoute et à l’orientation : ils ne cherchent pas à résoudre les problèmes.

Sur les 17 salariés qui ont fait appel au réseau de référents, la quasi-totalité des demandes concernait des problèmes professionnels, en particulier d’organisation, de charge de travail et de rythme de travail. « Cela a mis en lumière des dysfonctionnements dans un département où trop de projets ouverts en même temps généraient une surcharge de travail, explique la coordinatrice, qui collecte les motifs de chaque demande. J’ai alerté l’équipe RH, et des mesures concrètes ont été prises dans l’équipe concernée. »

Convaincue de l’utilité de ce réseau malgré la faible sollicitation des salariés, la direction souhaite le redynamiser par des actions de communication, une formation régulière des référents et, dans un second temps peut-être, en l’inscrivant dans un accord collectif, comme proposé par la coordinatrice.

Un axe de négociation

L’idée d’un accord collectif semble mûrir également chez Dim, où un réseau similaire fonctionne depuis deux ans au niveau européen, mis en place par la direction à la demande des syndicats à la suite d’une affaire de harcèlement sexuel : « Actuellement, le dispositif manque de suivi et a tendance à s’essouffler, explique Rossana Tari, DS CFDT. D’où notre proposition, très bien reçue par le DRH Europe, de le formaliser par un accord pour garantir sa pérennité. »

« Ces dispositifs d’écoute individuelle intéressent les entreprises, car ils offrent aux DRH un axe concret de négociation sur la qualité de vie au travail », conclut Philippe Boutrel.

Auteur

  • Mariette Kammerer