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Sur le terrain

Retour sur… Les appels mystères discriminatoires de Randstad

Sur le terrain | publié le : 12.04.2016 | Emmanuel Franck

En 2011, l’entreprise de travail temporaire Randstad a introduit de fausses demandes discriminatoires dans les appels mystères qu’elle passe aux salariés de ses agences. La visée est pédagogique, et les résultats sont au rendez-vous.

« C’est un poste impliquant de porter des charges lourdes, vous croyez vraiment qu’elle… ? » « Nous n’avons qu’un vestiaire, pensez-vous qu’elle… ? » « Il s’agit d’une équipe d’hommes, il n’y a aucune femme… » Pressions discrètes de clients d’une agence d’intérim pour que celle-ci leur délègue un homme plutôt qu’une femme. Le salarié de l’agence saura-t-il résister à cette demande discriminatoire ? Afin d’en avoir le cœur net et de rectifier le tir le cas échéant, Randstad teste, depuis 2011, les réactions de ses salariés à des demandes discriminatoires. L’entreprise de travail temporaire recourt au classique client mystère, utilisé depuis longtemps dans le cadre d’une démarche qualité. Depuis quatre ans, celui-ci demande donc des prestations volontairement discriminatoires.

« Cette initiative fait suite à l’obtention du Label diversité en 2009. Nous avons souhaité nous assurer que le réseau était sensibilisé à la lutte contre les discriminations et qu’il restait en éveil », explique Aline Crépin, directrice RSE de Randstad.

Deux ou trois fois par an, chacune des quelque 750 agences est appelée par un faux client (un prestataire extérieur) doté d’une vraie personnalité juridique et d’un vrai numéro de Siret. Le salarié se voit demander une prestation discriminatoire : l’intérimaire devra être choisi en fonction de son sexe, de son origine, de son âge, de sa religion… La loi prohibe 20 critères. Ces différents critères sont évoqués, par rotation, dans ces tests téléphoniques. « Les appels mystères sont réécoutés ; si la réponse manque de fermeté, notre comité antidiscrimination organise une séance de sensibilisation à distance pour toute l’agence. Nous considérons que, si un seul salarié montre des signes de faiblesse, l’ensemble des salariés de l’agence est à risque », précise Aline Crépin.

L’objet de la démarche est pédagogique et non punitif : « Nous partons du postulat que, si un salarié discrimine, c’est parce qu’il trouve cela logique. » Autrement dit, le salarié ne serait pas intrinsèquement raciste ou misogyne, mais il trouverait par exemple logique qu’un client lui demande de recruter un homme pour une équipe d’hommes.

Plusieurs évaluations

Cette politique a porté ses fruits : aujourd’hui, seuls 1 % des appels mystères déclenchent une sensibilisation, contre 8 % au début du programme, en 2011.

Force ouvrière (FO) a une analyse un peu différente de celle de la direction : « Peu de salariés échouent à l’issue de ces appels mystères, explique Jean-Pierre Lac, délégué syndical, mais cela arrive. Dans ce cas, le salarié est réévalué deux mois plus tard, puis de nouveau si nécessaire. La direction insiste jusqu’à ce qu’il atteigne une note honorable. » Selon lui, des salariés « ont reçu une lettre de quatre pages après avoir échoué à l’audit ». Ce que nie la direction : « Une mauvaise note n’appelle ni sanction, ni courrier, elle est utilisée comme un outil managérial. À charge pour le manager de réexpliquer les process. »

Randstad prêt à perdre des clients

La sensibilisation des salariés des agences à la suite des appels mystères serait peut-être moins suivie d’effets si les mêmes salariés se trouvaient dans l’obligation d’arbitrer entre l’injonction de légalité et celle d’atteindre leurs objectifs. Le refus de satisfaire une demande discriminatoire d’un client revient à refuser du chiffre d’affaires et à amputer la part variable de son propre salaire. Un luxe qui pourrait conduire les salariés à arbitrer en faveur de l’objectif financier, d’autant que l’acceptation d’une demande discriminatoire n’est pas suivie de sanction, la direction faisant de l’appel mystère un outil de management. C’est pourquoi la démarche n’a de sens que si elle est « financée ». « La direction s’est beaucoup impliquée dans ce dossier et s’est même dite prête à perdre des clients », affirme Aline Crépin. Reste que les commerciaux sont en partie payés au résultat. « Mais la partie variable du salaire est marginale par rapport au fixe, ce n’est pas cela qui va les inciter à accepter des demandes discriminatoires. »

Auteur

  • Emmanuel Franck