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Entretien annuel : Évaluer la contribution plutôt que les résultats

Les clés | publié le : 10.05.2016 | Sabine Germain

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Entretien annuel : Évaluer la contribution plutôt que les résultats

Crédit photo Sabine Germain

Mesurer la contribution d’un salarié à un objectif ou à un projet s’avère parfois plus efficace que évaluer de façon purement quantitative ses performances. Notamment quand l’environnement économique ou concurrentiel rend l’atteinte de l’objectif aléatoire.

« Les meilleurs résultats que nous avons obtenus en matière de promotion de la diversité sont venus d’une entreprise qui a adopté des critères d’évaluation très ouverts, explique Saïd Hammouche, fondateur du cabinet de recrutement et de conseil Mozaïk RH. Au lieu de fixer des objectifs précis, mesurables et rationnels, elle a préféré demander à chacun de ses collaborateurs de décrire, au cours d’un entretien, une initiative qu’il a prise en faveur de la diversité. Il pouvait s’agir de donner des cours dans une école ou une université, d’accompagner un élève dans sa scolarité, de conseiller des jeunes issus de la diversité sur leur orientation professionnelle… »

Cette observation de terrain tombe à pic au moment où de grandes entreprises abandonnent l’exercice de l’entretien annuel de performance au profit de rendez-vous plus fréquents, mais sans notation ; 10 % des grands groupes américains (Accenture, Gap, Cisco, Microsoft, Deloitte) ont franchi le pas, considérant que cette activité chronophage focalise l’attention sur les résultats et non sur la contribution de chaque salarié. « L’un n’empêche pas l’autre, tempère Saïd Hammouche. On peut continuer à mesurer l’atteinte des objectifs. Mais il faut aussi être capable de valoriser la capacité à prendre des initiatives individuelles. »

La génération Y, qui est née avec Internet et a grandi avec les réseaux sociaux, y est particulièrement sensible : « À ses yeux, il est plus motivant d’être évalué à l’aune de critères qualitatifs – engagement, écoute, capacité de travail, respect – que sur le seul critère de l’atteinte d’un objectif chiffré », estime Laurent Gontard, responsable de l’activité internationale de l’éditeur de solutions d’évaluation PerformanSe. « Si une entreprise mesure leur contribution, elle fait progresser ses collaborateurs », ajoute-t-il.

Outils d’évaluation qualitative

Reste à savoir comment les mesurer. « Il existe aujourd’hui des outils d’évaluation qualitative très efficaces, poursuit Laurent Gontard. Des questionnaires de 10 à 20 minutes portant sur différents types de situation – conflit ou stress, par exemple – permettent notamment de dessiner le profil comportemental du collaborateur. » Ce qui nourrit l’évaluation de la contribution individuelle du collaborateur.

Cette évaluation individuelle doit s’inscrire dans un processus d’évaluation collective : « Aujourd’hui, on ne peut plus travailler en silo, observe Laurent Gontard. Il faut aussi s’interroger sur la façon dont l’ensemble d’une équipe a travaillé. »

Ce qui passe, en premier lieu, par le dialogue : « Un manager doit être capable d’entendre que ses collaborateurs n’ont pas atteint leurs objectifs alors qu’ils se sont donnés à fond », estime Chantal Hémard, consultante et chercheuse en sociologie des organisations (lire ci-contre). Ce qui implique de s’interroger sur la pertinence des objectifs fixés : étaient-ils trop élevés ? Mal pensés ? La conjoncture économique, la concurrence ou la réorganisation de l’entreprise ont-elles eu un impact sur la performance de l’équipe ? Quand le gouvernement réduit le montant des primes à la casse ou des bonus écologiques, par exemple, il est logique que les résultats des commerciaux en automobile faiblissent.

L’entretien d’évaluation doit donc revenir à ses fondamentaux : le dialogue et l’échange. « Il est toujours plus facile de cocher des cases, sourit un manager commercial qui regrette qu’on ne l’encourage pas à sortir de l’évaluation purement quantitative. J’ai l’impression que, dans un contexte ultra-concurrentiel, fixer des objectifs inatteignables est une façon de justifier la stagnation salariale. Mais à la longue, c’est extrêmement démobilisateur. » Avis partagé par Chantal Hémard, qui observe, en outre, que « les outils informatiques appauvrissent le dialogue. La standardisation empêche les adaptations nécessaires aux contextes professionnels locaux, dont il faut tenir compte dans l’évaluation des salariés ».

Jurisprudence et partenaires sociaux

Autre frein à une évaluation plus subjective de la contribution des salariés : la jurisprudence et les partenaires sociaux, qui exigent des critères d’évaluation répondant aux exigences réglementaires d’objectivité, de spécificité et de transparence. Des critères que Saïd Hammouche n’hésite pas à réfuter : « Dans certaines circonstances, il ne faut pas avoir peur de l’opacité. Dès lors que les critères d’évaluation sont raccordés aux valeurs sociales et sociétales de l’entreprise, qu’ils font émerger des idées ou des initiatives et qu’ils peuvent être expliqués, je suis convaincu que les partenaires sociaux peuvent les comprendre. » À condition, toutefois, que les pratiques antérieures d’évaluation n’aient pas suscité de défiance…

Les conseils du coach

Chantal Hémard

Consultante-chercheuse au cabinet Arcône et enseignante en GRH à l’université Paris 1.

–1– Dialoguer

L’entretien d’évaluation doit d’abord être un temps de dialogue : dès 2006, nos travaux de recherche sur la pratique de l’évaluation individuelle ont montré qu’il y avait peu à attendre d’une évaluation conçue sur des bases principalement gestionnaires, mais bien davantage d’une évaluation « socialisatrice ». Comme son nom l’indique, l’entretien d’évaluation doit avant tout être un temps de dialogue sur le rôle du collaborateur, le rappel de ce que l’on attend de lui et de la manière dont il doit se situer dans une logique de développement personnel.

–2– Contextualiser

La performance ne dépend pas que de l’individu : son environnement, ses collègues, le management, la gouvernance de l’entreprise peuvent avoir un impact important. En sociologie des organisations, on distingue le travail prescrit (c’est-à-dire l’objectif à atteindre) et le travail réalisé (le résultat obtenu), mais aussi le travail réel (comment le résultat a été obtenu) et le travail vécu (comment le collaborateur l’a perçu).

–3– Être transparent

L’évaluation individuelle repose sur un grand malentendu : sa seule existence laisse supposer aux salariés qu’il est possible d’ajuster précisément sa rémunération avec ses performances. Or, dans la majorité des cas, l’entreprise n’est pas en mesure de rétribuer le salarié à la hauteur de la perception qu’il peut avoir de sa contribution, car les systèmes de rémunération sont complexes et soumis à d’autres facteurs que la performance. Ce qui met les managers dans un inconfort où se joue leur légitimité managériale.

Auteur

  • Sabine Germain