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L’enquête

Contrat de génération : L’intergénérationnel : un gage de performance

L’enquête | publié le : 24.05.2016 | Hélène Truffaut

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Contrat de génération : L’intergénérationnel : un gage de performance

Crédit photo Hélène Truffaut

En termes d’emploi, le contrat de génération a singulièrement manqué d’efficacité. Il n’a pas permis non plus de rompre complètement avec une gestion par l’âge des effectifs dans l’entreprise. Mais il a enclenché une dynamique autour de la transmission des savoirs. Pour les spécialistes du sujet, qui y voient un gisement de compétitivité, les entreprises ont tout intérêt à passer à un vrai management intergénérationnel.

Que restera-t-il du contrat de génération ? En février dernier, la Cour des comptes, dans son rapport annuel, analysait « les raisons d’un échec ». Un état des lieux sans concession de la loi du 1er mars 2013, qui visait la création d’une solidarité intergénérationnelle entre jeunes et seniors dans l’emploi à travers une transmission des compétences des aînés vers leurs cadets. Et ce, à l’aide d’obligations conventionnelles et d’aides financières ciblées sur les petites et moyennes entreprises (lire l’encadré ci-dessus).

Censée remédier à la précarité et au chômage des jeunes d’un côté, au faible taux d’emploi des seniors de l’autre, cette formule a priori séduisante – qui figurait dans les engagements présidentiels du candidat Hollande – n’a pas tenu ses promesses. Surtout si l’on s’en tient à un bilan purement comptable au regard des objectifs fixés (lire l’encadré p. 21). Et la Cour des comptes de pointer un dispositif « peu lisible et complexe à mettre en œuvre, (qui) n’a pas su convaincre les entreprises de son intérêt ».

Bornes d’âges

Pour la sociologue Anne-Marie Guillemard, le contrat de génération a surtout manqué d’une incitation pertinente, les entreprises ne recrutant pas sur le seul fondement d’une aide financière (lire p. 25). Novateur en ce qu’il aurait dû permettre de rompre avec une gestion des effectifs par l’âge, le système a, en outre, réembarqué des bornes d’âge conditionnant l’aide financière aux TPE et PME, mais, estime-t-elle, porteuses de stéréotypes.

Autre défaut du système, et non des moindres, soulevé depuis le début par Bernard Masingue, directeur de projets à Entreprise & Personnel : « Ce ne sont pas les seniors, mais majoritairement les médians qui s’occupent de l’intégration des jeunes dans les entreprises. » Du reste, il ne voit toujours pas comment comptabiliser les seniors réellement maintenus en emploi grâce au contrat de génération. « Le principe même du dispositif est biaisé », insiste-t-il.

En lançant, dès février 2013, avant même la publication de la loi, un atelier d’échanges sur le contrat de génération, l’Association française des managers de la diversité (AFMD) a pu suivre ce qui se passait au niveau des grandes entreprises, non bénéficiaires de l’aide, mais tenues de négocier, à marche forcée, un accord ou d’établir un plan d’actions. Une bonne trentaine d’organisations y ont participé. Ces travaux, pilotés par Soukey Ndoye, à l’époque chargée de recherche sous contrat Cifre à l’AFMD, ont été compilés et restitués en novembre dernier dans un ouvrage accessible en ligne : Du contrat de génération au management intergénérationnel (cf. Pour aller plus loin p. 22).

« L’objectif de cet atelier était d’aider les entreprises à intégrer cette nouvelle obligation légale en leur offrant la possibilité d’échanger en toute confiance sur des “bonnes pratiques” déjà expérimentées, et pouvant soit être pérennisées soit adoptées par d’autres dans le cadre du contrat de génération, explique Soukey Ndoye.

Contrainte de temps

Pour la doctorante en sociologie à l’université Paris-Descartes (qui est aussi administratrice du Réseau d’études international sur l’âge, la citoyenneté et l’intégration socio-économique, Reiactis), la contrainte de temps, avec une échéance des négociations initialement fixée au 30 septembre 2013, n’a pas facilité la tâche des entreprises. D’où certains accords « décevants », convient-elle. D’autant que la conjoncture économique difficile n’était guère propice à la prise d’engagements « en faveur de la formation et de l’insertion durable des jeunes dans l’emploi, de l’emploi des salariés âgés et de la transmission des savoirs et des compétences », selon les termes de la loi.

