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Emploi : Jusqu’ou éviter le plan social ?

L’enquête | publié le : 21.06.2016 | É. S.

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Emploi : Jusqu’ou éviter le plan social ?

Crédit photo É. S.

Inscrite dans le projet de loi Travail, la redéfinition des conditions du licenciement économique a nourri bien des polémiques. Pourtant, le nombre de PSE est en constante diminution, ce qui n’empêche pas les entreprises de continuer à se réorganiser ou à réduire la voilure. Mais certaines utilisent d’autres voies pour y parvenir, des plus concertées aux moins avouables.

Le déferlement n’aura donc pas eu lieu. Trois ans après la loi Sapin, force est de constater que la sécurisation des procédures et la diminution du risque contentieux n’ont pas poussé les entreprises à multiplier les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE). Au contraire : si près de 730 plans ont été mis en œuvre en 2014 – dont 27 % dans des situations de redressement ou de liquidation judiciaire –, on en comptabilisait plus de 900 en 2012. « Depuis vingt ans, le volume des licenciements économiques et des PSE ne cesse de refluer, si l’on excepte des pics conjoncturels comme la crise de 2009 », décrit l’économiste Camille Signoretto, chercheuse au CEE.

Est-ce à dire que les entreprises réduisent moins leurs effectifs, échappent plus qu’avant aux aléas du marché ou aux réorganisations ? À l’évidence, non. Mais, selon les circonstances, certaines recourent à d’autres moyens. « En cas de difficultés, elles commencent par réduire les CDD et l’intérim, constate Sylvain Niel, avocat au cabinet Fidal. Puis elles tentent de négocier des accords de compétitivité, qui permettent de réduire les coûts instantanément et qui sont moins traumatisants collectivement. » Moins contraignants aussi que les accords de maintien de l’emploi issus de l’ANI de 2013 et dont les quelques tentatives se sont soldées par de très nombreux départs, à l’opposé, donc, de l’effet recherché…

Recours à la Gestion active de l’emploi

Chez Thales, c’est après deux plans sociaux conflictuels qu’une solution alternative a été négociée par les partenaires sociaux : depuis 2006, un site confronté à une baisse d’activité peut mettre en œuvre une “gestion active de l’emploi” (GAE) pendant un temps prédéfini et avec l’aval d’une commission paritaire. Concrètement : des mesures d’âge (dispenses d’activité, limitées à 30 % du sureffectif), des reclassements internes, des mobilités externes sécurisées, le tout sur la base du volontariat. Une option utilisée six fois ces trois dernières années, indique Alain Culnard, coordinateur CGT du groupe.

C’est aussi cette voie qu’a empruntée Aviva en 2014. La GAE de l’assureur, inscrite dans son accord GPEC, a porté sur 120 postes « amenés à disparaître dans des métiers comme la logistique ou la gestion administrative », détaille la DRH, Myriam Saunier. Doublement de l’indemnité de départ à la retraite, mobilité externe et, surtout, encouragement à la mobilité interne ont caractérisé cette action, qui a duré près d’une année. « La GAE suppose un accompagnement plus intense qu’une simple GPEC, mais ce n’est pas non plus un plan de départs volontaires, poursuit la DRH. Un PDV est généralement axé sur un nombre d’emplois à réduire, or, pour nous, il s’agissait avant tout d’adapter nos compétences – nous avions un enjeu fort à pourvoir des postes sur de nouveaux métiers. Et nous voulions une solution plus flexible. »

Chez Aviva comme chez Thalès, la GAE s’inscrit hors cadre juridique du PSE et même du PDV. La Direccte « a été informée de notre accord et de notre démarche, et nous lui transmettions les comptes rendus des commissions de validation des départs », précise Myriam Saunier.

Alain Culnard souligne de son côté que, dans la formule retenue chez Thales, « nous avons prévu un droit au retour en cas d’échec d’une formation ou d’une mobilité interne ou externe. De plus, la GAE peut être réévaluée en cas de rebond de l’activité. Alors qu’avec un PSE, une fois que la machine est lancée, on ne peut plus l’arrêter ». Même logique avec le dispositif d’adéquation des emplois et des compétences de PSA qui, par contre, donne lieu à l’homologation de l’administration (lire p. 24).

