logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Zoom

La parité des IRP : un défi pour les organisations syndicales

Zoom | publié le : 14.06.2016 | Mariette Kammerer

Image

La parité des IRP : un défi pour les organisations syndicales

Crédit photo Mariette Kammerer

À quelques mois d’une obligation de parité (proportionnelle) sur les listes aux élections professionnelles, les institutions représentatives du personnel (IRP) peinent à se mobiliser. Certaines entreprises sont tentées d’organiser des élections avant l’échéance afin de reporter l’obligation de quelques années.

La loi Rebsamen impose une parité proportionnelle sur les listes aux élections professionnelles à partir de janvier 2017. La proportion d’hommes et de femmes candidats sur les listes devra être conforme à celle du collège électoral. La loi impose en outre que l’ordre des candidats sur la liste respecte une stricte alternance homme-femme dès la tête de liste. Sous peine que la désignation des élus du sexe surreprésenté ou des élus qui ne respectent pas l’alternance soit annulée.

Globalement, les femmes demeurent sous-représentées dans les instances. « Même dans des entreprises qui comptent 80 % de femmes, les mandats de délégué syndical central (DSC) ou de secrétaire du comité central d’entreprise sont tenus par des hommes », constate Dominique Marchal, déléguée confédérale CFDT en charge de la mixité. Malgré ses efforts pour atteindre 19 % d’adhérentes – à l’image des 20 % de femmes dans la branche – la Fédération de la métallurgie (FGMM) peine à les faire monter en responsabilité : « Seules 12 % des secrétaires de CE et 9 % des DSC sont des femmes », indique Alain Larose, secrétaire national de la CFDT-FGMM. Si certains secteurs font exception, comme le commerce de l’habillement, où les femmes sont majoritaires même dans les instances fédérales de la CGT, il y a toujours un décalage entre le pourcentage de femmes adhérentes et leur présence dans les exécutifs. La CFDT, la plus en pointe sur le sujet de la parité, avec 50 % de femmes dans sa commission exécutive au niveau confédéral, constate néanmoins que 70 % de ses secrétaires généraux sont des hommes.

Une affaire d’hommes

Selon une étude statistique du chercheur Thomas Breda(1), il y a au global 36,6 % de femmes parmi les représentants du personnel (RP), soit 5 points de moins que leur part dans les effectifs salariés (41 %). L’objectif légal ne paraît donc pas inatteignable, « mais le chemin sera long pour faire changer les mentalités », prévient Marie-Christine Tournier, directrice associée à Secafi Lyon. Au cours des réunions qu’elle anime autour de la loi Rebsamen dans les unions départementales et régionales et dans les sections syndicales, le sujet parité déclenche de vives réactions : « Les élus craignent de devoir laisser la place à des femmes moins aguerries et proches de la direction », a-t-elle constaté. Les femmes ne se précipitent pas non plus pour défendre leur place : « Elles ont une mauvaise image des syndicats et ne veulent pas y aller », observe Baptiste Arsale, secrétaire général Unsa Transport de fonds. Au-delà des freins liés aux contraintes familiales, « le syndicalisme reste perçu comme une affaire d’hommes », confirme la consultante de Secafi. Dans les CE, les femmes s’occupent en effet plus souvent des tâches administratives et de l’arbre de Noël.

Dans ce contexte, présenter des listes paritaires ne sera pas simple. Chez Total, « ça va surtout poser problème dans le collège ingénieurs-cadres, estime Bernard Butori, délégué Unsa. C’était déjà difficile de trouver des candidats ». Même chose chez Thales – 21 % de femmes au global – « où la parité sera compliquée à atteindre parmi les cadres », prédit Laurent Trombini, DSC CGT. « Le plus difficile sera de trouver des femmes volontaires pour être en tête de liste, et donc prêtes à investir du temps », souligne le délégué Unsa Transport de fonds. Et la nouvelle possibilité, prévue par la loi Rebsamen pour les entreprises de moins de 300 salariés, de regrouper les trois instances – DP, CE, CHSCT – dans une délégation unique du personnel (DUP), ne facilitera pas forcément la mixité : « Certes, la DUP comptera moins de membres – de 4 à 12 –, donc nécessitera moins de candidates, mais les élus devront être multicompétents et posséder une bonne expérience de la représentation des salariés, ce qui risque d’écarter encore les femmes », souligne la consultante de Secafi.

