logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Les clés

Réputation : Faire face à la rumeur avec subtilité

Les clés | publié le : 14.06.2016 | Marie-Madeleine Sève

Image

Réputation : Faire face à la rumeur avec subtilité

Crédit photo Marie-Madeleine Sève

Chouchou du boss, incompétent, malhonnête, alcoolique, dragueur, viré… Radio-moquette bat son plein, se régalant de cancans non vérifiés sur le chef. À lui de garder la tête froide. La rumeur révèle plus un ras-le-bol de l’équipe qu’une volonté de détruire. Pour la neutraliser, mieux vaut opter pour des actions ciblées et proportionnées.

Responsable commercial dans une société d’assurances, Grégoire espérait obtenir le grade managérial supérieur d’inspecteur, avant que des bruits malveillants ne circulent sur son compte : il n’avait pas la carrure, il avait échoué par le passé comme directeur de magasin, le relationnel n’était pas son fort. Une réputation qui lui colla à la peau durant des mois. Au point qu’on lui refusa quatre fois sa promotion, jusqu’à ce qu’un dirigeant fasse fi des ouï-dire, infondés, et le nomme au poste convoité. La parade de Grégoire fut triple : reconnaître la rumeur, la réfuter en sollicitant des publications élogieuses d’ex-collègues sur les réseaux sociaux, bâtir un business plan pour le futur. Probant !

Les managers “victimes” de commérages nuisibles n’aiment pas relater pareille mésaventure. Certes, les racontars font partie de la vie de bureau, et certains, anecdotiques, ne méritent pas qu’on s’y arrête. « Il faut alors laisser passer l’orage, recommande Annette Chazoule, responsable des formations destinées aux managers chez Cegos. Et se dire que c’est le signe qu’on est important. » Si les bruits sont faibles, l’intéressé peut activer son réseau afin de corriger les commentaires douteux, préconise Laurent Tylski, coach de dirigeants chez Acteo Consulting : ses résultats sont bons, son adjoint est ravi.

Des conséquences néfastes

« Mais les ragots deviennent graves dès qu’ils ont des conséquences néfastes sur la carrière, l’efficacité, la motivation et la santé de l’individu ciblé, explique Aurore Van de Winkel, conseillère en gestion des rumeurs. D’autant plus s’ils sont instrumentalisés pour dénigrer. » Un chef qui prend ses fonctions, qui pilote un changement ou qui innove à contre-courant est à ce titre vulnérable. Pour contrer ce phénomène insidieux, le manager doit en saisir la dynamique. En général, la rumeur est crédible parce qu’elle est en cohérence avec des préjugés, des stéréotypes, des images que les salariés ont en tête. À partir d’indices solides, ils échafaudent une série d’hypothèses pour combler les trous d’une histoire, trajectoire du n + 1 ou situation complexe et illisible. Ou c’est la jalousie, la rancœur, la frustration, qui peuvent les motiver, comme autour de Grégoire. « Le manager doit s’interroger sur les raisons du succès des bruits qui le visent, conseille Marie-Dominique Escolier, consultante chez Orsys. L’équipe, ou l’un des collaborateurs, peut estimer qu’il la (le) délaisse, qu’il ne la (le) défend pas assez. Derrière les ragots, il y a un besoin non satisfait, un désaccord, ou une peur. » Ce peut-être aussi une attitude mal interprétée, mais qui paraît plausible. Dès lors, un examen de sa façon d’agir, de s’exprimer, de plaisanter, s’impose.

