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L’enquête

Enseignement privé non lucratif : Des neuf CCN, il n’en restera qu’une

L’enquête | publié le : 17.05.2016 | E. F.

Trois organisations patronales de l’enseignement privé à but non lucratif ont prévu de fusionner leurs neuf conventions collectives. Mais avant d’harmoniser les statuts, les partenaires sociaux veulent régler les questions de représentativité, de financement du paritarisme et d’Opca.

La dernière fois que les quelque dizaines de “psychologues de l’enseignement privé” ont connu une évolution de leur convention collective nationale (CCN n° 1334), c’était en 2007, et cela portait sur leur grille des salaires. Idem pour les “maîtres de l’enseignement primaire privé enseignant dans les classes hors contrat” avec l’État (CCN n° 1326), dont la dernière grille indiciaire date également de 2007. Personne ne pleurera la disparition de ces petites et peu actives branches lorsqu’elles seront, comme plusieurs autres de l’enseignement privé, absorbées par la future CCN de l’enseignement privé non lucratif.

Celle-ci couvrira 100 000 salariés (pas les enseignants, qui sont des agents publics mis à disposition des établissements) travaillant dans environ 8 000 établissements, de la petite école jusqu’aux grandes écoles. À la manœuvre, trois organisations patronales, qui ont décidé, en décembre 2015, de se confédérer dans la toute nouvelle Confédération de l’enseignement privé à but non lucratif (CEPNL).

À terme, les 7 CCN gérées par la Fnogec(1), organisation patronale de 8 000 établissements catholiques employant 95 000 salariés – dont les psychologues et les maîtres des classes hors contrat –, la CCN de la Fesic(2) – 25 grandes écoles d’ingénieurs et de management, dont l’Essec, 8 000 salariés – et la CCN de l’AEUIC(3) – cinq instituts catholiques, 4 500 salariés – seront fusionnées pour ne plus faire qu’une convention collective. « Notre identité partagée est le service public de l’éducation et de la recherche, un modèle économique non lucratif qui rend nos établissements éligibles aux financements publics et l’inscription dans des valeurs humanistes », explique Michel Quesnot, président de la Fnogec et de la CEPNL. « L’objectif de ce rapprochement est de devancer l’appel des pouvoirs publics, de prendre le temps du dialogue social pour écrire nous-mêmes l’avenir de notre branche », déclare Delphine Blanc-Le Quilliec, directrice des relations institutionnelles de la Fesic et responsable communication de la CEPNL. Petites branches, destinées par le législateur à fusionner d’office avec d’autres, la Fesic et l’AEUIC gardent ainsi le choix de leur partenaire. En face des trois organisations patronales se trouvent les cinq syndicats confédérés, dont les périmètres ne correspondent pas toujours à ceux des organisations patronales, ainsi qu’un syndicat indépendant (Spelc) – sur le périmètre Fnogec – et Solidaires – sur le périmètre AEUIC.

Juridiquement, cette fusion concerne donc, pour le moment, 9 CCN, mais rien ne dit que d’autres CCN ne vont pas venir s’agréger, notamment celle de l’enseignement privé agricole. La fusion concerne également une dizaine d’accords thématiques (temps de travail, formation professionnelle, prévoyance, santé…) couvrant plusieurs CCN. La Fnogec a en effet pris l’habitude, sur certains sujets “mutualisables”, de ne faire qu’une négociation pour l’ensemble des CCN dont elle a la charge.

Avec ce rapprochement, « on peut espérer que la CCN des psychologues et celles des maîtres des classes hors contrat et sous contrat simple vont retrouver un peu de vitalité, ces salariés n’ayant bénéficié d’aucune avancée depuis pratiquement dix ans », indique Diego León, secrétaire national de la FEP-CFDT, première organisation sur l’ensemble des CCN concernées par la fusion.

