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L’interview

Tessa Melkonian : « Justice et exemplarité sont les conditions de la réussite des fusions-acquisitions »

L’interview | publié le : 07.06.2016 | Éric Delon

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Tessa Melkonian : « Justice et exemplarité sont les conditions de la réussite des fusions-acquisitions »

Crédit photo Éric Delon

Au-delà des compatibilités organisationnelle, stratégique et financière, les fusions-acquisitions sont d’autant plus couronnées de succès qu’elles intègrent la dimension humaine en amont et qu’elles mettent en avant l’exemplarité managériale et la justice.

E & C : 2015 a été une année record pour les fusions-acquisitions. Pourtant, vous affirmez que la plupart d’entre elles, in fine, échouent. Pour quelles raisons ?

Tessa Melkonian : Il n’existe qu’un nombre minoritaire de fusions-acquisitions (F & A) qui créent in fine de la valeur – entre 20 % et 40 %, selon les études. Les raisons de ce taux d’échec élevé sont multiples. Tout d’abord, une sous-estimation des enjeux humains. Souvent évidentes sur le papier en termes financiers ou stratégiques, les fusions-acquisitions se révèlent des processus particulièrement complexes à mener sur le plan humain, notamment dans la phase de mise en œuvre suivant l’annonce de la F & A ; 80 % des échecs seraient dus à ces problématiques humaines.

Autre facteur d’échec : la nature des fusions. La plupart d’entre elles sont de type horizontal : l’entreprise A acquiert et fusionne avec l’entreprise B, qui appartient au même secteur d’activité. Conséquence : une refonte humaine et organisationnelle plus intense et plus rapide que dans le cas de fusions verticales ou de conglomérat. La recherche de synergies implique souvent une fusion – partielle ou totale – des services supports, des systèmes d’informations, voire des équipes de vente, ce qui est moins le cas dans les autres types de fusions. Lorsque vous intégrez une entreprise relativement semblable à la vôtre, les défis en termes de gestion du changement et d’enjeux humains sont majeurs. Dernier facteur négatif concourant à fragiliser la F & A : la surmobilisation des équipes. Ces opérations interviennent bien souvent à la suite d’autres changements de magnitude plus ou moins forte que les salariés ont dû absorber au cours des mois précédents. L’intensification du rythme des changements organisationnels couplé aux efforts budgétaires massifs a pour conséquence cette surmobilisation. En d’autres termes, les salariés sont mobilisés mais souvent fatigués. Et l’entreprise se trouve alors en déficit d’énergie et de ressources nécessaires pour mener à bien cet autre projet de changement majeur que constitue la fusion, mettant ainsi involontairement en jeu la réussite de l’intégration.

Quelles sont les conditions de réussite d’une fusion-acquisition ?

Si la compatibilité stratégique et la faisabilité financière représentent des éléments clés, le volet humain demeure majeur à travers deux dimensions principales : la compatibilité culturelle – organisationnelle ou nationale – et la manière dont l’intégration va être gérée. Ces deux aspects répondent à des temporalités différentes. La première se situe en amont de l’annonce de la fusion et nécessite souvent des études préalables ou l’intervention de cabinets de conseil spécialisés sur ces questions. La seconde démarre quant à elle au moment de l’annonce de la fusion et va mobiliser l’ensemble des équipes de management des entités appelées à fusionner.

En quoi l’attitude des salariés est-elle déterminante dans la réussite de l’opération ?

Les F & A génèrent une très forte incertitude pour les salariés des organisations concernées, les amenant souvent à réduire leur engagement – voire à quitter l’organisation – en prévision des difficultés et des changements à venir. Or, pour réussir la phase d’intégration, l’organisation a besoin de salariés prêts à coopérer et à réaliser les efforts supplémentaires nécessaires afin d’absorber ce changement et de le porter dans le temps à la vitesse utile pour assurer la réussite de la fusion.

Toute F & A entraîne un surcroît d’efforts pour les salariés : acquisition de nouvelles compétences relatives aux nouveaux systèmes d’information, aux processus de décision, ou même linguistique si la fusion est internationale… Ces investissements supplémentaires dans un contexte où l’incertitude est à son comble peuvent amener les salariés à choisir la passivité discrète, l’attentisme, alors même que leur coopération active est indispensable pour enclencher au plus vite les premiers gains de synergie. Obtenir la coopération des salariés représente donc un enjeu managérial majeur.

Comment les DRH et les managers peuvent-ils générer cet engagement ?

Les travaux que nous avons menés au cours de ces dix dernières années nous ont permis de mettre en lumière le rôle majeur des perceptions de justice et d’exemplarité. La combinaison de ces deux facteurs explique plus de 50 % de la volonté de coopérer des salariés. La notion de justice joue un rôle essentiel, car elle réduit l’incertitude vécue par les collaborateurs, leur permettant ainsi de résoudre le dilemme “coopérer ou pas”. Quand les salariés se sentent traités justement, ils sont plus enclins à accepter les décisions des figures d’autorité et à adopter des comportements de coopération. L’exemplarité joue également un rôle majeur, car elle offre des références comportementales – notamment en termes de coopération – sur lesquelles les salariés vont s’appuyer pour décider de coopérer ou pas. L’exemplarité comportementale se définit comme la capacité d’une figure d’autorité – proche comme le manager direct ou plus distante comme le DG – à mettre en œuvre à son niveau les comportements qu’elle attend du reste des salariés. Plus est forte l’exemplarité des figures d’autorité en termes de coopération, plus l’incertitude vécue par les salariés diminue et les rend plus enclins à coopérer eux-mêmes. Les RH ont donc un rôle majeur à jouer pour sensibiliser les managers et les top managers à l’importance des valeurs de justice et d’exemplarité, quitte à les former afin qu’ils adoptent les bons comportements. Les RH ont, par ailleurs, un rôle important de business partner en phase amont des F & A, en sensibilisant leur comité de direction aux enjeux humains de ces opérations, trop souvent sous-estimés à l’heure actuelle.

Tessa Melkonian professeure de GRH

Parcours

> Tessa Melkonian, professeure en management et comportement organisationnel, est responsable du département Management et RH à EM Lyon Business School.

> Elle a publié des articles dans des revues académiques dont Human Resource Management, Journal of Business Ethics et International Journal of Project Management. Elle a rédigé des chapitres d’ouvrages et des articles de revues professionnelles.

> En 2013, elle a reçu le Prix académique de la recherche en management décerné par le Syntec pour ses travaux sur les réactions des salariés lors de fusions-acquisitions.

Lectures

Des ressources ou des hommes. L’antibible des RH, F. Autier, M.-R. Jacob et M. Perezts, 2e éd., Pearson, 2016.

Mergers and acquisitions : The human factor, S. Cartwright et C. L. Cooper, Butterworth-Heinemann, 1992.

Encyclopédie de la stratégie, F. Tannery, T. Hafsi, A.-C. Martinet et J.-P. Denis, Vuibert, 2014.

Auteur

  • Éric Delon