Accords de GPEC et mesures de mobilité externe

Utiliser la GPEC pour adapter les effectifs ? La pratique fait son chemin, selon Jean-Michel Mir, avocat au cabinet Capstan : « Les accords de GPEC intègrent de plus en plus systématiquement des mesures de mobilité externe pour les salariés ayant un projet personnel ou ne souhaitant pas opérer une reconversion interne. Il s’agit, pour les entreprises, d’accompagner des mutations prévisibles à deux ou trois ans, qu’elles ne pourraient pas traiter via un PSE, faute de motif économique au moment où elles entament la démarche, et parce qu’elles veulent se placer dans une logique d’anticipation. »

Pour y parvenir, il faut donc du temps : près de Lyon, Efi Automotive s’est donné trois ans pour opérer sa transformation (lire p. 25). Mais aussi un soutien efficace à la mobilité : Aviva a organisé une quarantaine de sessions de formation au pilotage de son parcours professionnel. Et puis les moyens de financer les mesures d’âge ou les formations, des possibilités suffisantes de reclassement… « La GAE a fonctionné jusqu’à présent parce que le groupe a un périmètre de 35 000 salariés et de 60 sites, et que l’on peut organiser des solidarités entre les entités », estime ainsi Alain Culnard.

Un Mécanisme de non-remplacement

Dans d’autres entreprises, on compte avant tout sur la pyramide des âges et les départs à la retraite pour réduire la voilure. Ainsi, EDF SA a annoncé début 2016 la suppression de 4 000 emplois en trois ans, par un mécanisme de non-remplacement des salariés partants. Même approche à la Société générale, cette fois pour accompagner la réorganisation du réseau d’agences (lire l’article ci-contre).

Mais dans quel cadre organiser ces suppressions d’emploi “au fil de l’eau” ? À EDF, la décision a été présentée au CCE au cours de la consultation annuelle sur les orientations stratégiques. De fait, « cette consultation renforce l’obligation de transparence des entreprises, estime Jean-Michel Mir. Car, si l’employeur décide de façon structurelle de geler les embauches ou de ne pas remplacer les départs, il doit consulter les représentants du personnel. Ce n’est pas nouveau : en 1997, un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé qu’une diminution régulière des effectifs, même sans licenciement économique, relevait d’une stratégie délibérée de gestion de l’emploi et donc de la consultation du CE, sauf à commettre un délit d’entrave ». Idem en cas d’arrêt de recours à l’intérim, dans le cas où celui-ci représente une part importante et permanente des emplois, selon un arrêt de mai dernier.

Sauf que le message ne passe pas toujours… C’est ainsi qu’en 2014, Tél and Com a pensé fermer ses magasins et supprimer 760 postes à coup de ruptures individuelles… avant d’être rattrapé par l’administration et de devoir mettre en œuvre un PSE (lire Entreprise & Carrières n° 1243). En 2015, l’inspection du travail a dressé deux procès-verbaux à Sopra Steria pour recours « fréquent et volumineux » aux ruptures conventionnelles et contournement des procédures de licenciements collectifs (lire p. 23).

De fait, le succès des ruptures conventionnelles interroge sur leur usage. Environ 30 000 sont homologuées tous les mois, dont 85 % donnent lieu à une inscription à Pôle emploi. Pour autant, ces chiffres sont à interpréter avec prudence, prévient Camille Signoretto : « Les ruptures conventionnelles ont remplacé en partie les licenciements économiques, mais aussi tous les autres modes de rupture du contrat de travail : licenciements personnels, démissions… S’il existe en effet des comportements de substitution, on ne peut pas parler de pratique généralisée. Sans oublier que les ruptures conventionnelles pour motif économique ne sont pas illicites, sauf si elles visent à contourner un plan de licenciements économiques collectifs. »

Chez Socprest, c’est une formule hybride qui a été négociée fin 2015, dans le cadre du transfert de salariés affectés au courrier vers un centre d’appels. « Beaucoup ne voulaient pas y aller, mais leur refus aurait entraîné leur licenciement pour faute, se souvient Jacques Legai, responsable à la S3C CFDT Nord-Pas-de-Calais. Alors, après un mouvement social, un accord a été trouvé, qui prévoit que ces salariés puissent conclure une rupture conventionnelle, avec un accompagnement à la formation. » Pas tout à fait un PSE, mais presque.

Auteur

  • É. S.