L’accord collectif devait de surcroît comporter des mesures en faveur de l’amélioration des conditions de travail des salariés âgés et de prévention de la pénibilité, ainsi que des objectifs en matière d’égalité professionnelle et de mixité des emplois. Olivier Carlat, directeur du développement social et des relations du travail à Veolia Environnement, regrette d’ailleurs que le législateur ne se soit pas penché sur l’articulation du contrat de génération avec d’autres accords pouvant traiter des mêmes thèmes. « Nous avons, du coup, passé beaucoup de temps à nous saisir de cette nouvelle loi », confesse-t-il.

En dépit de ses nombreux défauts, le contrat de génération présentait tout de même quelques atouts. À commencer par un diagnostic préalable imposé qui, en permettant d’impliquer les partenaires sociaux, s’est souvent révélé « la clé des négociations », estime Soukey Ndoye. Une méthodologie effectivement très appréciée d’Olivier Carlat, qui a pu conclure un accord groupe signé par trois syndicats sur la base d’indicateurs partagés (lire p. 23).

Prise de conscience des enjeux

Par ailleurs, si le contrat de génération n’a pas fonctionné comme un outil de développement de l’emploi, il a tout de même abordé cette problématique sous un angle inédit en associant deux âges, rappelle Anne-Marie Guillemard. Selon Jean-François Pouvreau, cofondateur de l’Observatoire du management intergénérationnel (Omig), le dispositif présente même une « véritable avancée sur un plan qualitatif » : « Il a permis le développement d’une prise de conscience des enjeux de l’intergénérationnel, observe-t-il. Il a donné une logique d’ensemble aux mesures de management des âges auparavant organisé en silos, et a consolidé des pratiques existantes autour de la transmission des savoirs – un sujet déjà bien identifié dans les entreprises pratiquant une GPEC. »

Pour le cofondateur de l’Omig, le contrat de génération a d’ailleurs beaucoup de points communs avec les contrats d’apprentissage et d’alternance : « On est dans la mouvance de l’entreprise apprenante, ou tout le monde peut apprendre des autres », soutient-il. Et c’est bien dans cette dimension que se situait l’atelier d’échanges organisé par l’AFMD. « Le contrat de génération entendait lier les destins professionnels des juniors et des seniors par le biais d’une transmission descendante des savoirs, dans une vision mécaniciste, expose Soukey Ndoye. Mais le couple jeune-vieux est une image d’Épinal. le travail a évolué : c’est dans la collaboration et l’échange que se produit la transmission. Notre objectif était de promouvoir cette vision dynamique, que les d’entreprises, notamment les PME, n’ont pas forcément intégrée. »

De fait, il appartient aux organisations d’identifier, à tous les niveaux de la pyramide des âges – sans négliger les “médians qui font tourner la boutique” – non seulement les compétences critiques, mais aussi les savoir-faire spécifiques informels, voire les nouvelles aptitudes digitales de leurs salariés afin d’organiser au mieux cette transmission. Engie Ineo et Axa France sont familiers du sujet (lire p. 24 et p. 21).

Valeur ajoutée

Tout en lui reconnaissant quelques effets bénéfiques, Bernard Masingue demeure, lui, très réservé sur les apports du contrat de génération, qui n’a ni généré de mesures volontaristes de recrutement de jeunes ni véritablement posé la question du management intergénérationnel au niveau des équipes de travail. « Un sujet important, mais jamais urgent dans le cadre d’une GRH toujours très axée sur le court-terme », déplore-t-il.

Et d’insister sur la valeur ajoutée de l’intergénérationnel : « On a besoin, dans les équipes, de collaborateurs qui portent la mémoire de l’entreprise, et d’autres qui interrogent le travail, amènent de nouvelles manières de faire, voient les innovations d’un œil favorable. » Une fertilisation croisée des modes de travail que les structures accueillant des apprentis en licence et master professionnels connaissent bien, dit-il.

Encore faut-il que l’entreprise y mette du sien, en reconnaissant à la fois les points forts et les faiblesses de ses collaborateurs : « Il ne s’agit pas de respecter de manière rigide les principes d’organisation. Un jeune n’est pas performant du jour au lendemain ; un senior pourra être très bon sur certaines tâches, moins bon sur d’autres », illustre Bernard Masingue, pour qui le management des équipes de travail implique avant tout de la souplesse. Une condition de la performance…

Au vu des résultats de la dernière enquête de l’Omig sur les enjeux de l’intergénérationnel (lire Entreprise & Carrières n° 1275), son président fondateur, Marc Raynaud estime du reste nécessaire de rénover toutes les pratiques RH (intégration, rémunération, promotion…) à l’égard des jeunes générations afin de les garder motivées. Tandis que « tout reste à faire pour adapter le travail, les postes, les règles, la fixation des objectifs en fin carrière. Beaucoup de seniors ont envie de rester, mais pas dans les mêmes conditions ! ».