Travail de persuasion

Parmi les bons élèves de la parité, le SNJ du journal L’Équipe a réussi à présenter 50 % de candidates sur ses listes alors que les femmes ne sont que 20 % dans l’effectif des journalistes. « Cela m’a demandé un an de travail de terrain et de persuasion auprès de toutes les collègues. C’était un défi et je voulais démontrer que c’était faisable », explique Francis Magois, DS et DP. Une majorité de femmes font partie du CE et il regrette que la nouvelle loi l’oblige maintenant à « écarter des militantes très engagées dans la section ». Un bon point aussi pour la CFTC de HP, syndicat majoritaire, qui compte désormais 33 femmes élues ou mandatées – soit trois fois plus qu’en 2012 –, dont une DSC et une secrétaire de comité de groupe. Les clés du succès ? « On fait du syndicalisme de service : on apporte des informations pratiques et une entraide axée sur les problèmes concrets des salariés », explique Jean-Paul Vouiller, coordinateur CFTC du groupe. « J’ai choisi ce syndicat car il y avait déjà des femmes dans la section et un état d’esprit qui leur donne des responsabilités », explique Laurence Crozier-Langlois, DS, CE, juge prud’homale et membre du réseau féminin Women@HP. Forte de cette représentation féminine, la CFTC HP va devancer la loi et présenter des listes paritaires dès cette année.

Attentisme

Toutefois, les initiatives pour se préparer à cette nouvelle obligation demeurent minoritaires sur le terrain, où les centrales syndicales constatent plutôt un certain attentisme. Du coup, nombre de sections risquent de présenter des listes non conformes ou incomplètes. « Les DRH auront intérêt à contrôler la validité des listes s’ils veulent éviter les recours de syndicats mécontents de l’issue du scrutin », souligne le délégué SNJ. En cas de non-respect de la stricte alternance homme-femme sur la liste, les élus “non-conformes” seront invalidés. « On va perdre des élus, cela va mettre beaucoup d’IRP en grand danger. C’est un coup porté aux syndicats », estime Laurent Trombini. « Il y a un enjeu évident de représentativité », ajoute Alain Larose. Pour parer au plus pressé, des stratégies d’évitement sont à l’œuvre : « Beaucoup d’entreprises lancent leur processus d’information-consultation pour faire élire une DUP élargie avant la fin de l’année », constate le cabinet d’avocats Pinsent Masons, et se donnent ainsi quatre ans de plus pour respecter l’obligation de parité.

Améliorer la mixité

Pour outiller son réseau et l’aider à se conformer à cette nouvelle obligation de parité, la FGMM a créé un site Internet (www.guideldse.org) sur la loi Rebsamen, avec des fiches pratiques et un outil de simulation pour composer les listes. La fédération va faire évoluer ses modules de formation d’élus pour intégrer le sujet de la mixité : « Le vocabulaire, les revendications, les horaires de réunions doivent mieux prendre en compte les femmes », explique Alain Larose. Pour améliorer la mixité dans le transport de fonds, où la division hommes-femmes par métier est très marquée, l’Unsa veille à « représenter tous les métiers de l’entreprise et à passer dans les services où travaillent les femmes pour porter des revendications qui les concernent », selon son secrétaire général. « Les syndicats pourraient faire beaucoup plus pour intégrer les femmes, estime Valérie Pringuez, ex-déléguée fédérale à la CGT commerce de l’habillement : leur donner la parole, prévoir des gardes d’enfants pour les élues, leur donner les moyens de monter dans les instances. »

Le réseau féminin CFDT’elles, lieu d’entraide pour les militantes

Dans la branche très masculine des industries électriques et gazières (75 % d’hommes), trois élues ont créé, il y a un an et demi, CFDT’elles, un réseau féminin d’entraide pour les militantes. « Je sais qu’il n’est pas évident de faire sa place dans ce milieu, on est parfois seule à porter les sujets liés à l’égalité professionnelle et on se sent vite isolée », explique Catherine Guichardan-Philippon, l’une des fondatrices, qui a voulu partager son expérience syndicale.

Ce réseau de 95 membres, dont 20 % d’hommes, partage des pratiques syndicales, fait circuler des accords sur l’égalité, des fiches techniques sur la conciliation des temps de vie. « On met en commun nos propositions et on fait remonter les demandes du terrain », ajoute-t-elle.

La militante explique aussi comment prendre du pouvoir dans les instances : « À celles qui hésitent à prendre des mandats nationaux par crainte des déplacements, je leur dis qu’elles peuvent fonctionner différemment des hommes. Mais, si les organisations syndicales veulent faire monter des femmes en responsabilités, elles doivent fonctionner autrement : il faut une volonté politique. »

Les représentants du personnel, Thomas Breda, Presses de Sciences Po, 2016.

Auteur

  • Mariette Kammerer