Dynamiser les moins actives

Du point de vue des salariés et de leurs représentants, l’intérêt le plus immédiat de fusionner des conventions collectives est en effet de dynamiser les moins actives. C’est pourquoi le cédétiste verrait d’un bon œil que d’autres CCN rejoignent le mouvement. Il cite celles des maisons d’étudiants et de l’enseignement à distance, comptant chacune moins de 1 500 salariés, « qui n’ont pas réussi à négocier une complémentaire santé ». En outre, « les organisations professionnelles qui gèrent certaines CCN manquent de structuration et de compétences, or ce sont justement ces branches, regroupant en général beaucoup de TPE, qui ont besoin d’une branche forte, explique-t-il. Les restructurer permettra de professionnaliser ces organisations. Comment négocier quand on ne dispose même pas d’un observatoire et donc d’aucune donnée de branche ? Comment aboutir à un accord de protection sociale quand on ne peut pas faire appel à un actuaire par manque de moyens financiers ».

Une plus grande cohérence

De son côté, Michel Quesnot estime que la fusion des CCN va « permettre aux entreprises de bénéficier d’un corpus de règles sécurisées ». « Il faut un accord de branche pour déroger au temps partiel de 24 heures, ou pour le travail de nuit dans les internats », illustre-t-il. Il prévoit également que la fusion des CCN permettra une plus grande « cohérence » et « davantage de services aux adhérents, par exemple sur la digitalisation », voire à terme des « synergies géographiques entre établissements pour l’accueil des élèves ».

Une première réunion de cadrage réunissant les organisations professionnelles et syndicales de l’enseignement privé a eu lieu le 27 avril. Avant même de commencer à négocier une nouvelle convention unique, sans doute pas avant plusieurs mois, les partenaires sociaux veulent régler trois questions : le champ de la future CCN, son Opca et l’organisation du paritarisme. Plusieurs réunions sont déjà programmées avant l’été.

Selon Bruno Lamour, secrétaire général de la FEP-CFDT, le choix de l’Opca ne devrait pas poser de problème. Le dossier du paritarisme risque, en revanche, d’être un peu plus compliqué, car il recoupe un enjeu de financement des organisations syndicales. La Fnogec a signé un accord en ce sens, mais pas la Fesic ni l’AEUIC. Ces deux dernières accepteront-elles d’appliquer l’accord Fnogec ?

Un enjeu de représentativité

Mais avant tout se pose la question du champ de la CCN, qui « sera âprement négocié », anticipe Bruno Lamour. Il recouvre en effet un enjeu de représentativité. Ainsi, le SNPEFP-CGT est bien implanté dans la petite CCN de la Fesic (24,8 %), mais le Sneip-CGT, son homologue dans le champ beaucoup plus vaste de la Fnogec, n’y pèse que 5 %. Dilué dans la future branche, le SNPEFP-CGT risque donc de perdre sa représentativité. Il s’est d’ailleurs prononcé contre la fusion des champs Fesic et AEUIC avec celui de la Fnogec. Il plaide auprès du ministère du Travail pour que la Fesic et l’AEUIC soient rattachées à une grande CCN de l’enseignement privé hors contrat, l’exercice du métier étant, selon lui, déterminé par la contractualisation ou non avec l’État. « La CGT cherche d’abord à préserver sa représentativité », fait remarquer un bon connaisseur du dossier. Quoi qu’il en soit, la position de cette organisation semble minoritaire.

Une fois ces trois questions réglées, les partenaires sociaux, dûment représentatifs, commenceront à négocier le contenu de la future convention collective. Le principe admis par la Fnogec comme par la CFDT étant qu’il faut tenir compte des spécificités des métiers. On se dirigerait alors vers une CCN unique, vraisemblablement inspirée de celle qui regroupe le plus de salariés, mais avec des annexes. Selon Diego León, les deux points durs de la négociation seront les classifications – dont découlent les rémunérations – et la protection sociale. À droits constants ? En s’alignant sur le mieux-disant ? Sur le moins-disant ? La question taraude toutes les organisations patronales de France. « À moyen terme, l’intérêt de fusionner des CCN est évidemment de tirer l’ensemble vers le haut », explique Bruno Lamour. Une perspective qui ne semble pas effrayer Michel Quesnot : « Nous négocierons calmement », comme le gouvernement les y invite dans le projet de loi “El Khomri”.

(1) Fédération nationale des organismes de gestion des établissements de l’enseignement catholique.

(2) Fédération des établissements d’enseignement supérieur d’intérêt collectif.

(3) Association des employeurs des universités et instituts catholiques.

Auteur

  • E. F.