Management des compétences

Si, comme le résume le président de l’Omig, « le management intergénérationnel est l’art de faire travailler ensemble les différentes générations, en tirant parti de ce que chacune apporte d’unique », le brassage accéléré des âges qui s’opère actuellement dans les entreprises devrait inciter ces dernières à se pencher sérieusement sur cette problématique. Soukey Ndoye en est en tout cas convaincue : « Quand on parle de management intergénérationnel, on parle de management des compétences. » Guère étonnant, du coup, de voir les nouveaux accords contrats de génération réintégrer le giron de la GPEC.

Une aide de 4 000 euros par an

Le contrat de génération octroie aux entreprises de moins de 300 salariés une aide financière d’un montant de 4 000 euros par an sur trois ans lorsqu’elles recrutent un jeune de moins de 26 ans en CDI (ou de moins de 30 ans pour les travailleurs handicapés), et qui maintiennent en emploi un salarié de 57 ans ou plus (55 ans pour les handicapés). Le montant de cette aide étant doublé en cas de double recrutement d’un jeune de moins de 26 ans et d’un senior de plus de 55 ans.

Un piètre bilan comptable

La Cour des comptes dénombre, fin juillet 2015, 40 300 contrats de génération assortis d’une aide, alors que 220 000 étaient espérés à cette date, pour parvenir à un total de 500 000 contrats à l’échéance 2017. Et près des deux tiers des jeunes en ayant bénéficié étaient déjà présents dans les entreprises concernées, d’où un effet “négligeable” sur le chômage.

En septembre 2015, 8,8 millions de salariés étaient couverts par un accord collectif, dont 5,2 millions au titre d’un des 23 accords de branche. La haute juridiction observe que « les accords ont souvent renoncé au principe d’un binôme effectif entre un jeune et un senior […] pour privilégier un appariement purement statistique entre des jeunes et des seniors sans liens professionnels et affectés sur des implantations éloignées les unes des autres.

Des managers souvent démunis

« L’intergénérationnel est devenu le thème à la mode des réunions annuelles de cadres et des séminaires de team building, affirme Marc Raynaud, président fondateur de l’Omig et patron de la société de conseil et de formation InterGénérationnel. Du point de vue des entreprises, c’est un sujet un peu nouveau, qu’il est de bon ton de proposer aux managers. Mais, lorsqu’on réunit ces derniers dans une salle, ils se lâchent et on se rend compte que c’est une problématique opérationnelle. Beaucoup ne savent pas comment s’y prendre avec des jeunes qui parlent cash, ont envie de bouger, etc. Il y a d’ailleurs beaucoup d’autocensure sur la question, et les DRH sont souvent les derniers informés des problèmes. »

De fait, la 6e enquête de l’Omig, publiée en février 2016 et reposant sur les réponses de managers et de collaborateurs de 165 entreprises, fait état d’une progression des conflits intergénérationnels, présents dans 58 % des organisations. Et 56 % des répondants déclarent que les managers ne sont pas du tout formés à ce type de management. Les employeurs auraient intérêt, estime Marc Raynaud, à se pencher sur les coûts induits des situations qui s’enveniment. Car, entre les salariés qui claquent la porte et qu’il faut remplacer, et les frustrés qui se mettent en retrait, la facture peut s’avérer salée.

Pour aller plus loin

– Rapport public annuel de la Cour des comptes, février 2016 : www.ccomptes.fr

– Du contrat de génération au management intergénérationnel, AFMD, université Paris-Descartes : l’ouvrage établit un premier bilan du dispositif à la lumière des actions menées dans plusieurs grandes entreprises dont Veolia, Danone, Orange, IBM… Il propose une boîte à outils et formule des recommandations pour renégocier sur ce thème : www.afmd.fr

– Faire travailler les générations ensemble, Carole Gadet, Presses du Châtelet, mai 2015.

Auteur

  • Hélène Truffaut