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L’enquête

L’interview : Anne-Marie Guillemard* sociologue, professeure émérite à l’Université Paris-Descartes

L’enquête | L’interview | publié le : 24.05.2016 | H. T.

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L’interview : Anne-Marie Guillemard* sociologue, professeure émérite à l’Université Paris-Descartes

Crédit photo H. T.

« L’innovation naît de la mixité des compétences et des âges »

Qu’y a-t-il eu de bon, selon vous, dans le contrat de génération ?

Jusque-là, la gestion des âges avait été une gestion par l’âge : cela faisait de nombreuses années que l’on déployait des mesures pour l’emploi des jeunes, avec les résultats que l’on sait. Mais on avait aussi fait de l’emploi “vieux”, avec le plan national 2006-2010 pour l’emploi des seniors. Le contrat de génération a permis, pour la première fois en France, de mener une réflexion sur deux âges. C’est une révolution paradigmatique des politiques publiques qui était souhaitable. Ce contrat a aussi contribué à développer le dialogue social sur la gestion des âges extrêmes. Penser que maintenir les seniors en emploi procurera moins d’opportunités aux plus jeunes est en effet une fausse évidence. Les uns et les autres n’occupent pas les mêmes emplois. Toutes les études menées sur le sujet démontrent, au contraire, que les pays ayant les meilleurs résultats en matière d’accession des jeunes à l’emploi sont aussi ceux qui maintiennent le mieux les aînés en poste. Car ériger des barrières d’âges pour les seniors, en leur proposant notamment des indemnités pour les faire partir plus tôt, crée des stéréotypes sur les âges, qui desservent aussi les jeunes, perçus comme inexpérimentés. Ces facteurs se renforcent les uns les autres. Mais cela n’a jamais été clairement dit.

Par quoi le dispositif a-t-il péché ?

Le défaut majeur de cette loi est qu’elle a été mal pensée et mal mise en œuvre, sans aucune incitation pertinente. On a proposé une aide de 4 000 euros par an et pendant trois ans aux TPE et PME intégrant un junior, mais personne ne recrute sur le seul fondement d’une incitation financière. Et le contrat de génération, censé rompre avec la gestion par l’âge, a bel et bien “embarqué” des bornes d’âge conditionnant l’aide – moins de 26 ans et 57 ans et plus –, ainsi qu’une mesure coercitive pour une partie des entreprises : la pénalité financière en cas d’absence d’accord collectif ou de plan d’actions. L’autre travers du contrat de génération tient à son management des âges extrêmes, les seniors étant chargés de la transmission des savoirs aux plus jeunes. On a laissé les âges médians en dehors du coup. Or les seniors ne sont pas forcément les meilleurs tuteurs, d’autant que, faute de GPEC, beaucoup se retrouvent dans des emplois d’“hier”. Il faut savoir qui détient l’expérience utile – et, dans ce domaine, les juniors peuvent faire valoir leur connaissance des usages digitaux. Quoi qu’il en soit, tout ceci a beaucoup gêné les employeurs, qui raisonnent non pas en termes d’âges, mais de compétences.

Qu’aurait dû faire le législateur ?

L’innovation naît de la mixité des compétences et des âges. Mais cette coopération doit être pensée et organisée. Il y a là un gisement de compétitivité qui demeure inexploité. Il aurait donc fallu mettre en œuvre un contrat de génération “pluriel”, qui intègre les âges médians tout en incitant les employeurs à réfléchir sur les modes de transmission des compétences, dont beaucoup sont implicites. L’ennui est que nos politiques publiques ne mettent pas l’accent sur le développement de la compétitivité des entreprises. L’enjeu est cependant d’aider celles-ci à gérer tous les âges et à développer le management intergénérationnel aujourd’hui indispensable. Et ce, dans la perspective plus large d’une refondation du pacte de solidarité entre générations de l’après-guerre. Avant, les seniors partaient à la retraite pour laisser la place aux jeunes, qui pouvaient compter sur une pleine vie de travail après une courte formation. Aujourd’hui, alors que jamais nous n’avons connu un tel rythme de remplacement des générations au travail avec le départ à la retraite des baby-boomers, ni l’emploi ni même la retraite ne sont garantis. Le contrat de génération n’était pas dimensionné pour répondre à cette situation.

Quelles pistes concrètes de changement préconisez-vous ?

Il faut convaincre les entreprises de mixer les équipes en favorisant la coopération, mais aussi de s’occuper de l’intégralité des parcours professionnels. L’État pourrait fournir une aide pour lutter contre l’obsolescence des compétences, inciter à former. Les politiques publiques pourraient aussi encourager les entreprises, notamment les PME, à concevoir des mobilités horizontales dans les emplois pénibles, afin que les salariés ne soient pas usés à 40 ans. On peut imaginer développer ce type de parcours sur des bassins d’emploi. La Fonction publique pourrait d’ailleurs montrer l’exemple en la matière. Et, pour pallier le problème du “coût du senior”, les entreprises ont intérêt à soutenir ces mobilités autrement que par la rémunération, en mettant en avant l’intérêt et la qualité du travail.

Auteure des Défis du vieillissement. Âge, emploi, retraite : perspectives internationales, Armand Colin, septembre 2010.

Auteur

  • H. T.