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L’enquête

Dialogue social : Le regroupement des branches : chantier à risques ou opportunité ?

L’enquête | publié le : 17.05.2016 | E. F.

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Dialogue social : Le regroupement des branches : chantier à risques ou opportunité ?

Crédit photo E. F.

La future loi Travail prévoit un regroupement des quelque 700 conventions collectives d’ici à trois ans. Certains syndicats y voient une occasion d’aligner vers le haut les droits sociaux des salariés. Mais les organisations professionnelles redoutent un risque inflationniste. Les regroupements ont déjà démarré dans plusieurs branches avancées sur le sujet.

Et si le projet de loi Travail portait une vraie avancée pour les salariés, passée inaperçue ? Perdu entre la définition du licenciement économique et les dispositions sur le temps de travail, l’article 14 du projet de loi du 24 mars 2016 ne propose rien moins que de faire un grand ménage dans les conventions collectives nationales (CCN), au nombre de 700 actuellement, et qui couvrent 9 salariés sur 10. Le gouvernement voudrait qu’il n’y en ait plus que 200 dans trois ans, en 2019 – date symbolique du centenaire de la première loi sur les conventions collectives. L’objectif étant de parvenir à une centaine de conventions collectives en 2020 (rapport Combrexelle 2015), couvrant chacune au minimum 50 000 salariés (rapport Quinqueton 2015).

Le projet de loi Travail, poursuivant la loi Sapin de 2014, enjoint aux partenaires sociaux d’engager des négociations pour rapprocher les CCN (« les branches », écrivent les rédacteurs), faute de quoi les pouvoirs publics s’en chargeront, en commençant par les plus petites et les moins dynamiques.

Dans l’esprit du législateur, il s’agit de faire le ménage dans les textes obsolètes – dont certains n’ont pas été revus depuis des années –, de donner un socle conventionnel aux PME qui ne peuvent pas négocier des accords d’entreprise, d’atteindre la force de négociation que permettent les grands nombres – sur les complémentaires santé, notamment – et de parvenir à la taille critique nécessaire à la réunion des compétences indispensables à une bonne négociation.

Perspective inflationniste

L’étude d’impact de la loi Travail reste vague sur les conséquences économiques de ces regroupements. Elle se contente d’anticiper « une couverture conventionnelle plus adéquate aux salariés » et « le rôle de régulation de la concurrence de la branche […] significativement renforcé ». Toutefois, un grand regroupement des CCN semble, par hypothèse, à l’avantage des salariés. Certains syndicalistes y voient en effet une occasion historique pour tirer les dispositions conventionnelles vers le haut.

« Quand les patrons ont créé les CCN, c’était pour diviser les statuts et payer moins les salariés ; le seul intérêt du rapprochement des branches est de prendre le meilleur de chacune », déclare Patrick Bauret, secrétaire fédéral de la Filpac-CGT (livre, papier, communication), en charge de la branche papier, comptant sept conventions collectives (lire p. 23). Dans une autre branche, celle de l’enseignement privé sous contrat, en pointe sur le sujet, Bruno Lamour, secrétaire général de la FEP-CFDT (enseignement privé), majoritaire, déclare qu’« à moyen terme, l’intérêt de fusionner les CCN est évidemment de tirer l’ensemble vers le haut » (lire p. 21). Dans le secteur du spectacle, c’est justement la volonté de l’État de lutter contre la précarité qui est à l’origine d’une première fusion des branches (lire p. 24).

Par ailleurs, il semble évident que les droits des salariés ne pourront que progresser dans les très nombreuses branches “moribondes” ou “éteintes”, qui n’ont rien négocié depuis des années, et dans lesquelles les droits des salariés sont de fait alignés sur le Code du travail. Selon le rapport Poisson (2009), la moitié des branches sont dans cette situation.

Cette perspective inflationniste inquiète les organisations professionnelles, même si ces dernières voient aussi dans la fusion des branches une opportunité pour améliorer le service à leurs adhérents et gagner du poids vis-à-vis des pouvoirs publics. Dans le papier carton et l’enseignement privé, les organisations patronales savent déjà que la négociation sera rude. Celle du papier carton a défini une position : pas d’inflation de droits – au nom de la compétitivité des entreprises – ni de régression – au nom de l’attractivité et du dialogue social. Selon un sondage (AOPS-Barthélémy Avocats, mars 2016), un tiers des organisations professionnelles craignent que la fusion des CCN ne se traduise par un alignement systématique sur la convention collective la mieux-disante.

Harmonisation dans trois ans ?

Mais le Grand Soir conventionnel n’est pas pour demain. À l’heure actuelle, les branches les plus avancées dans leur regroupement en sont au stade des questions prosaïques. Franck Morel, associé du cabinet Barthélémy Avocats, les résumait ainsi lors d’un colloque, fin mars : « Vais-je garder ma spécificité conventionnelle ? Vais-je préserver mes instances paritaires ? Quel sera l’impact du rapprochement sur la représentativité ? Que faire sur l’égalité de traitement ? Quid des clauses de désignations des mutuelles ? Quel Opca choisir ? » Le délicat sujet de l’harmonisation des conventions collectives viendra un peu plus tard, dans trois ans tout au plus.

Auteur

  • E. F.