Agir rapidement

Ensuite, mieux vaut décapiter les assertions mensongères très vite. Inutile de perdre son temps à chercher qui a commencé. Sauf si l’auteur est vite repéré, auquel cas, le manager le prendra en aparté pour le questionner, en reprenant les verbatim qui lui sont revenus aux oreilles. « J’ai entendu que j’avais “Jean dans le collimateur”. Que veux-tu dire par-là ? Qu’est-ce qui te fait penser cela ?… » « Il est bon de confronter la personne à ses paroles », souligne le coach Laurent Tylski, à condition de rester factuel. Après avoir soulevé ce qui gêne l’autre, cela devrait s’arrêter. » Sinon, mieux vaut intervenir auprès du groupe qui propage les potins, à la machine à café par exemple. « On me dit porté sur la boisson et ici, j’avale un déca ! » Difficile en effet de démentir publiquement la rumeur, au risque de l’amplifier auprès de gens qui l’ignoraient. En tout cas, il faut contredire en s’appuyant sur des points attestés. Il est utile aussi d’user de dérivatifs en agissant en positif, observe Gilles Dufour, coach chez Be & Lead. « Si l’équipe “blablate” car elle se sent dévalorisée, l’idéal est de démarrer la réunion en soulignant un succès collectif, et de confier à un collaborateur une tâche gratifiante. Si c’est le n + 1 qui est catalogué de nul, il exposera tout de suite un coup d’éclat, un projet accepté en haut lieu. Il fera ainsi preuve de sa compétence et de sa lucidité. Mieux, il décrochera un petit portrait ou une interview dans le journal interne ou sur l’intranet. »

Communication claire et ouverte

Et s’il y a une part de vrai dans ce qu’on raconte ? Le manager peut couper court par un aveu sans s’humilier, tel ce directeur informatique d’une SSII, “pompette” lors d’un pot de départ et illico étiqueté alcoolique. Il mit les points sur les “i”, avec assertivité : « J’ai commis un écart, c’est exact, mais cela ne s’est pas reproduit. Je vous prie de bien vouloir arrêter les sobriquets. » Il gagna en respect. Modifier son comportement ou surveiller ses blagues suffit souvent à rectifier son image. Par ailleurs, le manager a intérêt à adopter une communication claire et ouverte pour prévenir les dérapages. « Il rappellera à l’équipe que toute information doit être délivrée avec des éléments concrets, pour ne pas donner prise aux fantasmes sur qui que ce soit, insiste Marie-Dominique Escolier chez Orsys. Et de son côté, il s’engagera à expliquer sans fard, ce qu’il sait d’une modification en cours ou de la situation. » De quoi apaiser les esprits !

Les conseils du coach

Aurore Van De Winkel

Conseillère en gestion des rumeurs*

–1– Éviter de se montrer touché

Colère, sourire crispé, propos cassants… Attention à ne pas se laisser happer par ses émotions. La personne visée par les racontars les prend souvent pour elle, personnellement. Éprouvant un sentiment d’injustice, elle a tendance à dire des mots qui dépassent sa pensée. Ce qui renforce la véracité et la gravité des médisances. Il s’agit de rester calme, sans tomber non plus dans la justification qui validera le point-socle de la rumeur et contribuera à la nourrir de plus belle.

–2– Manier l’humour et l’autodérision

C’est une arme efficace, qui fait baisser les tensions et aide à prendre du recul. On vous traite d’alcoolique dans votre dos ? Dites : « Aujourd’hui, je pars plus tôt car je dois rapporter les bouteilles vides ! » On vous trouve autoritaire ? Lâchez : « J’adore maltraiter mes collaborateurs. » On raconte que votre avancement est dû à une proximité sportive avec le boss ? Ridiculisez le propos : « Je ne fais pas que jouer au tennis avec lui, je fais aussi de la musculation et du judo. ».

–3– Monter d’un cran si ça vire à la calomnie

Si les ragots sont dévalorisants et persistants, mieux vaut alerter la hiérarchie, vous pourrez verbaliser votre malaise et arrêter ensemble un plan d’action. Quitte à ce que le patron monte au front. S’ils sont accusatoires, mettant en péril votre job et votre honneur – vous useriez de faux, encaisseriez des pots de vin, seriez sexiste ou raciste –, allez voir aussi la DRH. Cela relève de la diffamation ou de la calomnie, punies par la loi. Surtout, gardez des preuves, e-mails, SMS, mots anonymes, au cas où il faille mener une enquête.

* Elle est l’auteure de Gérer les rumeurs, ragots et autres bruits (Edipro, avril 2012).

Auteur

  • Marie-Madeleine Sève